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[Dossier] Pour en finir avec la comparaison rap / littérature

Lorsque le rap a dépassé ses premiers écrins et qu’il a commencé à résonner dans la tête des universitaires, c’est d’abord la branche sociologique qui s’est chargée de le décortiquer. Avec plus ou moins de pertinence, car le mouvement a globalement été réduit à son substrat politique et social. Genre hybride entre langue savante et argot, musique et exigence textuelle, scansion et écriture, divertissement, discours intimistes et revendications sociales, la question de l’esthétique rap est une épine pour les études ultra spécialisées qui chacune ont tendance à faire prévaloir leur domaine de recherche sur la pluralité de cet objet culturel. On assiste cependant et ce depuis les balbutiements des premiers MC français, à une comparaison tout autant tenace qu’elle est absurde : celle du rap avec la poésie, et plus globalement avec la littérature.

Christian Béthune propose dès 2004 une esthétique rap, Julien Barret un peu plus tard établit une filiation entre grands rhétoriqueurs et rappeurs. La Nouvelle Revue française comparait Booba à Céline bien avant que Les Inrocks ne prennent le train en marche et se demandent cette année si Booba pouvait être considéré comme un grand poète, pendant ce temps, France Inter le compare à Montaigne, Gaël Faye sort un livre à succès, un certain Ludovic Villard un recueil de poésie, Oxmo adapte Alice au pays des merveilles, Sadek et S.Pri Noir clament que Le rap est une littérature lors d’un concert littéraire et Vîrus sort Jehan-Rictus de son tombeau.

Il ne s’agit pas ici d’argumenter sur la question qui à titre personnel me semble futile. Le rap n’étant pas un bloc monolithique mais plutôt une mosaïque d’artistes aussi variés que nombreux, dire que le rap est ou pas une poésie moderne sera toujours discutable selon les cas. En revanche, évoquer les différentes réactions à propos de cette comparaison peut nous en apprendre bien plus sur ce qu’est la pensée rap.

  • Une consanguinité culturelle

Énormément de rappeurs ont, avec plus ou moins de finesse, établi une relation entre leur plume et celle des grands écrivains. Benoit Dufau, responsable du séminaire de stylistique consacré au rap français à l’Ecole normale supérieur de Paris, attire notre attention sur l’ambivalence de ces filiations:

 « Quand les rappeurs français proclament leur appartenance au domaine de la poésie et plus largement de la littérature, c’est toujours en mettant l’accent sur le caractère profondément ambivalent et provocant de cette revendication. Le cas de Joey starr est à cet égard emblématique : il est à la fois celui qui dans un morceau prétend ‘au titre d’arrogant poète’ et celui qui en interview dit à propos du rap : ‘moins c’est littéraire, mieux c’est’. Il est rare qu’un rappeur se déclare purement et simplement poète. La plupart du temps, d’autres mots, comme arrogant, sont mis dans la balance pour créer des effets de contraste et faire de la prétention une provocation : ‘mon rap un poème sans poésie’ (Booba), ‘poète illégitime, un peu Rimbaud un peu Rocancourt’ (Lino), ‘poète vandale’ (Ekoué).»

Ces formules à priori antithétiques pour qui conçoit la littérature comme un domaine sacralisé et élitiste démontrent à la fois la quête de la légitimité artistique chez les rappeurs, et leur émancipation vis-à-vis de cette reconnaissance. En France, s’établir dans un courant culturel aussi chargé d’histoire et de splendeur que la littérature, c’est démontrer un besoin d’excellence et de reconnaissance, et cela en dit beaucoup sur l’ambition propre aux rappeurs.

