Deo Favente, traduit du latin, veut dire « par la faveur de Dieu ». Les premières questions que l’on se pose sont multiples. Ce troisième projet du rappeur aubagnais est-il à la hauteur des précédents ? Cet album est-il celui de la « maturité » pour l’artiste ? Va-t-il passer un autre cap et prendre une nouvelle direction artistique pour essayer d’atteindre un autre public ? Avant de l’analyser en détails, il est bon de poser les bases et de noter quelques points.
Tout d’abord, il est bon de rappeler qu’il s’agit du premier projet que notre cher SCH sort en dehors de la structure Def Jam France, avec qui il travaillait sur Anarchie et A7. En effet, le jeune Julien (il n’a que 24 ans, rappelons-le) a sorti son album Deo Favente sur le label Millenium / Capitol. Avec une équipe différente, certes, mais une réalisation globale qui est toujours assurée par les frères Fezari (Dj Kore & Dj Belleck) assistés du talentueux Aurélien Mazin sur plusieurs titres. Notons ensuite le retour en grandes pompes du beatmaker Katrina Squad sur le titre La nuit, mais aussi la présence inédite de Therapy sur le surprenant Temps mort et celle de Soulayman Beats sur Météore. Sans oublier les productions des talentueux Tshek (6.45i), Kezah (Poupée russe) et Drama State (Nino Brown et Mac 11) qui apportent une dimension musicale inédite et variée au projet.
Au niveau de l’artwork, on retrouve le travail du génial Koria, à la photographie mais aussi au design. Déjà à la baguette sur la pochette de l’album Anarchie, Koria récidive cette fois avec une pochette forte, aux couleurs sombres, dans un style aux influences Renaissance très prononcées. On retrouve un SCH les yeux baissés, de l’or fondu ruisselant sur le corps, avec une couronne de lauriers à la main. En posant ainsi, on retrouve alors un artiste dans une position non pas de faiblesse, mais plutôt d’humilité. Certes, il tient un symbole fort à la main, qu’on utilisait à une certaine époque pour couronner les chefs de guerre, mais il ne le tient pas sur la tête ici mais bien dans ses mains. Tout un symbole…
Voilà qui est fait pour la mise en conditions, rentrons maintenant dans le vif du sujet : l’écoute du projet. On va commencer logiquement avec Comme si, le premier titre de l’album, il ne fallait donc pas se louper. Après avoir entendu le traditionnel beat tag du producteur Kore « AWA the mafia my nigga » et une phrase d’introduction simple « On n’a pas grandi avec des cuillères en argent dans le cul » les premières notes du morceau nous lancent doucement dans le bain. On peut se dire à première vue que ce n’est rien de bien méchant, mais ça ne dure exactement que vingt secondes. Lorsque la production « décolle » dans un rythme saccadé et plus qu’entraînant, les phases marquantes et très imagées du rappeur s’enchaînent alors à une vitesse surprenante (« ta daronne en Classe C », « son cul passe pas la portière, il faut une nouvelle bagnole » ou encore « ça fait six ans qu’j’ai pas croisé le daron, toi, me dis pas qu’on s’voit plus ». Le seul répit dans ce morceau viendra à la fin du titre, lorsque SCH décidera de relâcher la pression avec une petite note de vocodeur. Le clip, réalisé par Hobo & Mojo, nous permet de mettre en images le titre. La comparaison peut paraître hasardeuse mais dans certaines scènes, le clip peut faire penser à celui du classique Ready Or Not des Fugees. Jet ski, hélicoptère, gros plans sur le rappeur quand il débite… Inspiration ou simple parallèle, l’ensemble est dans tous les cas très propre.
