Le charmante ville de Marseille. Son soleil, son vieux port, sa Canebière, son Stade Vélodrome, son pastis et sa culture rap… Culture rap certes, mais qui se fait particulièrement discrète ces dernières années. Les chants de Soprano sont devenus agaçants, sans parler d’Alonzo et son nouveau pote Jul. Même si on n’oublie pas R.E.D.K., Keny Arkana, ou encore Kalash l’Afro qui ont su nous régaler ces dernières années, force est de constater qu’on est bien loin de l’époque où les MC Marseillais faisaient de l’ombre aux Parisiens sous la trempe d’IAM, de la FF et du 3ème Oeil.
Alors que le rap est devenu un véritable produit de consommation, fort d’un marché qui propose pas loin d’un album de qualité dans les bacs chaque semaine, de nouveaux talents venus des quatre coins de la France sortent régulièrement la tête de l’eau. Si le reste du Sud-Est (Perpignan, Sète, Montpellier) s’est découvert de nouveaux porte-paroles, la jeune génération d’Aix-Marseille a du mal à se faire d’autres noms que Ladea ou les Sales Gosses. C’est donc avec plaisir qu’on a découvert huit irréductibles Salopards, à la fois cons et consciencieux, qui ont choisit 2015 pour apporter un peu de fraîcheur musicale dans la ville de la Bonne Mère. En nous servant une Bouillabaisse à 17 titres qui a de quoi rassasier les plus affamés.
Commençons par les présentations. Nous avons Poz et Lamanif (formant à eux deux le Botanik Crew), Hermano Salvatore et L’Ami Caccio (membres de Grande Instance), Aksang, Assono, Yul et Tetris. Huit voix, huit flows pour une pluralité de styles et d’écritures que seule rassemble l’envie de kicker. Le groupe pratique le fait maison puisque la quasi-totalité des prods ont été composées par des membres du groupe. Il en est de même pour la réalisation graphique que l’on doit à Poz.
Si le crew est encore peu connu de l’hexagone, les RC-addicts ont pu aperçevoir Hermano et Lamanif aux dernières éditions des Rap Contenders, ce dernier s’étant fait particulièrement remarqué avec ses punchlines de fisteur-bisexuel-nécrophile, et j’en passe. Il faut avouer que son personnage de dérangé sexuel fait rire, ou au moins sourire. Mais si en vous procurant l’album vous vous attendez à écouter huit MCs à l’humour déviant s’inspirer de viols de nains handicapés pour aligner des rimes, je vous arrête tous de suite : PLU-RA-LI-TE. C’est bien le maître mot pour qualifier ce collectif. Ainsi, en plus de faire un tour à l’asile avec Lamanif, vous pourrez profiter des innombrables jeux de mots d’Hermano, du style et de l’authenticité d’Aksang, des multi-syllabiques mélodieuses de Tetris, de la voix roque et imposante de Caccio, du timbre plus suave et posé de Yul, du flow percutant d’Assono ou encore de l’accent très prononcé de Poz. Cette diversité a souvent fait la force des groupes de rap. À condition bien sûr de conserver une homogénéité dans la démarche artistique, pour éviter que l’album ne soit qu’une décevante succession de freestyles. Fort heureusement, les salopiauds ne sont pas tombés dans ce piège, et nous ont pondu le 20 avril dernier un album agréablement surprenant.
« Suis-je un génie ou un con? Vous vous posez cette question,
Pendant ce temps là j’arrose la foule avec mes sécrétions » Lamanif, Je suis Salopard
« Les valeurs s’perdent c’est grave, mensonges, hypocrisie,
Et le gouvernement nous cuisine : MasterChef d’Etat » Hermano Salvatore, Clope et Café
Parlons déjà de l’univers de cet album. Avec un titre comme Bouillabaisse, une pochette qui met en scène un décor à la Marcel Pagnol, pastis et olives en premier plan, on comprend que les mecs viennent avant tout représenter leur département avec une bonne dose de second degré. La véritable recette de la Bouillabaisse (attention, aucun jeu de mot mielleux ici) insérée à l’intérieur de la pochette ne nous fera pas démentir. Cette image mi-beauf mi-street était annoncée par les trois morceaux/freestyles offerts par le groupe début 2015 sur Youtube.