On observe toujours un contrepoids dans la formule qui vient dévitaliser ce qu’on pourrait appeler une assimilation culturelle. Pour Lino, le rap est une « sale littérature », il proclame une filiation, mais une filiation torturée, presque conflictuelle, que l’on n’admet pas. Sofiane tranche même avec l’idée quand il dit « Si t’as plus à dire que les autres écris un bouquin », démontrant un certain complexe d’infériorité qui n’a pas lieu d’être – on peut dire autant et aussi bien dans cet espace à priori plus réduit et plus brut qu’est le rap. L’ironie, c’est que cette disqualification pointe le bout de son nez dans un morceau inspiré par une grande oeuvre littéraire, à savoir celle de RilkeLettres à un jeune poète et que le rappeur multiplie dans son dernier couplet les références à la littérature (Edmond Rostand, Marcel Pagnol) ! On perçoit ainsi que le lien entre rap et littérature est celui d’un enfant bâtard à sa grande sœur adorée de tous et dont on chante les louanges. Il désire sa lumière tout comme il aime lui tirer les cheveux et lui cracher dans la bouche. C’est un petit con à la verve acide qu’on aime réduire à sa vulgarité quand bien même il serait plein d’esprit.

 

  • Le rap n’est pas un objet littéraire

Cette consanguinité culturelle, Bettina Ghio ne la saisit qu’à moitié. Professeur de français, elle  a publié un ouvrage qui mêle le rap et la littérature et qui, bien que convainquant sur certains rapprochements, néglige l’aspect musical du rap et ainsi réduit de moitié son potentiel expressif en utilisant que le texte. Ensuite, l’auteur a tendance à calquer les grilles de lecture littéraires sur un art autrement plus complexe à appréhender. Dernière erreur, elle semble figée dans les années quatre-vingt-dix, là où le rap et plus généralement le Hip-Hop tout entier est une culture du mouvement et de la mutation.

Sylvain Bertot remet d’ailleurs brillamment la démarche de la jeune femme en question : « Tant qu’on se penchera sur le rap comme objet littéraire, on fera en fait un contresens, on passera à côté de l’essentiel, on oubliera qu’il est avant tout une musique. Le rap est perdant, à chaque fois qu’il s’agit de l’évaluer selon des critères qui ne sont pas les siens : ses contempteurs ont en fait parfaitement raison de le prétendre inférieur à la littérature ; et ceux qui, par bienveillance, voire par jeunisme, prétendent le contraire, se trompent de combat. Ce ne sont pas les bons termes du débat. Il faudrait en fait cesser cette volonté de soumettre le rap aux valeurs de la littérature classique, et le laisser bousculer une hiérarchie des cultures qui n’est autre qu’arbitraire. »

Le rap a en effet recherché, dans la première décennie de son existence, la reconnaissance des cultures légitimes en utilisant la littérature comme argument d’autorité et comme figure tutélaire parfois jusqu’à l’absurde : le rappeur balance à la volée quelques noms d’écrivains, suffisant pour se faire mousser et montrer patte blanche devant ceux qui voyaient jadis le rap comme une musique tapageuse aux textes faibles. Or, le name-dropping n’élève le texte que dans les esprits pompeux en manque de sensations. En cherchant une légitimité, les rappeurs se sont positionnés de fait comme inférieurs et en conséquence, ont donné raison à ces hiérarchies culturelles.

Aujourd’hui ce n’est plus le cas, le rap a mûri et consolidé, même multiplié, ses critères esthétiques, et a rejeté ce complexe d’infériorité. Ce mouvement s’est approprié des influences diverses puis s’est forgé une identité propre et indépendante. Plus que toute autre musique, le rap est un matériau composite qui ne saurait être rangé dans une catégorie autre que celle qu’il s’est créé à force d’obstination.

« Qui soigne ses écrits ? Alors qu’en vrai j’suis sûr qu’il parle mal  » AlonzoBraquage vocal

  • Le mépris à l’envers

On se trompe de débat en voulant rapprocher rap et littérature, mais ces travaux et contre arguments ont le mérite d’éclairer quelque chose : s’il n’est plus aujourd’hui en quête de légitimité intellectuelle et qu’il a acquis assez d’expérience pour jouer avec ses propres codes, il y a un snobisme qui sous couvert de louer le rap français à coup de grandes analyses (souvent pertinentes, ce n’est pas le propos) et de comparaisons référencées, ne fait que nier son autonomie esthétique vis-à-vis des autres disciplines. C’est se réfugier dans l’idée qu’un produit culturel de qualité doit forcément emprunter le sillon d’une culture hégémonique. Alors on garderait les fines plumes tout en éjectant ceux pour qui la force est ailleurs. Finalement, c’est toute la question des pouvoirs culturels qui est présente. En somme, ceux qui pensent valoriser cette musique en l’approchant d’un art à priori plus noble, font du mépris à l’envers. Ils sont les antagonistes des détracteurs les plus virulents, qui n’avaient de cesse de clamer la dangerosité de cette musique d’analphabètes, pourtant, ils se réfèrent aux mêmes lieux communs de la domination culturelle.

