Dans le cadre du centenaire de la naissance d’Albert Camus (7 Novembre 1913- 4 Janvier 1960), Abd Al Malik propose un spectacle intitulé L’Art et la révolte entre hip-hop et musique classique, inspiré par la toute première œuvre de l’auteur algérien: L’envers et l’endroit. Le rappeur des NAP rend alors hommage à celui qu’il considère depuis son plus jeune âge comme un pote, un grand frère, un mec de cité. C’est l’occasion de se pencher sur les rapports qu’entretiennent le rap et la littérature à travers l’exemple de deux artistes aux destins quasi-similaires. De leur enfance précaire à leur soif d’apprendre, voici l’histoire de deux hommes que la culture a arraché à la misère sociale.
» En allant prendre le métro ce matin, quand j’allais à Brooklyn donc, je suis tombé sur une petite librairie qui vend de vieux livres. Et devine quoi? En farfouillant un peu, j’ai trouvé une édition originale de L’Etranger de Camus. C’est dingue, non ? Je l’ai eu pour rien, j’étais comme un ouf. Je me suis mis à le relire dans le métro. C’est peut-être la chaleur ou la clim’, ou bien peut-être l’ambiance et l’odeur des pages du bouquin, ou bien encore la démesure américaine … Ce qui est sûr, c’est que j’ai pris une grande décision, ça a été comme ça, comme une révélation ! Je me suis dit, comme si je réalisais dans ma chair et dans mes tripes que j’étais la France, comme si j’étais un truc inédit et connu en même temps, une sorte d’identité collective, que fallait à partir de maintenant que je représente. Mais pas juste comme dans les skeuds de rap, je veux dire pas juste dans mes textes et mes attitudes, pour de vrai à l’intérieur. (…) Comme si j’avais conscience d’un destin mais pas façon égo, grosse tête, prise de tête et tout ça, mais pour de vrai. Comme si je m’éteignais en tant qu’individu et que je devenais porteur d’une énergie. De l’énergie qu’on véhicule lorsque l’on représente vraiment. De l’énergie qui irradie quand on aime pour de bon. C’est pas évident de décrire ce que j’ai ressenti. C’était comme si je m’offrais à l’universel, comme si j’étais un peuple à moi tout seul. Le chaînon manquant entre le rêve et la réalité. Quand on ressent un truc comme ça, a-t-on encore le droit de renoncer à l’infini ou d’être honteux de sa passion pour l’utopie ? « (Lettre à mon frère Mattéo, Le dernier français, Abd Al Malik)
Le premier passe son enfance dans la misère de Belcourt, sous le soleil d’Algérie. Le jeune Camus est élevé par sa mère seule et sourde qui ne sait ni lire ni écrire. Il est très vite repéré à l’école communale pour ses capacités supérieures à la norme dans un quartier précaire comme le sien. Le jeune homme, déjà très mâture, entreprend un parcours de philosophie et continue de pratiquer sa passion, le football. Mais très vite, la maladie pointe son nez et le contraint à stopper ses activités. Il s’agit de la tuberculose, la maladie des poètes. Quand il retrouve la santé, c’est son professeur Jean Grenier qui le prend sous son aile en l’initiant notamment à Nietzche. Camus commence à lire de plus en plus (Gide, Dostoievski, Malraux) puis publie très jeune son premier ouvrage qu’il intitule L’envers et l’endroit, source inépuisable de toute son œuvre à venir. Sa notoriété ne cesse de croître et plusieurs de ses livres sont très bien reçus par la critique (L’étranger, La peste, Le mythe de Sisyphe etc.) Engagé à propos des opprimés espagnols ou de l’indépendance algérienne, il est un des premiers auteurs à se lever contre l’utilisation de la bombe atomique à Hiroshima. En 1957, il est récompensé du prix Nobel de Littérature. Un temps proche de Jean-Paul Sartre, il se défait des conceptions élitistes promues par les cercles intellectuels et bourgeois de l’époque. Philosophe et dramaturge, il questionne sans cesse l’absurdité de l’existence. Son œuvre humaine et sincère est la mise en page d’une existence à la fois singulière et universelle qui s’étire entre le détachement du monde et la quête inaltérable d’un sens. En 1960, il meurt dans un accident de voiture avec son ami Michel Gallimard. Dans le véhicule, on découvre le manuscrit inachevé de ce qui aurait dû être sa dernière œuvre, intitulée Le premier homme.