Mis sur la carte par Demi Portion depuis quelques années déjà, le rap sétois compte, avec l’opus Tout simplement de Petitcopek, une nouvelle pierre à son édifice. Passé par les ateliers d’écriture de Demi P, le rappeur de 23 ans a livré plusieurs projets depuis le début des années 2010, tout en écumant nombre d’open mics et de petites scènes, à Sète, Montpellier et de manière générale dans tout ce Sud-Est auquel il rend régulièrement hommage. Après la réalisation d’un bel album commun avec son compère Apéro-Jazz (Huit Syllabes, sorti en mai 2018) et la participation à la compilation de DJ Djel Qui prétend faire du rap français (sortie début 2019), Petitcopek dévoile avec Tout simplement un premier album solo réussi, qui synthétise une dizaine d’années de pratique textuelle, de recherche sonore et d’aventure humaine.
Le MC a fait le choix, nous y reviendrons, de s’entourer de nombreux invités, parmi lesquels 8 beatmakers, ce qui introduit une variété d’atmosphères plutôt bienvenue sur ce quinze titres. Si les pianos boom-bap croisent des vibes funk et des des batteries trap, l’impression qui reste à l’écoute de l’album dans son intégralité est celle d’une musique relativement ensoleillée, sentiment dû à la dissémination dans l’opus de morceaux rappés sur des productions légères (Création positive, Donne-moi du soleil, Tout simplement) ou carrément festive (KUX 73 JM 120). Revendiquant régulièrement des influences old school (IAM, FF, Scred Connexion), Petitcopek a su concilier son goût pour « les pianos et les guitares tristes » et une ouverture sur les sonorités actuelles déjà bien observable sur ses projets précédents.
Du côté de la plume, le MC développe sur Tout simplement une écriture authentique et imagée, ce qui lui permet d’intercaler entre des morceaux de facture « classique » (mêlant égotrip et introspection) de bons morceaux à thèmes (Plata o plomo, Prise d’otage, Independenza). S’il met du sens dans ses couplets, Petitcopek s’attache également à soigner la forme. Alliant multisyllabiques recherchées, allitérations et variations dans les schémas de rimes, le rappeur démontre sa maîtrise des procédés textuels, comme sur l’Interlude, morceau de transition en apparence, qui cache une belle démonstration technique. Attaché à une certaine science de la rime et dénonçant le rap qui rime « avec les mêmes mots », le MC de Sète n’hésites néanmoins pas à employer des formules plus simples, scandées, comme l’y invite par exemple la prod saturée d’Independenza (quitte à se contredire un peu pour renforcer l’impact du propos : « J’emmerde les Victoires de la musique, jamais je ferai les Victoires de la musique »).
Premier album solo, Tout simplement est aussi une célébration du travail collectif dans son acception la plus large, comme le suggère la quantité de remerciements délivrés par Petitcopek sur la première piste du projet. Sont présentes dans l’opus quelques figures de l’underground, à savoir Melan sur le très bon et très boom-bap En décalage, Starline(découverte il y a quelques années aux côtés de Lacraps) qui gratifie le morceau TLN d’un refrain efficace et entêtant, ainsi que Demi Portion et DJ Djel, à travers des extraits vocaux qui rappellent l’importance de ces figures tutélaires pour le jeune rappeur, sans pour autant rendre leur patronage écrasant.
Dans cette description de la dimension collective du projet, il faut faire une place à part au titre Bonne humeur, réunion de MCs comme le rap indé en a le secret, rassemblant onze rappeurs et, fait (hélas) suffisamment rare pour être noté, trois rappeuses (Esthr, Lou et Ekloz, qui clôture le titre par un excellent 8 mesures). Hommage à la camaraderie, à la fête et au « bon vivre » sudiste, ce morceau laisse l’auditeur, au sortir de l’écoute, avec d’agréables images de « playa » et de « bières qui se rencontrent » en tête.
Tout simplement semble aussi avoir été pour l’artiste l’occasion de se retrouver, autour d’une prod et d’un micro, avec des amis de longue date. C’est de cela qu’il s’agit avec le morceau Création positive, sur lequel on retrouve D.Tay et Mehdiatèque, deux rappeurs ayant eux aussi fait leurs armes aux côtés de Demi Portion, et compagnons de route de Petitcopek. Ce morceau, où les MCs se rappellent çà et là aux bons souvenirs de leur jeunesse sétoise, est décrit par ce dernier comme un passage obligé dans la construction de son album. Était également incontournable la collaboration avec Trev et Apéro-Jazz, rappeurs très proches de Petitcopek depuis de nombreuses années, qui délivrent dans Finir comme ça de bons couplets trap tirant vers leurs univers respectifs (l’EP d’Apéro-Jazz, Coma Idyllique, sorti en mars 2019, mérite qu’on y laisse traîner une oreille).
Si les uns et les autres sont qualifiés de « famille » ou de « frères de cœur », il est aussi question dans l’opus de la famille, au sens biologique du terme. Petitcopek dépeint en effet au fil des morceaux son milieu familial, milieu populaire bercé de rock (« papa, (…) je sais que tu préférais quand je chantais les Beatles »), puis de Hip-hop (« j’ai juste rajouté « petit au blaze de mon grand frère »), dont l’ancrage local et la détermination contrebalancent la pauvreté et ses répercussions néfastes.