On enchaîne avec Nino Brown qui rend hommage au célèbre personnage interprété par le grand Wesley Snipes dans le film culte New Jack City (« un blauer, un cuir noir, j’tue comme Nino Brown »). Ce morceau est un titre assez égotrip, posé sur des basses profondes et des notes de piano glaçantes de Kore. Le titre est ponctué de quelques phases marquantes du style « j’parle à la lune, encore, j’vois ton reflet dans l’eau » (qui fait référence à son titre Fusil) ou « j’serais là si j’avais ton âme, j’serais là si j’avais ton time, mais j’en n’ai pas… » qui font ressortir une nouvelle fois la fatalité dont fait preuve SCH dans certains de ses titres… Viennent ensuite les premières boucles sonores du troisième titre (Allez leur dire) qu’on avait déjà pu entendre, en avril dernier, dans la vidéo de teasing de Deo Favente. Très planantes, ces fameuses boucles un peu « old-school et nuageuses » de DJ Belleck peuvent faire penser au morceau Lick de Tory Lanez à première vue. Elles s’accompagnent vite d’un ensemble piano / drums sur lequel SCH va poser sur des flows variés alliant rap, chant et vocoder. Il jongle habilement entre les trois tout au long du morceau en distillant des perles du style « on connaît ni untel, ni untel, les vautours rôdent avant les chrysanthèmes », « le tueur c’est pas l’Abbé Pierre » ou encore « tu meurs où les tits-pe jouent au football, c’est rien, ils joueront demain » qui laissent pensifs… On notera aussi la ressemblance frappante entre le flow de SCH sur son refrain et le flow de 21 Savage sur le premier couplet du titre No Heart. Trop plein d’inspiration ou pâle copie ? À vous de juger.
Le morceau qui suit peut choquer à la première écoute… Avec Day date on est en droit de se poser la question « mais qu’est-ce qu’il a fait » avec cet enchaînement de mots français, anglais et italiens qui intervient de façon un peu hasardeuse au début du morceau, dans un flow « type Migos » et son enchaînement abusif de name-dropping… Mais, après plusieurs écoutes, on en déduit simplement que ce titre est le « titre léger » de l’album qui se veut être un « tube de l’été ». Déroutant au début et plutôt ambiançant en fin de compte. On notera entre autre la référence à des monuments du rap marseillais IAM, F.F, Psy4 que le S a bien saigné étant plus jeune ; et aussi le petit hommage au modèle « Day Date » de la firme Rolex avec ce titre, qui témoigne de son amour de plus en plus prononcé pour l’horlogerie.
Place maintenant au premier des deux titres produits par Drama State sur le projet. Avec cette petite introduction en mode Le Parrain à la guitare, aux influences italiennes notables, le titre Mac 11 nous transporte dans un morceau particulier, dans lequel SCH va évoquer deux thèmes intimement liés pour lui : le temps qui passe, et la réussite. « Les arbres ont maigris tout l’automne […] mes flingues et mes putains d’habits sont neufs, j’passerai te voir si j’ai le temps… ». Il nous montre ici que le principal inconvénient de sa réussite est le manque de temps, mais d’un autre côté on voit qu’il apprécie le succès « 10 briques dans l’froc, j’empile c’est bandant » et c’est cette confrontation qui le ronge. Passer du temps avec sa famille est important, sans aucun doute, mais gagner de l’argent et réussir aussi. Parfois, le choix peut sembler difficile pour lui et la consommation d’alcool va venir compléter ce « processus » de souffrance « j’ai perdu l’souvenir de la veille, sur ma tête, j’suis seul sur ma ‘teille. Moi j’avais pas l’quart de leur paye… ».
Le sixième titre de l’album a été intitulé Les années de plomb probablement en référence à une période sombre de l’histoire durant laquelle des mouvements politisés ou anarchistes ont utilisé le terrorisme comme moyen de revendication ; un thème clairement d’actualité. L’intro du son va vite venir poser les bases d’un titre assez violent : « On crame ta piaule au gaz propane, faut qu’on agisse avant la métastase, c’est une nouvelle ère… comme la mort d’un Savastano ». Mise à part cette énième référence à l’univers de la série Gomorra, on retrouve un SCH percutant : « je vois les couleurs dans un coin ombragé, mais toi t’es plus là, comme un traître… », « en vrai j’vois pas ça comme un jeu, on préfère entrer dans la jungle, les attacher et les laisser à jeun… » ou encore « j’sais qu’elle finira pute, si elle est bonne en maths et bonne en jupe ».
