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[Chronique] – Zone Libre PolyUrbaine

Suite aux collaborations avec les rappeurs Casey, Hamé (La Rumeur) et B.James qui avaient accouché de deux albums rock/rap d’une puissance noire, L’angle mort (2009) et Les contes du chaos (2011), Zone Libre se colorise et devient PolyUrbaine. L’album est désormais disponible depuis le 25 septembre.

Le duo formé par le guitariste Serge Teyssot-Gay et le batteur Cyril Bilbeaud mêle son univers aux voix de deux rappeurs :
– le franco-libanais Marc Nammour, voix et plume de La Canaille, que l’on ne présente plus. Les mots de Marc Nammour ont déjà rencontré la guitare de Serge Teyssot-Gay. Sur le titre Omar de l’album de La Canaille La nausée, ainsi que pour une lecture improvisée du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé CésaireDebout dans les Cordages avec le duo Zone Libre (pour voir le résultat c’est ici).
– le rappeur new-yorkais Mike Ladd, auteur d’une dizaine d’albums, dont Welcome to the Afterfuture (1999). Connu pour dénoncer la maltraitance subie par les minorités ethniques ou lutter contre l’uniformité à travers sa musique, le désormais parisien n’a eu de cesse de collaborer avec des musiciens d’influences multiples.

Le projet figure sur le label Intervalle Triton, fondé par Serge Teyssot-Gay après avoir claqué la porte de chez Universal. Le nombre de projets indés sortis devrait d’ailleurs faire passer sous silence l’éternelle étiquette« d’ex Noir Désir » collée au guitariste.

12019997_1686811604865247_3159942414096399027_nMarc Nammour, Cyril Bilbeaud, Serge Teyssot-Gay, Mike Ladd

 

Parole musicale unique

Aimons-nous les barrières ? A mon humble titre personnel, non. Ça tombe bien, Zone Libre PolyUrbaine non plus et leur musique se moque bien d’en abattre un maximum tant elle pioche dans une multitude l’influences. L’engagement est au delà des mots et se situe dans une singularité artistique.

Les riffs de guitare de Serge Teyssot-Gay collent à la batterie de Cyril Bilbeaud mais Zone Libre PolyUrbaine ne se contente pas d’entremêler le rock et le rap. Le résultat n’est pas simplement des flows de rap sur des riffs de guitares. Les paris sont multiples, influencés par les rythmes de l’afro-beat.
Les rythmes des morceaux de l’album sont impairs, ce qui vient trancher avec l’éternel binaire dont le rap français abonde. Au delà de l’ambiance particulière qui en découle, il y a derrière ce choix un message de rupture, presque de libération.

Le parti pris d’un album construit sur deux langues et deux flows différents se révèle un choix risqué puisqu’il n’est pas évident de saisir immédiatement le propos en jonglant entre le français et l’anglais. Mais le mariage est réussi ; là où Marc Nammour est un peu plus tranchant et ténébreux, Mike Ladd est quant à lui plus puissant et chantant. Je vous invite d’ailleurs à vous pencher tout aussi bien sur les paragraphes en anglais de Mike Ladd que ceux de Marc Nammour (paroles publiées et à paraître sur la page Facebook du groupe).

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Ode à la ville

L’album débute avec le titre Ici le bout de la chaine et l’on retrouve immédiatement dans la poésie de Marc Nammour l’essence qui l’alimente depuis des morceaux comme L’usine ou Une goutte de miel dans un litre le plomb sur l’album éponyme sorti en 2009. Le monde urbain et ses habitants : la vie ensemble. Les esplanades, les terrains de basket, les langues qui s’entremêlent, la richesse des cultures ; le monde urbain est la véritable trame d’un album qui chante les « hommes sans voix, les femmes sans voix » des quartiers situés en périphérie des villes.

L’écriture en prose de l’homme qui « n’écrit pas pour rimer mais pour exprimer » est au service d’une cohérence toujours à la recherche de l’authenticité, celle du message plutôt que l’obsession souvent stérile de la punchline. Difficile donc d’extraire les mots de leur contexte poétique et musical mais je me risque tout de même à livrer les premiers mots du morceau Crackometti :

Et mon quartier est semblable à tous les quartiers populaires
en ce sens qu’il dépérit en périphérie
La même grisaille, la même folle concentration
Les mêmes cloisons en carton

Chaque titre s’empresse de briser une cadence sociétale nuisible. Celle du travail, aliénant, sur le titre Screwed (en traduisant : jeu de mot entre vissé et foutu) « Ici ton cerveau tu l’oublies/tu le laisses au vestiaire et tu fais pas chier avec » , ou celle d’un système oligarchique bien huilé « Et ça fonctionne, ça embrume, quand l’importune a revêtu son plus beau costume/Et ça fonctionne, ça embrume, mon quartier vote pour un salut à titre posthume » (A titre posthume).

Une ode à la ville donc, imagée par le clip du titre La montagne, un « hommage aux mères de nos cités populaires », aux « lumières à l’ombre du père ».

Ma mère
Ma mère cette montagne
She can move a mountain was there ever a doubt
Ma mère
Ma mère cette montagne
She brought you in here she can take you out

 

Énergique et hypnotique

Zone Libre PolyUrbaine est un chant à l’énergie des habitants des quartiers populaires. On retrouve cette vitalité, cette endurance présente et maintenue sur tout l’album.  A l’image du morceau Garde fou pendant lequel on retient son souffle pendant les quatorze minutes hypnotiques qu’il dévoile. L’électrique, tantôt saturé tantôt mélodique, de Serge Teyssot-Gay caresse les rythmes multicolores de Cyril Bilbeaud.

Les conditions d’enregistrement de l’album sont celles du live, sans overdub (son rajouté à ceux déjà enregistrés), démontrent une nouvelle fois le souci d’authenticité et de puissance de la musique de Zone Libre PolyUrbaine. Une énergie communicative que l’on a hâte de découvrir sur scène.

Zone Libre PolyUrbaine est un album hybride, capable de lier les saveurs en se jouant d’une liberté polychrome. La musique de Zone Libre est un athlète qui court son 110 mètres haies en prenant bien soin de faire tomber toutes les haies. Et qui gagne, sans triomphalisme.

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Photos : Ced Forban

Zone Libre PolyUrbaine – label Intervalle Triton, distribué par L’Autre Distribution – disponible chez ton disquaire indé ou un peu moins indé, ou encore en digital ici.

Dates de la tournée par là.

À proposFélicien

Amateur de plumes, j'aime le rap lorsqu'il lie la puissance des mots à la chaleur de l'instrument.

3 commentaires

  1. J’adore ce groupe musical et le « polyurbaine » de la pochette est bien imagé avec ce visage coloré magnifique, d’ailleurs qui en est l’auteur?

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