Aurore Vincenti, auteur l’année dernière de Les mots du bitume: de Rabelais aux rappeurs, petit dictionnaire de la langue de la rue par exemple, évoque avec une tendresse maladroite ces mots d’argots fantastiques que les rappeurs utilisent pour revitaliser la langue. Il y a dans cette manie de s’extasier devant un vocabulaire dont elle est totalement étrangère, une façon de réduire le rap à une curiosité ludique. De plus, et loin de moi l’idée d’accabler cette femme sans doute pleine de bonnes intentions, elle nous dit que le rap peut être une porte d’entrée vers la littérature, comme le petit fleuve modeste nous conduit vers l’océan autrement plus grand et profond. Encore une fois, le rap a au mieux ce rôle de faire-valoir. Autre degré dans le grand n’importe quoi, l’article des InrocksComment le rap français a réécrit (et dépassé) l’Histoire de la poésie, dans lequel les rapprochements tirés par les cheveux sont légions, on y parle du « Duc aux semelles de vent » sur son « nuage rimbaldien » par exemple. On contorsionne l’Histoire de ces deux arts afin de les faire s’embrasser. Le clos du spectacle- la faciale en l’occurrence- intervient  lorsque l’article nous explique comment PNL a réussi là où la poésie a échoué. Merci pour eux.

« J’ai passé cinq ans à écouter du rap et à le lire ensuite sur Genius. Au début, je débarquais, je ne comprenais pas grand-chose. Le schéma était le suivant : j’avais le son dans les oreilles et les paroles sous les yeux sur Genius. J’écrivais au fur et à mesure les mots que je ne comprenais pas. »Aurore Vincenti

J’aimerai profiter de ce paragraphe sur le mépris à l’envers pour évoquer le cas de Moha La Squale. Son explosion  me semble être l’un des exemples récents les plus frappants de ce mépris de classe que l’on déguise en éloges passionnés, bien qu’il ne soit pas question ici de la filiation rap / littérature. Le gamin, plutôt bon rappeur sans être transcendant,  est porté aux nues grâce à tout ce qu’il peut représenter pour les bobos en mal de contes de fée: un jeune galérien de quartier comme il en existe tant qui tombe en prison avant de crever l’écran et de réciter du Shakespeare. La rudesse du dealeur apaisée par la gueule d’ange du comédien, le langage embourbé du délinquant sublimé par la grâce du dramaturge qui lui prête ses vers: le fantasme bourgeois de la rédemption culturelle tourne à plein régime. Il n’y a qu’à voir le passage du bonhomme dans C à Vous pour éprouver le malaise d’une rencontre forcée entre deux marques: celles d’un rap pas très excitant avec celle d’une littérature médiocre, en l’occurrence Amélie Nothomb.

  •  L’art de la tension

Le travail du rappeur est de faire croire qu’il écrit comme il parle, puisque son art est un art de l’oral. Il n’a pas à traduire dans une langue châtiée, à travestir en quelque sorte, la pureté d’une parole qui pue le vrai et le quotidien de chacun. Il est pourtant naïf de penser que le rappeur écrit de manière brute et sans filtre. Au contraire, le rap est une écriture à multiples contraintes à cause de la rime mais aussi des temps à respecter puis de la justesse de sa voix. Sa syntaxe est travaillée au millimètre (du moins chez les rappeurs dignes de ce nom) pour habiller un flow qu’il actualise sans arrêt. Son véritable talent est celui-là : condenser son verbe jusqu’à la formule la plus intense qui soit à la fois sensée, juste et authentique. Dans le rap, la richesse d’une écriture ne se mesure pas à son degré de littérarité. Ces rapports entre texte et scansion en rythme sont primordiaux pour définir une esthétique du rap qui ne soit pas contaminée juste par le texte.