Premier coup de cœur pour Tous à l’eau plate , troisième titre clipé de l’opus, hymne aux soirées alcoolisées qui retrace les meilleurs moments du groupe et dont le clip nous montre que Tous Salopards, c’est d’abord une bonne bande de potes. Sur fond de Dub, ce titre fait véritablement fureur en concert, preuves à l’appui. Nos Salopards nous offriront également deux autres titres faits pour chauffer les salles avec Clope et Café et One Man Show, exploitant les talents de chanteurs de Caccio et d’Assono, qui assurent la plupart des refrains de l’album. Caccio toujours au refrain dans Ferme là, titre un peu moins agréable musicalement mais dont on appréciera les punchlines à la gloire de leurs grandes gueules : « J’envoie diverses images, niveau expression j’suis plus au stade de la la liberté mais du libertinage » (Lamanif). « Seul mon verre de sky peut me scotcher la bouche » (Tetris). « Dans ce monde on est tous des enfants donc la vérité sort de la bouche des gens francs » (Hermano)
De C’est Dans L’ombre au très entraînant synthé de L’absinthe, la démarche musicale sera dans la tendance de l’école actuelle : un bon cassage de MIC à base de comparaisons égotrip :« Ne crois pas que je stagne, comme une beuh mal éclairée» (Poz), et quelques dédicaces : « C’est pour mes buveurs de liqueur, mes fisteurs, mes kickeurs » (L’ami Caccio) ; alcool et cannabis toujours au cœur des débats. Les textes plus terre à terre de J’assume apporteront une dose de légèreté grâce à un sample aux belles sonorités blues, sans être transcendant.
Nouveau coup de cœur pour le morceau Cellule de Crise. L’instrumentale est à la fois franchement originale et lourdissime (on trouve trop souvent l’un sans l’autre), parfaitement introduite par la sévérité du premier couplet d’Aksang, qui casse la baraque avant de passer le relais à tous ses collègues dans une forme olympique. Pas étonnant que nos Salopards aient choisis d’être au complet sur ce titre à l’atmosphère impeccable.
Ensuite, ce qu’on ne savait pas avant d’acheter leur album, c’est que les Salopards excellaient dans l’art de raconter une histoire en se faisant personnages de leurs récits. Dans Western Spaghetti, un fabuleuse prod vient créer un climat de Western dans lequel les Marseillais rentrent chacun dans la peau d’un vieux briscard de l’Ouest, tout en nous offrant de nombreux parallèles avec notre époque. A écouter absolument. Puis vient le morceaux Boeuf dont la mise en scène rappelle les films de Guy Ritchie. Un garçon de café blasé : « Ironie du sort j’éponge mes dettes en essuyant des tables » (Hermano), un camé, un dealer, un mafieux et un chauffard bourré dont les destins s’entrecroisent le temps d’une chanson. Une idée innovante pour un très bon morceau. On espère voir un jour un clip pour ce titre dont le potentiel visuel est particulièrement intéressant. Dans Début de Milieu de Fin de Journée, dont on avoue chercher encore le pourquoi du titre, chaque Salopard se met dans la peau d’un instrument pour le personnifier (on ne s’étonnera pas de voir Lamanif choisir le ridicule triangle). Encore une admirable production, sur laquelle chaque instrument apparaît derrière le couplet de son parolier attitré. Bref, les Salopards nous ont charmé dans ces mises en situation réussies qui viennent pimenter leur Bouillabaisse.
« Vagabond des longs chemins, d’où je viens ?
Je sais pas. Si ça m’revient la flasque de sky me déconnecte jusqu’à demain.
A l’écart, ombre noir au fond d’un bar malfamé, la femme à poil sur le billard est acclamée.