Autre titre fort du projet, le morceau suivant intitulé Pas la paix vient caresser nos oreilles avec une jolie production travaillée en trio par Ponko, Aurélien Mazin et Kore. Une musicalité douce, aux influences italiennes une fois de plus, qui vient glisser habilement sur des petites basses. Le tout est parfait par des paroles un peu sombres et profondes du style « scène de crime bien pire que dans tes clips, j’sais qu’c’est la première fois qu’tu vois des mecs sans âmes… », « zone encore mon fantôme dans les rues où j’ai erré, j’l’ai dans mon cœur, rien qu’j’le retrouve dans mes thèmes… » ou encore « il m’faudrait une piscine de lean pour oublier mes peines » qui rappelle celle de Kaaris et son célèbre « je lean pour noyer ma peine » dans le morceau hommage Gucci Mane. Le ton est sérieux mais le flow assez léger et posé, ce qui contraste fortement avec la violence du titre et qui rend le morceau à la fois intriguant et réussi.
Changement d’ambiance avec le morceau J’attends qui fait partie des singles de l’album. Sur des notes de guitare très « pop mélancolique » et une dynamique kick / drums, SCH s’ouvre presque complètement et énonce pas mal de regrets vis-à-vis d’une relation passée et du temps perdu, du temps qu’il a passé loin d’elle. Les phrases pleines de sens s’enchaînent alors… « Je t’ai envoyé un texto quand j’étais stone, mais je t’ai détesté quand je t’avais demandé de rester… », « pour embellir une vie on peut fleurir une tombe » ou encore « je ressens des vagues de tristesse m’envahir, j’les vois heurter les falaises aux pieds des montagnes ». Il est probable que ce titre soit lié au morceau Fusil présent sur son premier projet, et qu’il s’agisse de la même personne… Le morceau qui suit est particulier. La production de Kore aux sonorités étranges est difficile d’accès et les couplets tournent en rond autour du thème principal du titre : la Kush. Un titre de trop dans le projet, assez pauvre lyricalement, qui aurait pu être retiré de la tracklist finale.
On entame maintenant la deuxième moitié du projet avec le titre Poupée russe dont le clip a été reporté de quelques jours à sa sortie, suite aux attentats survenus à l’encontre des forces de l’ordre sur les Champs Elysées. En effet, le clip nous présente SCH en train de torturer un flic, comme dans la célèbre scène du film Reservoir Dogs de Tarantino, quand le majestueux Michael Madsen découpe l’oreille du policier sur un air de Stealers Wheels. Un grand moment de cinéma qu’a décidé de reprendre SCH à sa sauce pour illustrer un titre fort du projet. Plata, plata, plata !