« De même qu’une partition de musique est faite pour être jouée, on ne peut imaginer un texte de rap qui ne serait pas rappé. Un texte de rap est conçu pour être dit et calé sur un beat : ignorer les contraintes spécifiques au genre, ce serait se priver de comprendre les ressorts de cette écriture. Mais considérer que le rap se situe dans l’oralité pure serait oublier que le rap entretient un rapport étroit et intime avec le texte écrit, sous la forme d’une représentation et d’une tension. » Benoit Dufau

Un art de la tension, du mélange et de l’évolution perpétuelle, c’est ce vers quoi le rap tend. Les mots ne sont qu’un matériau de plus à son registre. Aussi, à partir du moment où les mots sont un des matériaux d’expression pour l’artiste, il est logique de trouver dans le rap des figures proprement littéraires. Seulement, leur présence, leur beauté, ne constituent pas une filiation. Au contraire, les mots du rappeur obéissent à d’autres lois et subissent grâce à la musique des agencements différents de l’écrit qui leur donnent une existence propre dans un morceau. Les extirper du cadre musical pour les analyser à froid est donc une erreur. Les rappeurs ne sont pas poètes ni écrivains lorsqu’ils rappent, ils sont rappeurs. Bien sûr, il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet, on pourrait se demander ce qui fait la littérarité d’un texte ? Est-ce une question de forme ou de valeur ? Ces débats, prégnants dans la critique littéraire, sont finalement pas si éloignés de nos propres questionnement sur l’identité du rap français: qu’est-ce qui est rap, pourquoi ? Y-a-t-il des types de rap ? Auquel cas certains ont-il plus de valeur que d’autres, et pour qui ? Comment les définir ? Finalement, il conviendrait de souligner que l’idée d’une filiation entre rap et littérature n’est ni insultante pour l’une ou l’autre mais qu’elle est malvenue pour l’une et l’autre.

Etienne Kheops

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"Je n'ai qu'une plume bon marché pour planter les cieux"

10 commentaires

  1. C’est triste de voir que vous ne voyez pas où il y a de la misogynie dans votre article mais au fond ça ne me surprend pas car cette façon de traiter des femmes est malheureusement bien ancrée dans nos habitudes. En plus, on a tellement insisté sur les propos misogynes et sexistes chez les rappeurs quand ils utilisent des formules chocs et des termes vulgaires qu’on nous a tous et toutes aveuglé.e.s sur les formes plus subtiles de chosifier les femmes. Ce que je trouve misogyne dans votre article ce n’est pas le fait de contester les travaux des deux femmes que vous citez – loin de là, libre à vous d’y adhérer ou non, les travaux de recherche sont là pour être débattus, élargis, complétés – mais le ton et les termes que vous employez pour le faire. Un ton qui n’est pas le même que vous utilisez pour parler des travaux des hommes est même bien différent de celui employé pour montrer votre désaccord avec la démarche de Moha La Squale ou avec l’article des Inrocks, qu’au fond vous ne faites qu’« égratigner », comme vous dites dans votre réponse.
    A tour de rôle, vous nous présentez toutes les deux comme celles qui « faisons des erreurs », qui ne saisissons les enjeux qu’à moitié, qui avons « tendance à calquer » des choses que nous avons apprises, qui « réduisons le rap à une curiosité ludique », qui avons « la manie de nous extasier devant son vocabulaire », un vocabulaire qui nous « serait en plus étranger » et qui faisons tout ça « avec une tendresse maladroite » mais « sans doute avec de bonnes intentions ». Comme si tout ça n’était pas suffisant, vous mettez en exerce des propos décontextualisés d’Aurore Vincenti où elle raconte sa démarche à l’origine de son dictionnaire qui laissent comprendre une possible ignorance initiale sur les mots du rap.
    Face à notre ignorance, votre article met en exerce des hommes chercheurs et auteurs qui ont des arguments d’autorité et qui viennent nous rencarder « en remettant brillamment » notre démarche.
    Mais ce n’est pas tout, vous ne nous présentez pas par ce qui nous sommes – heureusement que vous nous avez laissé au moins le statut d’autrices et à moi celui d’enseignante de français- contrairement à Benoît Dufau, par exemple, que vous prenez le temps de présenter. Vous ne dites pas, par exemple, qu’Aurore Vincenti est linguiste spécialiste de parlers populaires et qui anime une chronique sur France Inter sur ce sujet. Dans la façon dont vous montrez notre travail, on dirait qu’on se met à parler de rap autour d’une tasse de thé et d’un gâteau après notre cours de Pilates. Vous nous chosifiez en rappelant en plus notre statut de femmes, vous tenez à insister sur notre genre : « la jeune femme en question » (merci au passage pour l’attribut de « jeune »),« loin de moi l’idée d’accabler cette femme sans doute pleine de bonnes intentions ». Je me retiens ici de ne pas rentrer dans l’analyse du choix du terme « accabler » dans cette phrase, tout comme du fait que vous profitez plus loin pour indiquer au passage et gratuitement « la littérature médiocre » d’Amélie Nothomb.
    Enfin, après cette façon de présenter notre travail, le lecteur ne peut que comprendre le terme « naïf » de votre conclusion (“Il est pourtant naïf de penser que le rappeur écrit de manière brute et sans filtre”) qu’en s’adressant à notre réflexion. Je suis persuadée, malgré tout, que votre article était sans doute plein de bonnes intentions.