En fin de soirée, des sales connards bourrés s’échangent des crochets,
Des tables volent, à chaque ceinture une arme est accrochée » Aksang, Western Spaghetti
Enfin, la pluralité de l’équipe permet à nos Salauds de nous pondre un peu de rap conscient. Sur une instru aux airs de classiques, Dans l’Oreille d’un Shure réaffirme leur passion pour le rap et la volonté de rester vrais. Assono nous décrit avec rage le rejet mutuel existant entre l’industrie du disque et leur vision du rap « Je m’en bat de leur salaire je t’envoie ça parce qu’il faut que je m’aère, je t’ai jamais parlé de faire du son ma carrière » Tetris prend le relais haut la main : « J’préfère placarder les parages, travailler mes sales phases que partager des pages fan. » Plus léger, Petit Pantin et sa mélodie boisée n’en est pas moins dénué de sens. L’ami Caccio, Tetris et Aksang accusent l’instrumentalisation de notre système en assimilant le français moyen à un pantin, emprisonné dans un quotidien dont il est impossible de s’extirper sans « s’étrangler dans ses propres ficelles ». Le plus sombre Période de Vie est un simple soulagement de pensées, qui permet à Hermano d’aligner les figures de styles tout en évoquant ses doutes sur sa futur paternité : « Quoi lui dire ? Que ce monde est infecté mais qu’il doit l’intégrer ? Je nous vois déjà nous inquiétez. Puis j’me dis que si on lui apprend à garder les pieds sur terre on l’aura bien élevé ». Même principe pour Quand j’écris ça qui permet à Aksang de nous rappeler de superbe manière que même si le groupe affiche une image bon délire, leur quotidien n’est pas toujours aussi drôle « Fin de mois essoufflé les pâtes collent à la casserole, mais y a toujours de l’alcool et de la drogue pour s’étouffer. On ira pas lécher la patronne, mais la putain d’sa mère quand j’écris ça je reçois mon bulletin d’salaire ». Voilà donc quatre titres plus sérieux et riches textuellement. Pour ceux qui préfèrent l’art de la punchline Lamanifienne gore et débile, ne vous inquiétez pas, vous aurez votre dose dans Je suis Salopard.
Une fois familiarisé avec l’univers des MCs Marseillais, on en reviendrais même à apprécier l’épouvantable climat de Mars Attack, que le collectif avait choisit comme 1er extrait officiel de l’opus, reprenant le concept du Planète Mars d’IAM pour annoncer leur envahissement à venir. Envahissement qui s’est ressenti le mois dernier lorsque la FNAC d’Aix-en-Provence s’est retrouvée en rupture de stock le jour de sa sortie. Reste à savoir si le reste de la France peut être conquis.
« Plus qu’un crew, qu’un collectif, tout un mouvement,
Tous Salopards, partout le son tourne doucement » Yul, Cellule de Crise
Le nom était donc parfaitement trouvé pour cet album, qui est en soit une véritable Bouillabaisse. Une grande marmite dans laquelle on y jette une multitude de poissons, légumes et autres ingrédients, qui a mijoté avec amour pour une recette Marseillaise unique. Un CD sur lequel on a balancé une chiée d’instrumentales, de flows, de thèmes et de styles variés, cuisiné à feu doux par la Salopard attitude. Le tout servi sur une pochette jaune poussin peu appétissante pour les non initiés, mais dont les premières bouchées mettront les amateurs d’accord. Il est possible que l’on trouve le congre peu à notre goût, mais on se rattrapera sur la lotte et sur la rascasse. Et si les papilles raffinées apprécieront particulièrement les explosions de saveurs d’un Hermano ou d’un Aksang, il n’empêche que toute l’authenticité de l’assiette se situe dans ses huit poissons de roche. C’est sûr, certains ne trouverons pas la soupe à leur goût. Nous, ça nous a fait du bien de bouffer autre chose que des pâtes ou du riz. Il n’y a plus qu’à vous souhaiter à votre tour un bon appétit.
Les titres « boeuf » et « début d’une fin de journée » ont été inversés à l’impression sur la pochette d’album.
En tous cas elle est excellente cette bouillabaisse !