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[Chronique] Pon2Mik – Michael Owens, porte-étendard de la trap guadeloupéenne.

La fin de 2018 approche déjà, et chez Le Rap En France, on commence à regarder dans le rétroviseur. On se rappelle des albums qui ont marqué cette année, et l’on pense à ceux qui sont injustement passés inaperçus, enfouis sous la pluie des nouveautés,  malgré leurs indéniables qualités. Michael Owens, le premier album du rappeur guadeloupéen Pon2Mik, sorti cet été, appartient à cette deuxième catégorie. Malgré un ensemble franchement réussi, l’album de celui qui est déjà une star aux Antilles n’a pas bénéficié de l’écho qu’il méritait, la faute sans doute à une absence de promo, mais également à un manque d’attention de la part des médias raps basés en France métropolitaine (dont nous), pour le rap antillais.

Pourtant, cette scène rap est en proie à un véritable renouvellement depuis quelques années, en mêlant la culture musicale locale avec un rap plus global. Ainsi, Pon2Mik vient donner à sa trap sombre, nonchalante et salissante des accents dancehall qui confèrent une saveur particulière à ce premier opus.

Il faut dire que le rap français a très vite entretenu des liens étroits avec les sonorités dancehallDès 1990, Daddy Yod et Tonton David étaient ainsi présents sur la compilation Rapattitude. Avec des artistes comme Joey Starr ou les Nèg’ Marrons, la culture caribéenne n’a cessé d’influencer le rap français dans les années 90, avant de petit à petit se faire plus discrète. Il a fallu attendre le milieu des années 2010, et l’arrivée sur la scène du martiniquais Kalash, pour qu’un artiste dancehall revienne marquer le rap français en profondeur, collaborant avec Booba ou Damso.

Mais, si Kalash est un artiste venant du dancehall qui a su hybrider son ADN musical en l’enrichissant des sonorités tendances de la trapPon2Mik, lui, fait le chemin inverse : c’est avant tout un rappeur, qui laisse percevoir l’influence de la culture dancehall et du soundsystem par touches, dans certains refrains et dans le choix de ses invités. Il faut dire que le natif  du quartier de Grand Camp, aux Abymes, est depuis longtemps un des fers de lance de la scène rap guadeloupéenne. Ainsi, avec son groupe MG Revendik, au tournant des années 2010, Pon2 rappait déjà, à l’époque davantage influencé par le boom-bap.

C’est cinq ans plus tard, avec l’explosion de la trap, que le rappeur trouva réellement son identité musicale : des instrumentales tout droit venues des Etats-Unis, aux basses vrombissantes et aux boucles de piano glaçantes, sur lesquelles le rappeur pose sa voix grave, nonchalante, et froide. La combinaison est évidente. Le flow est précis, découpé et efficace. L’image de Pon2 évolue aussi, se réinventant en roi de la trap, impitoyable et mystérieux. En 2016, son tube YAH avec Cheu-B lui fait ainsi gagner une certaine notoriété en France métropolitaine, et même au-delà : le morceau sera repéré par l’auteur du célèbre blog rap américain Rap Music Hysteria (ici).

Moins de deux ans plus tard, Michael Owens vient s’inscrire dans la continuité de cette montée en puissance de Pon2. Dans l’Introduction, on retrouve ce flow précis et efficace, qui vient s’hybrider de flows plus mélodiques sur des titres comme SDF. On retrouve toutes les recettes qui ont fait le récent succès du guadeloupéen : son ton froid et impactant (Fœtus), des instrumentales aux loops de piano étourdissantes (Paris), et des bangers aboutis (dont Pécule, morceau à la production bondissante, est sans doute le tube de l’album). On retrouve même la combinaison gagnante avec Cheu-B sur La qualité. Le timbre élevé et chantant du membre du XV complète toujours à merveille la voix grave de Pon2. Les influences dancehall viennent accompagner le tout, comme sur l’électronique Accélère, ou sur Miséricorde, morceau interprété avec Pompis en créole, langue que le rappeur utilise fréquemment tout au long de l’album.

L’album est donc assez homogène, nous plongeant dans une ambiance froide, sombre, fumante et mystérieuse, qui vient nous rappeler les dernières productions d’un groupe proche de Pon2Mik : les sevranais du 13 Block, auteurs du très remarqué Don Pablo cette année (notre chronique à lire ici !). Autre point commun avec le 13 Block : la manière qu’a Pon2 de ne nous parler presque que de weed (Naturel, avec Lyrrix, son acolyte de toujours), d’alcool (« Je fume beaucoup, j’réfléchis et je tise » sur T’es à moi), d’argent (« Y a que devant l’oseille que je ressens une telle libido » sur Le virage) et de filles (Elle), pour au final nous parler par éclairs soudains, par coups de lame, de sujets plus divers et inattendus.

Dès l’Introduction, le rappeur des Abymes, nous prévient en multipliant les références aux figures de la lutte noir-américaine (Jesse Owens, Rosa Parks), affirmant sa fierté noire, et attaquant l’Etat français, allant même jusqu’à affirmer « l’esclavage aboli, j’suis pas relax ». Cette dimension engagée de la musique de Pon2Mik vient tout particulièrement s’exprimer sur les questions sociales en Guadeloupe (« Au bled, y a toujours un tas d’anomalies / Ça meurt de faim comme en Somalie », Paris), qu’il lie à un message décolonial sur La qualité : « Engagé, oui j’me sens prioritaire / La Guadeloupe c’est à nous, on est propriétaires / J’suis pas à l’aise comme je veux sur mes terres ». Sous la carapace et les lunettes de soleil du personnage extravagant de Pon2Mik se cachent des fulgurances politiques, mais aussi des blessures personnelles qu’il évoque sur le titre Pourquoi, en featuring avec l’artiste dancehall Misié Sadik, où l’on sent le doute transparaître, inscrit depuis son enfance : « Pourquoi y a mama qui n’aime plus mon père / J’me l’demande encore, je vais pas te mentir ».

Au final, l’album de Pon2Mik, s’il comporte quelques moments moins marquants, des longueurs et des redondances, est rempli de promesses. Avec un personnage de tueur (d’instrus) froid tout droit sorti d’un film de gangsters, un flow aiguisé, de véritables moments de lumière dans son écriture, et des influences musicales antillaises que l’on retrouve encore peu dans le rap hexagonal, le rappeur guadeloupéen réussit à créer un univers esthétique unique, cohérent et identifiable, effleurant l’intime et le politique avec justesse, mais ne restant jamais loin des lumières de la nuit (Dans le club). Dans l’ambiance glaciale qui le caractérise (seul le titre T’es à moi avec Lorenz vient apporter du soleil dans cet album tranchant), Pon2Mik nous fait comprendre, sans jamais quitter sa nonchalance menaçante, qu’il compte bel et bien s’installer comme un personnage à part entière du rap français. C’est tout ce qu’on lui souhaite.

Guillaume Echelard

À proposGuillaume Echelard

Je passe l'essentiel de mon temps à parler de rap, parfois à la fac, parfois ici. Dans tous les cas, ça parle souvent de politique et de rapports sociaux, c'est souvent trop long, mais c'est déjà moins pire que si j'essayais de rapper.

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