En 2014, Romeo Elvis était encore l’un de ces innombrables rappeurs de la scène francophone à aligner assonances et allitérations dans un gloubiboulga de punchlines, sur des beat ninety-ish ayant fait la gloire et la renommée de toute la scène east coast des États-Unis. Le rap belge était alors sur le point d’exploser dans l’Hexagone et l’on voyait arriver gros comme une maison les succès de Caballero et JeanJass, Romeo Elvis lui, évoluait plutôt en arrière-plan.
En 2016 cependant, la sortie de son album Morale en collaboration avec Le Motel marque le tournant décisif dans la carrière de votre nouveau rappeur belge préféré. Au revoir les instrus entouragesques, bonjour l’influence du rap « alternatif » français (de Grems notamment, avec lequel il partage la passion du street-art), les prods aux accents house et la chillance californienne.
En 2017, Elvis et Le Motel remettent ça pour nous strausser un bon coup avec Morale 2, et on ne va pas s’en cacher : on est plutôt contents.
Morale 2 est de ces projets qui méritent d’être écoutés plusieurs fois, et même beaucoup de fois. Plus on l’écoute et plus on s’aperçoit qu’en fait, on n’avait rien compris la première fois, pas très bien compris la deuxième, et qu’à la fin de la troisième, on commençait tout juste à se faire une idée de ce que l’on était réellement en train d’écouter. En un mot comme en cent, Morale 2 est un projet très audacieux et sans doute très ambitieux également.
Pour preuve, une collaboration avec Grems ouvre l’album, et on sait que le prolifique MC du 20ème arrondissement n’est pas du genre à poser un couplet sur l’album d’un autre juste pour faire passer le temps. Le « Grems Seal of Approval » est rare et il faut bien que Michaël Eveno ait trouvé quelque chose de particulier à notre héros du jour pour le lui avoir délivré sur Nappeux.
Les collaborations sont d’ailleurs un élément essentiel de Morale 2. Tout d’abord, Morale 2, tout comme son prédécesseur Morale, est une collaboration entre Elvis et Le Motel. Ce mélange, cette alchimie, cette symbiose est palpable sur tous les tracks du disque. La musique de Motel occupe une grande place dans l’âme du projet, à égalité avec la voix et les textes de Roméo Elvis.
Ensuite, Morale 2 regroupe de nombreux invités. Grems ouvre le bal, suivi de Jan Paternoster sur Agora, d’Angèle, la voix féminine et envoûtante du très beau J’ai vu et de Les hommes ne pleurent pas, et Lomepal sur Thalys, qui partage avec le emcee belge le goût de la tranquillité et de l’autodérision.
Car oui, on s’amuse bien dans Morale 2, et c’est aussi en cela que réside l’audace du projet. Entre la référence surréaliste à Benoît (Lomepal dans Thalys), l’Interlude qui nous ramène à la genèse de Morale et Morale 2, les clins d’œil à Pineapple Express dans Diable, Romeo Elvis confirme son image de rappeur facétieux, drôle et qui n’a pas peur de ne pas se prendre au sérieux à l’instar d’un JeanJass ou d’un James Deano.
L’audace enfin, c’est peut-être le choix du chant sur pratiquement tous les morceaux de l’album. Romeo Elvis chante, et plutôt bien avec ça, et on ne peut s’empêcher de penser à un certain Kid Cudi (artiste audacieux s’il en est) à ses débuts, même si Romeo Johnny Elvis Kiki Van Laeken (c’est son vrai nom complet) apparaît comme beaucoup moins torturé que le rappeur de Cleveland. Tour à tour crooner (Drôle de question), chanteur de R’n’B à la Usher (sur Lenita, peut-être le morceau le plus réussi du disque) le MC belge chante même en anglais sur Switchin. Et le meilleur dans tout ça ? Cette musicalité exacerbée contribue à rendre les morceaux de pur kickage comme Thalys et Sabena encore plus efficaces, tout en lui permettant d’explorer des thèmes personnels et subtils.
Alors quid de l’ambition ?
En écoutant Morale 2 à la suite de Morale, un constat s’impose. Romeo Elvis trouve le bon dosage entre continuité vis-à-vis du premier opus de la série et virage musical serré. Si Morale sonnait un peu comme un galop d’essai, sa suite débridée lâche les chevaux et libère le MC. Morale 2, c’est le projet d’un artiste protéiforme pris dans un processus de mutation rapide et puissant. Il y a fort à parier qu’Elvis ne s’arrêtera pas là, et que si un troisième volet de Morale est à attendre, il frappera encore plus fort que les deux premiers, en prenant une fois de plus tout le monde à contrepied, ce qui sans aucun doute est la marque des grands artistes. Des rappeurs comme Kanye West ou Kendrick Lamar ont marqué le public tant par leur capacité à se positionner en précurseur que par leur propension à réinventer leur musique à chacune de leurs sorties. Certes, Romeo Elvis n’est pas (encore) une star d’envergure planétaire et ne le sera peut-être jamais (on le lui souhaite cependant), et cette comparaison devra être prise avec toutes les pincettes qui s’imposent, mais Morale 2 nous renseigne tout de même sur le matériau dont est fait le gaillard.
Morale 2, c’est une certaine idée du futur du hip-hop, radieux, mélodique et décontracté, rempli d’influences en provenance de tout le spectre musical, qui n’en finit pas d’ouvrir des portes sur ce que pourrait être le rap de demain, sous les aspects d’un album tropicool à partager entre potes comme un bon p… plat.