  2. Qu’est ce qui se passe sur ce site ? Y’a des commentaires maintenant !
    Il faut dire que l’article est particulièrement excellent !
    Bravo à toute l’équipe pour votre taff en tout cas, on y trouve des perles !

  3. Alors d’emblée, l’accusation puérile de misogynie faudrait arrêter un moment donné. Je prends ces deux exemples car ils sont significatifs à mes yeux, sans aucunement m’arrêter sur le sexe des auteurs, c’est vous qui faites une fixation. J’égratigne aussi Moha La squale, les articles des inrocks entre autre, bref. C’est quand même une sale obsession féministe de tout ramener à la domination masculine et à l’écrasement du féminin, surtout, ça fausse d’emblée le débat sur lequel je suis pourtant très ouvert mais de voir que vous commencez par ça, c’est un peu désolant et ça donne pas envie de répondre davantage. Mais je vais le faire quand même car je suis un garçon bien élevé sous mes allures de dangereux misogyne. J’ai travaillé pendant un an avec une femme formidable, Benjamine Weill, pour un projet sur le rap français justement. Je me suis beaucoup nourris de son expérience et de son vécu en la matière et j’en profite pour la saluer ici, tout ça pour dire que les femmes ne sont pas plus ou moins légitime que les hommes à mes yeux, que ce soit pour parler de foot ou de rap comme vous dite, incroyable de devoir montrer patte blanche et de se justifier ne permanence juste pour poser le débat.

    En plus, c’est mal tombé, car ma pensée sur ce sujet difficile a mûrit grâce à énormément de facteurs, de lectures, de discussions, d’écoutes, et votre livre est un de ces facteurs. Aussi, je ne pense pas que vous vous en souveniez, nous avons eu un entretien, ou plutôt un échange de mail, à propos de votre livre. Je préparais un mémoire sur le sujet justement, vous aviez été très disponible et je vous en remercie encore, donc il faut aussi oublier l’idée selon laquelle j’aurai seulement survolé votre ouvrage. Votre livre est simplement le seul qui se soit autant affirmé quant à la manipulation des concepts entre le rap et la littérature, en ce sens votre ouvrage fait référence à mes yeux et je dis même qu’il se montre pertinent sur bien des points. Ce sont justes des réserves que j’émet, je ne le réduit pas.