Vient ensuite le banger 6.45i qui a introduit l’album en tant que premier single. C’est du sale pendant 2 minutes 50. Avec des phases du genre « ta reum’ au début c’était rien qu’un plan cul à ton père, tu vas pas nous la faire » ou « j’tartine des Pocahontas, j’les tire par les fesses et les tresses » c’est clairement de la violence gratuite que nous sert SCH avec ce morceau. La prod de Tshek et ses 808 bien grasses viennent achever le boulot. On redescend légèrement avec le titre Slow mo qui suit, mais les phases restent bien écrites : « C’gosse enchaîné dans ma tête est mort et j’ai pas fait mon deuil » ou alors « les yous-voy, ils font pas de montages photos » qui envoie une pique à ses détracteurs qui font des montages sur les réseaux sociaux.Place à La nuit, un morceau touchant, rempli d’émotions. Enregistré avant son décès, ce titre apparaît comme une dernière lettre adressée à son père, qu’il n’écoutera finalement jamais… sur une prod de Katrina Squad, qui mêle violons et guitare sur un sample de Loreena Mckennitt, SCH nous distille des lyrics profondes et très personnelles « Quand mon père partait travailler, il faisait gris dans le cœur de ma mère, elle savait que le soir il rentrerait ivre… », « ça sent l’essence dans le tuyau jaune, quand papa siphonnait le semi les clopes et les doigts jaunes, mes rêves noyés dans un demi… », qui se ponctue d’un refrain dont le message est clair « ne pars pas, je t’en prie »…
Quatorzième piste du projet, le morceau Ça va a beaucoup fait parler de lui, mais non pas en raison du poids de la collaboration avec Lacrim, seul featuring de l’album, mais plutôt à cause de la fameuse polémique liée à l’artiste londonienne Paigey Caikey, qui l’accuse sur Twitter d’avoir plagié son titre Down qui est sorti six mois avant Deo Favente. Même instrumentale, même flow, la couleur du titre est bizarrement identique. On attend de voir ce qu’en disent les artistes ou la maison de disques, en attendant on vous laisse juger par vous-même…
Météore produit par Soulayman Beats pouvait ressembler à première vue à un hommage à Booba, tout comme le morceau Le Doc était un hommage au titre culte de Doc Gynéco. Mais ici, SCH en a décidé autrement, il a posé un morceau simple sur une prod assez douce et légère. Cet album fait baisser la pression d’un cran et nous guide vers le dernier titre de la version CD classique. Le morceau Temps mort vient ainsi clôturer cet album de manière magistrale. Therapy nous surprend en composant une prod fraîche, et différente de ce qu’il nous propose d’habitude, sur laquelle SCH va chanter de manière étonnante. Un titre à fort potentiel commercial, qui va probablement beaucoup tourner cet été…
Pour résumer, Deo Favente est un album qui partage. Il y a une prise de risques sur les teintes musicales proposées sur quelques titres, on a parfois un retour aux fondamentaux sur des titres plutôt rap, comme il faisait à ses débuts hors-projet, ou sur A7 par exemple, et aussi quelques expériences sur des sonorités inhabituelles de son registre. Il faudra encore quelques écoutes pour vraiment s’imprégner du projet et prendre du recul sur la chose, mais SCH nous prouve encore qu’il est en constante évolution et qu’il ne veut pas se cantonner à ce qu’il sait faire. Ce n’est pas un mauvais opus, c’est un opus travaillé, mais cet album est peut être un album de « transition » dans sa jeune carrière. Le prochain projet sera, qui sait, encore plus prononcé au niveau des sonorités pop ou au niveau des influences de chanson française, mais ce qui est sûr c’est qu’il va diviser. SCH va toucher plus de monde, mais aussi perdre des fans…
c’était les années de plomb pour la bourgeoisie, années d’espoir pour les prolos et autres opprimé-e-s
dans de nombreux pays, partout dans le monde en fait : des forêts d’Amérique du sud aux villages indiens (Naxalbari) en passant par les déserts de Palestine, les montagnes du Pays Basque ou les ghettos afro-américains
Album « deo favente » plutot travaillé. Dommage que certains morceaux penchent vers un RNB rappisé (refrains chantés plus que rappés) Grosse erreur d avoir mis le titre hold up en bonus « fnac » car il est vraiment dans le top 3 de l album. perso je ne l ai pas sur mon CD et je suis un peu deg…
SCH est vraiment un rappeur atypique, et c’est que l on aime chez lui. Un style totalment different des autres rappeurs, sans muscu, cheveux long. Continue et fais nous plus de titre bien mechant comme hold up, comme si .
Un rappeur a suivre, sincerement.