Maman aurait voulu que j’devienne un grand avocat, j’pense que papa aurait préféré que j’le remplace au bar, Avenir proche
Comme le suggère la citation ci-dessus, le rapport à la famille proche constitue un moteur de l’introspection dans ce projet, et nourri plus particulièrement les interrogations quant au choix du rap comme métier à part entière. Se reflètent en effet au long de Tout simplement les incertitudes quant au fait de « tout abandonner pour la musique ». S’expriment dans les différents couplets la difficulté de transformer une passion en travail (« c’était cool en passion mais maintenant c’est du taf ») et la crainte des regrets accumulés. Si ces derniers affleurent par moments (« des remords plein la tête, (…) certains depuis longtemps »), le refrain de Finir comme ça semble couper court au ressassement des remords musicaux et personnels par un trait de plume : « j’ai fait les choses bien, j’aurais pu faire autrement ». Cette conclusion est par ailleurs facilitée par l’ajustement opéré par Petitcopek entre ses attentes et la nature du rap qu’il pratique et défend.
Je percerai pas avec le rap que j’fais et que j’aime, faudra faire preuve de persévérance, Poignée de punchlines
Ce rap porté par le MC, c’est celui des petites scènes locales, contre les « showcases en boîte où le rap s’est fait baisé », celui promu de manière originale et par le bouche à oreille, contre les connivences majors / gros médias, en résumé, celui qui embrasse l’indépendance dans le sens le plus profond du terme. L’indépendance, telle qu’elle est mise en rime par le MC de Sète, repose donc sur un rejet catégorique des institutions de l’industrie musicale (radios, majors, « gros festivals »), mais aussi sur une certaine éthique du travail et de l’échange artistique. Petitcopek met en avant un rap qui s’apprend et se bonifie, que ce soit par des années de pratique ou dans le cadre d’ateliers d’écriture, qu’il a fréquenté mais également organisé quelques années plus tard. Il met aussi les échanges entre rappeurs au cœur de la définition de l’indépendance dessinée dans son album. Si le morceau Bonne humeur en est un excellent exemple, on retrouve aussi dans Tout simplement quelques micro-récits de rencontres entre « poids plumes » du rap (« Tous ces MCs, qui m’ont donné tellement d’amour, j’avais l’air con avec mes mercis », Tout simplement), autant de contacts qui construisent une vaste scène, indépendante et complexe.
Le regard porté par le sétois sur la scène indé et underground n’est pas enjolivé pour autant. Il consacre en effet tout un morceau (Prise d’otage) à la description d’un milieu présenté comme dur, compétitif, loin des images de cohésion et de solidarité qu’on pourrait y associer à première vue. Sur ce son et sur d’autres (par exemple sur sa Poignée de punchlines), Petitcopek déplore le snobisme de certains artistes et le manque de soutien mutuel qui touche certaines scènes locales, prouvant par-là que les règles parfois absurdes de la concurrence n’épargnent pas les « petits » rappeurs. Enfin, le MC évoque aussi la difficulté d’être professionnellement « pris au sérieux » en tant qu’artiste indépendant (« j’emmerde vos concerts de merde, si j’suis pas payé j’suis pas forcé d’le faire »).
De la même manière qu’il décrit sans œillères le milieu artistique dans lequel il évolue, Petitcopek déconstruit la vision de carte postale souvent associée au littoral languedocien et au Sud en général. Montpellier est par exemple présentée sous une différente facette, celle de quartiers périphériques comme Plan Cabannes où le climat est alourdi, comme dans d’autres espaces paupérisés, par la présence policière, les embrouilles et la vente de drogue (trafic dont la mythologie est par ailleurs remarquablement démontée dans Plata o plomo).
Reste toutefois que Tout simplement rend à bien des occasions un hommage appuyé à la ville de Sète, port d’attache (« J’voulais partir loin des rives de Sète, et puis, j’grandi et j’me dis, peut-être que partir loin c’est pire », Interlude) et source d’inspiration pour le MC comme pour bien d’autres artistes avant lui. Certains sons (Création positive, Bonne humeur, Donne-moi du soleil) tissent par ailleurs une ode au soleil du Sud, pourvoyeur de jovialité et de « terrasses brûlantes ». Le Sud dépeint dans l’album, s’il est confronté à nombre de problématiques, apparaît également comme un espace de « bon vivre », où les vapeurs de weed et d’alcool ne sont pas nécessairement des signes de fuite en avant, mais aussi des émanations des fête et de moments partagés.
A quinze sur un pétard ouais, quand la vie n’était pas dure, Tout simplement
Porté par une écriture exigeante et par une certaine idée du partage, ce premier album solo de Petitcopek, qui constitue à coup sûr une étape marquante dans la jeune carrière du rappeur, convainc sur de nombreux plans et semble susceptible de créer un enthousiasme grandissant autour de la musique du sétois.