    Vous précisez que votre livre a un parcours avant de se retrouver publier sous cette forme. Il est issu d’une thèse en doctorat. Très bien, c’est justement là que je trouve ses faiblesses car il présente toutes les qualités requises dans la sphère universitaire, mais il n’a pas subi de refonte pour s’inscrire dans un cadre moins gainé, exigent et ultra balisé. Par endroits, j’ai trouvé le propos beaucoup trop alambiqué, opérant des rapprochements entre rap et techniques littéraires corrects du point de vue de la forme, mais totalement risibles pour un lecteur lambda qui n’est pas familier avec – pardonnez l’expression- la branlette intellectuelle des universités. Aussi, je pense que la refonte de votre thèse, avec une actualisation des exemples et l’ouverture de nouvelles perspectives de réflexion aurait été bienvenu. C’est ce manque qui donne l’impression d’une fixation sur la fin des 90’s malgré quelques exemples plus récents tirés ici et là. L’ouvrage m’a paru bon, mais déjà quasi obsolète à sa sortie malheureusement, et pour en avoir parlé avec plusieurs amis, je ne suis pas le seul à m’être fait la réflexion. J’ai moi-même du faire ce travail pour extirper mon propos de cette vitrine afin de le salir, de le rendre plus souple, afin d’accoucher de cet article. C’est d’ailleurs un reproche que je me fais à moi-même sur cet article, il prend encore trop la forme universitaire, dans sa colonne vertébrale au moins. Je ne dis d’ailleurs pas du tout que vous faite un raccourci aussi grossier que : le rap c’est de la littérature. Je dis juste que toute la réflexion sur l’oralité ne m’a pas convaincu, qu’on restait sur sa faim, et donc qu’il en restait une certaine prévalence du texte et de l’outil littéraire. Mais vous le dite vous-même, c’est par l’outil littéraire que vous offrez un éclairage nouveau.

    Merci pour le lien et les précisions de vos interventions, je regarderai de plus près. Cependant, vous en conviendrai, le sujet est extrêmement vaste et j’aurai bien sur pu en dire énormément plus, mais dans le cadre d’un article il a fallu sacrifier, laisser de côté. J’évoque moins les rapports intrinsèques entre rap et littérature que les motivations de ces rapprochements. L’article n’est pas un brulot contre votre livre, je le cite en exemple sur un paragraphe seulement, donc je ne peux pas m’étaler non plus sur l’intégralité de vos interventions. Et je ne dis pas non plus que l’approche littéraire est une erreur, juste qu’elle est insuffisante à elle seule.

    Je suis d’accord avec vous sur le fait que le rap soit aussi un art du texte, que la littérature s’étend à l’oralité, je ne fige pas la littérature dans l’objet livre. Aussi, il me semble important de remarquer également l’inverse : l’oralité dans la littérature, écrite j’entends. Pour Calaferte, le texte doit être un viol, pour Rictus, il doit être habité par des voix, des voix populaires, la langue doit être une entorse au prétexte du vrai. Tout cela, je l’encourage en littérature et je remarque les liens avec le rap. Mais cela ne doit pas conduire à des raisonnements totalement inverses et volontairement « provocateurs » (dans l’apparence ne tout cas) du style PNL c’est de la grande littérature, Booba c’est du Céline (pour vous c’est plutôt NTM, dans votre livre). Un moment il y a un snobisme insupportable qui sous couvert de défendre le rap l’écarte totalement de son jus, de sa substance. Aussi je fais remarquer que si le cas de Booba est bien plus utilisé pour le comparer à de grands auteurs dans la littérature, c’est moins par pertinence (il y en a, mais faut pas exagérer) que par volonté de faire du clic, de provoquer le grand écart, de se faire mousser, d’aller à rebours de tous les jugements négatifs à l’emporte-pièce que le rap a subit depuis des décennies.

    Je suis 100% d’accord avec votre conclusion, je pense juste qu’on n’a pas la même manière de répondre à cet élitisme. Le rap a assez de force, d’histoire, d’identité pour ne pas devoir se faire disséquer par des instruments élitistes justement, il faut je pense nuancer sa manière de faire, d’écrire, d’analyser quand on parle de rap et non pas transposer nos réflexes universitaires car ce ne serait pas lui faire honneur.

    Merci pour votre commentaire en tout cas !

