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[Chronique] Rémy – C’est Rémy

Voilà. L’album de Rémy est enfin sorti. Le petit protégé du général (dit Mac Tyer) fait parler de lui depuis des mois, et nous étions nombreux à nous demander si le rappeur de vingt-et-un ans justifierait son entrée chez Def Jam. S’il était capable de ne pas perdre son souffle sur un long format.

Eh bien non, il ne l’a pas perdu, son souffle. Et 17 titres pour un premier skeud, à vingt ans, c’était osé, pourtant. On relève bien sûr quelques défauts par-ci par-là, mais dans l’ensemble, c’est un album solide, personnel et révélateur.

La tactique de promotion du jeune rappeur, sortir des clips et des sons à droite à gauche sur plusieurs mois avant de présenter un véritable album, a porté ses fruits. J’ai vu, morceau clippé qui a fait percer l’artiste, porté par un Mac Tyer souriant béatement, nous annonçait de belles choses mais pouvait ne pas convaincre totalement. Comme à l’ancienne et Rappelle-toi ont confirmé le talent de Rémy, et on ne pouvait donc que se réjouir de la sortie du LP. À noter que ce qui ressortait de ces deux derniers titres laissait augurer un album plutôt old school, et ce n’est finalement pas le cas, en tout cas pas dans la forme.

Dans le fond en revanche, oui. Rémy se décrit lui-même comme « mélancolique » et « conscient ». Impossible de ne pas faire de parallèle avec l’âge d’or du rap français, où les mecs dénonçaient une société injuste sur des pianos et des violons que beaucoup regrettent. Bon, et bien notre jeune rappeur a su les remettre au goût du jour. Si les sons « à l’ancienne » à proprement parler sont plutôt minoritaires sur l’album, les instrumentales tristes, elles, sont omniprésentes. Tristesse et mélancolie sont d’ailleurs les notes dominantes du projet. « Rémynem » va donc nous offrir un rap assez moderne, alliant rythmes trap et plus classiques (avec une prédominance du premier), sur des instrus aux percussions et rythmes plutôt actuels, mais dont se dégage un esprit d’une autre époque : un rap qui a quelque chose à dire. Car oui, ce qui manque aujourd’hui à cette musique, ce n’est pas un renouvellement de sa forme mais bel et bien un fond, qui est devenu silencieux.

Une musique imagée et consciente, mais qui ne vient pas de la classe moyenne aisée. Une narration rythmée et un certain recul. Voilà ce qu’il nous offre, le rappeur d’Aubervilliers. Et c’est une bouffée d’air, parce que tous ces éléments commençaient à manquer cruellement au rap. À l’époque de SCH ou de Jul, il devenait obsolète de parler de message et de conscience, mais il semblerait que l’on puisse à nouveau mentionner ces termes sans se faire traiter de réac’ ou de nostalgique d’une époque dépassée. C’est d’autant plus vrai que Rémy n’a pas quarante ans, mais seulement vingt-et-un, qu’il porte le flambeau de la nouvelle génération et a des choses à lui dire.

Et puis, alors que se multiplient les phrases sans article indéfini dans les textes de rap, on a du plaisir à entendre un artiste qui sait faire une phrase qui a du sens. Non pas que le petit de Mac Tyer revendique dans cet album un rap intellectuel, mais il sait aligner plus de deux mots, et ça fait du bien. Et hors de question de parler d’élitisme : Rémy parle d’une rue qu’il connaît, de la pauvreté et d’une certaine misère sociale, le tout avec les yeux de quelqu’un qui a vécu les choses dont il parle. Tous les sujets mentionnés sont propres au rap, mais on peut y ajouter une dose d’émotion et de conscience qui donne beaucoup de corps à cet album.

Malgré quelques imperfections, comme certaines interventions maladroites de Mac Tyer (on ne retiendra pas le refrain de Comme à l’ancienne ni le monologue dans Pas besoin), un nombre élevé de références de Rémy à sa mère ou son goût un peu prononcé pour l’autotune, le projet révèle une maturité évidente, des textes bien écrits (figures de style, punchlines et poésie indéniables) et une technique déjà solide. On peut décerner une mention spéciale à Memento Mori, en raison de l’émotion qui s’en dégage.

On mettra donc C’est Rémy dans les sorties 2018 à retenir (et il n’y en n’a pas tant que cela). La totalité de l’album tient la route, les prods sont bonnes et le sujet maîtrisé. Il n’y a plus qu’à attendre la suite pour voir la façon dont le jeune homme mûrira et le chemin qu’il empruntera. Sans doute le bon.

À proposTesflex

Rappeur/beatmaker + chroniqueur

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