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[Chronique] VII – Les matins sous la lune

Cela fait déjà quelques années que VII s’éloigne progressivement des voies mal éclairées de l’horrorcore pour rejoindre, solidement ancré dans un rap introspectif, celles de l’engagement politique et de la critique sociale, dans un esprit résolument hip-hop. Si Éloge de l’ombre nous en disait déjà beaucoup plus sur le personnage et ses combats quotidiens, on découvrira ici une confirmation de l’engagement et du côté humain de l’artiste. Dès la première piste, on est incités « à l’émeute sur du boom bap balèze ». Voilà de quoi poser les fondations d’un album de rap très politisé.

Si l’engagement, dans un cadre très personnel, est ce qui ressort de façon marquée de l’ensemble des titres, la mélancolie, elle, est un peu moins présente qu’auparavant (au moins au niveau instrumental) et se transforme petit à petit. L’album est évidemment empreint d’une forme de tristesse qui n’a jamais quitté le rappeur bayonnais – « je suis noir à l’intérieur comme si mon cœur avait crâmé » – et les amateurs d’instruments à cordes se verront ravis par les diverses boucles de piano, posées çà et là dans l’album (Kevlar, Promesse à Enora et d’autres encore), mais sa structure globale est plus enjouée, pour ainsi dire, que ce que l’on a pu écouter auparavant venant de VII.

En effet, même si le fond n’a pas vraiment changé, la forme si (le rappeur se réinvente toujours un minimum dans chaque disque), et l’on découvrira un album plus hip-hop dans la forme que d’ordinaire, parfois bercé par des samples jazzy, et fortement rythmé par des percussions qui ont le grain du vinyle et de la MPC. C’est le cas notamment de La métaphore et de l’excellent Ce trouble dans mon esprit, probablement le meilleur morceau du projet. Ce qui renforce ce côté boom bap originel, ce sont aussi les scratchs d’artistes français de l’époque dorée (Passi, Calbo ou bien même Raphaël de La Cliqua), lesquels, en plus de donner une seconde voix aux morceaux, viennent rappeler de beaux souvenirs.

Au côté hip-hop vient s’ajouter un deuxième aspect prononcé : l’ambiance spatiale, qui commence dès la pochette et le titre de l’album et s’achève avec le dernier morceau, Sans soleil, épaulé par un texte dur et personnel sur un loop de batterie craquelé et un sample atmosphérique. On retrouve ce côté céleste et poétique un peu partout, entre autres dans la mélodie et les paroles d’Interstellaire mais aussi dans la strophe de Fayçal qui se prête à ce jeu dans le featuring que tout le monde attendait depuis des années : Né de la dernière pluie. On en retiendra notamment cette phrase très imagée : « Constamment mal assis mais ne me suis pas dit « t’es rien »/ Extra-terrien ici n’est pas ma galaxie ».

Il n’est pas superflu d’insister sur le côté politique de l’album. Les idées très à gauche de VII sont omniprésentes dans son œuvre, mais encore plus depuis quelques années. Il revendique haut et fort la défense des opprimés. Immortel est une narration à la première personne en faveur des Kurdes du PKK et de leur lutte contre Daesh, envers et contre tous. Le morceau fait écho à Lit de mort, que l’on trouve dans le précédent projet et qui adoptait une structure similaire et décrivait l’oppression du peuple basque (pendant le franquisme et après). Enfin, pour la première fois dans sa musique, et peut-être même dans le rap, un artiste hip-hop prend position de façon claire pour les droits des homosexuels et ceux des femmes : ce sont les thématiques de La corde et Capturées de bonne heure. Ces deux sujets, plutôt tabous dans un milieu musical qui ne s’est jamais caché de sa misogynie ou de son homophobie, sont abordés de façon poignante, à la manière du storytelling, et sont un peu l’apothéose du militantisme de VII.

Ce disque tout droit sorti de l’underground est probablement le plus mûr et un des plus aboutis d’un rappeur qui est toujours resté fidèle à ses principes tout en sachant évoluer suffisamment pour que le public suive et apprécie. Solennel et introspectif, souvent autobiographique, politisé et tout de même mélancolique, il s’inscrit dans un cadre hip-hop très bien défini, et reste dur, malgré une poésie indéniable. Probablement l’une des plus belles œuvres de rap de l’année 2017.

 

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Rappeur/beatmaker + chroniqueur

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