  4. Je viens de prendre connaissance de cet article que, si bien traite de questions qui me tiennent à cœur et sur lesquelles je travaille avec beaucoup de sérieux, je trouve pour le plus réducteur et aussi misogyne. Déjà les deux seules femmes que vous citez c’est pour montrer à quel point elles abordent le rap avec ignorance, approximations et naïveté, genre les filles quand elles parlent de foot…
    Je regrette que vous ayez juste survolé mon ouvrage ou peu-être lu à peine une recension, car si vous l’aviez vraiment lu vous n’auriez pas pu réduire son contenu à un placage de fiches de lectures sur des textes. Vous citez mon ouvrage en dehors de son contexte : il s’agit d’un bouquin issu d’une thèse de doctorat en littérature faite entre 2006 et 2012 et, comme toute thèse doit porter assez de recul sur le sujet étudié (je passe les détails sur les obstacles rencontrés à l’époque par cette thèse pionnière sur ce sujet « ignoble » en études littéraires). Dire alors que l’une des erreurs de l’ouvrage est le fait de travailler sur le rap des années 1990, en ignorant la production actuelle, est alors réducteur. Déjà le corpus s’étale entre 1990 et 2010 et dès mon introduction j’explique qu’il fallait commencer quelque part pour aborder avec une grille littéraire le rap. Alors travailler sur le moment de sa consécration au sein des musiques actuelles et son installation dans la culture me semblait plus que légitime.
    Il me semble ensuite que vous n’avez pas compris ma démarche, à aucun moment de mon ouvrage je dis que le rap c’est de la littérature. Je démontre par contre que, dans le contexte du début des années 2000, quand on n’approchait le rap qu’à partir d’une perspective sociologique ou parfois musicologique, l’approche littéraire permettait de comprendre plusieurs enjeux de son esthétique. Ainsi, je m’intéresse à la représentation dans les morceaux (et non pas seulement dans le texte, comme vous dites!) et montre comment il exploite toute une part de fiction et des jeux avec des registres qu’on lui nie souvent (ou qu’on lui niait à l’époque si vous voulez, mais il me semble que c’est toujours le cas, si l’on pense par exemple à l’affaire Médine). Et je parle ici de tous les débats autour du premier degré courant les années 90 et surtout en 2005-2006 suite aux émeutes des banlieues. C’est alors dans ce sens que je montre que, contrairement à ce que disaient des élus politiques, journalistes ou intellectuels, à propos du rap comme une culture de ghetto, il renouvelle un mode de dénonciation largement présent dans la culture hexagonale : populaire comme la chanson mais aussi plus classique comme chez des auteurs de référence. En aucun cas ces comparaisons ont le but de montrer que le rap est meilleur que l’on croit parqu’on y retrouve quelques références littéraires, mais il s’agit de montrer que ce qu’on critique au rap se retrouve aussi dans des textes qu’on considère comme sacrés et intouchables en France et que pourtant on critique rarement.
    D’autre part, on dirait que vous avez mis de côté les éléments de l’analyse littéraire que je propose pour aborder un morceau de rap, comme l’emploi des figures, de son comme tout le monde sait, mais aussi plus complexes encore que l’on associe plus souvent à l’écrit, comme l’hypotypose, et que beaucoup de morceaux la réussissent grâce à la fusion entre texte, scansion, rythme et éléments apportés par la technologie du son, comme dans les exemples « Un été à la cité » de Ministère AMER ou « Paris sous les bombes » de NTM. Dans ce sens, je montre la singularité du rap par rapport au texte écrit mais aussi à la chanson, réflexion que j’ai étalée au séminaire sur le rap et l’esthétique : La Plume et le bitume où j’explique que le poème et la chanson ne sont que des avatars du rap : http://savoirs.ens.fr/expose.php?id=3017. J’ai insisté à cette occasion sur le rap comme un objet culturel singulier et unique au sein de la culture francophone, mais pour qui l’approche littéraire est tout à fait légitime, comme l’est aussi l’esthétique et le musicologique.
    A ce propos, il me semble qu’il existe un grand malentendu dans la façon dont vous abordez la question littéraire et qui me semble qu’au fond c’est la façon dont on conçoit la littérature en France : elle est principalement écrite et en plus patrimoniale. Je conteste effectivement ces deux approches de la littérature, pour moi une performance orale peut être aussi bien de la littérature et il me semble que le rap est un art du texte, et justement un art de savoir mettre en valeur un texte par la performance du flow, du rythme, de la scansion et de la sono choisie. Après, on peut discuter sur la diversité des raps et sur leur valeur (personnellement, je trouve moins « littéraire » un morceau de Lucio Bukowski que de NTM, de Booba ou de PNL). Ensuite, je ne pense pas que les « grands textes de la littérature » doivent appartenir à une élite et qu’il y a qu’eux qui mériteraient les « grandes analyses ». Je crois pour certains à leur universalité et dans ce sens tout le monde peut s’y reconnaître et en avoir le droit de les revendiquer, même s’il n’est pas passé par les grandes écoles. Et je crois aussi que là où il y a un travail d’écriture (textuelle et musicale à l’occurrence) mérite l’intérêt des littéraires.

