Voilà maintenant 6 ans que nous étions sans nouvelles de Stupeflip, depuis l’excellent Hypnoflip invasion. Il y a certes eu l’EP Terrora en septembre 2012 puis Bouts d’stup, mais depuis le dernier concert du Pognon Tour un certain soir d’août 2013 plus aucun signe de vie. Mais c’était oublier que « Le CROU ne mourra jamais » et le 5 octobre 2016, le fondateur du groupe, King Ju, annonce le lancement d’une campagne de crowdfunding sur le site Ulule. L’objectif était d’atteindre les 40 000 € avant le 17 novembre afin de financer le mixage de l’album. Au final, cet objectif sera atteint moins d’une heure après le lancement du projet, et à la fin de la campagne, Stupeflip aura récolté 427 972 €, soit 1069% et le record de financement participatif européen. Comme quoi les disciples de la Stup religion étaient tapis dans l’ombre et attendaient juste leur moment.
Et de fait, le 3 mars 2017 sortait Stup virus, qui s’annonce sans doute comme le dernier album de Stupeflip. On y retrouve ce qui fait la spécificité du groupe, leur univers loufoque, décalé et grinçant, parfois naïf parfois cynique, ainsi que la farandole de personnages qui y est associée. La légende raconte que le CROU fut fondé en 1972, comportait 894 membres et avait pour but de « terroriser les populations », il disparut en 2999 mais la menuiserie, une « entité démoniaque créatrice de sons », lui survécut. On y retrouve les trois membres de Stupeflip, King Ju (a.k.a , Flip, Raskar-Kapak, l’Épouvantable Épouvantail, le Fléau), Cadillac (a.k.a Casimor, Stup, Le vieux, Stef) et MC Salo (a.k.a Mr Michel, Jean-Paul III, Popaul) mais aussi toute la pléthore de personnages secondaires tout aussi étranges comme Pop-Hip qui revient du Stup enfer, Sandrine Cacheton (synthétiseur vocal de google) qui remplace Fabien Pollet l’ex porte-parole du groupe décédé dans d’étranges circonstances ou encore le naïf Reverb man.
Cependant l’univers du Stup n’est que très peu développé dans cet album, on ne parle plus des « Régions » ou de « l’ère du Stup », ce qui pourra décevoir certain lapins fanatiques. D’autant plus que le premier morceau dévoilé The antidote sonne un peu simpliste et « commercial » malgré un sample sympathique (rappelant rapidement Stupeflip vite) et un bon flow sur les couplets. Heureusement, le deuxième extrait, Understup, sans doute l’un des meilleurs morceaux de l’album (sur le sample du Dies Irae du Requiem de Verdi) est venu rassurer les adeptes des débuts du CROU.
Au niveau des sonorités l’ensemble est toujours aussi sombre mais bien moins énervé qu’au début de Stupeflip, et prolonge l’esthétique du précédent album où les guitares électriques commençaient déjà à faire place aux samples et aux synthés. Ici, quasiment pas de guitares, excepté sur la piste Knights of chaos. Comme d’habitude, les membres du CROU ont la manie de « prendre des ptits bouts d’trucs et puis les assembler ensemble ». Les interludes chers au groupe sont toujours présents bien qu’un peu moins intéressants que sur Hypnoflip invasion. Le résultat donne un album d’une grande variété qui ne lasse pas et surprend toujours, on passe des sonorités psychédéliques de Creepy slug aux synthés ultra-kitsch des années 80 sur Lonely loverz à la trap sur Stup virus.
Même si les textes du groupe sont réputés pour leur ésotérisme et parfois leur absurdité, on ne peut nier la grande qualité de ceux-ci sur cet album. Il y a un mélange de poésie, d’humour puéril, de rage et de mille autres émotions, parfois contradictoires. On ne peut s’empêcher de sourire lorsque le « terroriste bienveillant » s’interroge : « Où qu’il est donc c’t’amour qui pourrait mettre tout l’monde d’accord ? ». On appréciera aussi 1993 où pour la première fois les membres de Stupeflip parlent de leur vie réelle et de la naissance du groupe. Ensuite, le flow inventif de King Ju fait toujours autant plaisir, grâce à son constant renouvellement, car il semble toujours à la recherche de nouveaux timbres. Il en va de même pour les rares interventions de Cadillac.
En somme, ce Stup virus est excellent, témoigne de l’évolution tranquille du style du groupe. Les fans de la première heure tout comme les nouveaux auditeurs à la recherche d’originalité seront sans aucun doute séduits par le style inclassable de l’ovni qu’est Stupeflip. Bien qu’annoncé comme leur dernier album, notamment dans l’ultime morceau Pleure pas Stupeflip, les lapins disciples de la Stup religion savent bien que le CROU ne mourra jamais, et attendent, tapis dans l’ombre, les dernières révélations sur le Mystère au Chocolat.