Chroniques Décryptage

[Decryptage] Lucio Bukowski – Reliquaire

Reliquaire. Nouvel extrait clippé du poignant Requiem / Nativité de Lucio Bukowski : un plan fixe troublant et troublé plein de couleur, un éternel recommencement, et une douce impression de nostalgie flottante qui n’abolit pas l’avenir pour autant.

Les aiguilles sont les petites filles timides de la mort, bien discrètes devant les autres enfants qui ne les remarquent jamais. Avec le temps qu’elles se donnent, elles prennent de l’assurance pour jouer des tours aux jeunes adultes, chargée de confiance, elles accélèrent leurs courses pour quiconque les regarde de trop près. Agressives, elles griffent les visages des habitués de vivre pour les rider avant de rayer leurs noms des mémoires du bout de leurs pointes.

Lucio ne les accable pas, conscient que leur mouvement est un ouroboros inéluctable, autant profiter des matériaux poétiques qu’elles déposent pour l’escroc « le plus attentif qui saura fructifier le flair » (Clientes fidèles). Ces reliques sont par exemple les photos de classes poussiéreuses qu’on possède tous. La poussière ! Sable mélancolique des lieux désertés, elle se plait dans les ruines, rêveuse, elle s’épanouit dans les étoiles. Elle n’a besoin de personne pour vivre si bien qu’elle rappelle la mort, solitaire, elle jouit lorsqu’elle réussit à se faire oublier, bipolaire, elle se manifeste à mesure qu’on l’oublie. Bien taquine, elle recouvre de son manteau les objets de notre jeunesse comme pour les préserver, les protéger, alors même qu’elle est le premier signe de décomposition du souvenir.

Les souvenirs se cachent « sous des draps blancs », derrière les jaunissures des images, se reconstruisent au gré des mémoires bancales, se terrent dans le regret, et s’ils sont ravivés par la chaleur de quelques bières, leur matière première tend à se dégrader à l’image de ce « goudron sans magie » du terrain de basket surplombé « d’auréoles déchues ». Pourtant le souvenir reste sacré selon chacun, comme le titre ambivalent de Reliquaire le sous-entend, reste que ces lieux empreints de nos éclats de rires passés, véritables pèlerinages pour nostalgiques, ne sont que des bouts de terrains alléchants pour promoteurs immobiliers et couleurs de béton en tout genre « Le parc est devenu un building ». Soucieux de retrouver « cette part de nous dans ce perpétuel changement »  comme il l’écrit dans son recueil de poésie Je demeure paisible au travers de leurs gorges, Ludo fait avec ce morceau le constat que nos souvenirs nous appartiennent plus que jamais, la rue n’étant plus disposée à rester ce reliquaire commun.

Le souvenir, comme une pâte à modeler des émotions, est à refabriquer, à chérir, tandis que le temps perdu du souvenir n’est plus à rechercher « Tenter de saisir c’qui s’est évaporé ne rime à rien » comme il le déclame dans sa fin de couplet, venant justifier par le fond le choix de la forme qui exclut les rimes finales. Une rime camisolée qui ne signifie pas l’absence de rythme et de maîtrise – encore faut-il le rappeler – la rime a la vertu de réguler le vers en poésie, d’imprimer un rythme, mais peut s’effacer dans le cadre du rap quand l’instru se charge de découper le temps à coup de percussions. Le flow du rappeur passe la seconde couche sur la toile d’Oster Lapwass, en laissant légèrement en suspend des fins de phrases fougueuses portées par une batterie d’instruments qui eux aussi se détachent les uns des autres vers le silence des fins de mesures : une belle manière de présenter la course du temps, et d’imiter la narration mélancolique des souvenirs avec son débit rapide et enthousiaste ponctué de quelques temps morts où l’on se replonge dans l’anecdote fraîchement racontée.

Promesse d’avenir

Plonger dans nos reliquaires c’est aussi interroger le présent, se dédoubler, constater ce qui n’a pas marché, porter ses cicatrices en trophées ou maudire les vieilles plaies toujours ouvertes : Lucio s’interroge « Suis-je celui que j’espérais devenir il y a 20 ans ? » et répond avec la lucidité qui le caractérise « Je m’en approche comme l’heure de la clôture ». Revenir dans le passé est, paradoxalement, un raccourci vers la mort, alors plutôt que de tirer « des balles à blancs sur des ectoplasmes » – superbe formule – le jeune papa choisi l’avenir, plus effrayant mais lui bien réel : il remonte le fil du temps vers l’avant, jusqu’aux lacets de son jeune fils, la boucle est bouclée, comme dans le clip, les fils deviennent pères : les horloges sont bel et bien de leur côté.

Etienne Kheops

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"Je n'ai qu'une plume bon marché pour planter les cieux"

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