  5. Check aussi L’erreür et son album « A ces gens » qui reprend des poèmes (Musset et Prévert) et beaucoup de chanteurs français (Brassens, Reggiani, Piaf, etc) ! Et qui s’apprête aussi à publier un recueil de poèmes… L’erreür, du lourd !

  6. Lire « Introduction à la poésie orale » de Paul Zumthor et notamment la partie sur le rythme et l’art de la performance. Comprendre que ce débat rap/littérature ne fait aucun sens.

  7. Salut Seb!
    C’est vrai que ces deux artistes sont passionnants, ils mériteraient un article à eux seuls pour discuter de leur rapport à la littérature. Cependant il est ici question des mécanismes qui tendent à faire se rapprocher deux arts, j’ai donc voulu prendre le problème de plus haut sans me focaliser sur un artiste, car il va de soi qu’avec le nombre d’artiste on aura toujours des exceptions. Vîrus avant d’adapter Jehan-Rictus disait qu’il n’avait pas pour habitude de lire de la poésie, il est très distant vis à vis de ça, ce qui lui a plu, c’est justement l’entorse que Rictus fait à la poésie, et le vécu, la modernité du mec, qui finalement a énormément e point communs avec l’esthétique du rap. Pour Lucio, qui dit ne pas faire de rap mais de la littérature, et semble établir une hiérarchie entre les mouvements, on l’a souvent questionné sur ces filiations dont lui même était le premier sceptique. Il expliquait grosso modo que le fait de manier les mots, qu’on les scandes ou non, aboutissait nécessairement à des techniques similaires afin de mettre en image des émotions (les fameuses figures de styles que bcp sont presque surpris de trouver dans le rap et qui seraient garante d’une certaine qualité d’écriture). Mais lui même ne s’établit pas comme un héritier de la littérature à mes yeux, ou alors si, il se considère comme écrivain ET rappeur, et il a raison, ce sont deux arts différents.
    En revanche on pourrait fair eun article sur la façon dont les personnages du monde littéraire (personnages, auteurs etc) sont réemployés dans son oeuvre, à manière des personnages de cinéma chez bcp d’autres rappeurs. Chez lui, le personnage littéraire est utilisé pour symboliser une vision du monde, un caractère spécifique, et aussi pour actualiser certaines formes de pensées dans notre quotidien de 2018. Je pense au morceau Dialogues bien sur mais aussi à tellement d’autres !
    Bref c’est un sujet très vaste, j’ai du couper et fais le choix de parler vraiment de l’objet d’art, rap, et littérature, des rapports de comparaisons et de mon idée selon laquelle c’est absurde, pour les raisons que tu as lues dans l’article, j’ai pas voulu me plonger dans l’oeuvre d’un mec en particulier.
    Merci pour ton retour j’espère que ma réponse te satisfera 🙂

  8. J’aurai bien aimé qu’il y ait plus de référence à Lucio Bukowski et à Virus dans l’article. Le premier a fait du name droping littéraire sa marque de fabrique et le second a sorti un projet de reprise d’un poète.
    Même s’ils sont cités en intro, leur affiliation à la littérature et à la poésie est plus forte qu’un Joey Starr et qu’un Booba.

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