Vaste et complexe demeure la tâche de proposer un dossier riche et pertinent autour des traces laissées par le règne animal sur les terres du rap hexagonal. Se sentant battre des ailes, plume en main, votre site préféré engage le pas vers l’exploration le temps d’une randonnée musicale à la découverte de la faune entourant albums, clips et morceaux des MC homo sapiens. On vous invite à la (re)découverte !
Le jaguar, les crocodiles, le fennec, le rat, la fouine, le loup, le renard et la belette, aucun ne viendra nous dire le contraire : le rap « made in France » a une longue histoire avec le monde des bêtes. De la panthère noire de Touche d’espoir aux grizzly, poneys et autres primates dans les titres de Booba, en passant par la jungle, Simba et les clips de PNL au milieu d’une nature indomptable, images et références emblématiques surgissent dans l’esprit des plus fins connaisseurs du grand cirque rapologique. Qu’elle soit utilisée pour le simple effet visuel ou pour illustrer une trajectoire de vie, nombreuses lignées de MC témoignent de leur goût pour la métaphore animale. Le reste laissant place à l’imagination et toutes les interprétations possibles…
Immersion « faunétique »…
Affirmer que l’ensemble de la classe des rappeurs puise une partie de son inspiration devant les documentaires animaliers de France 5 ou National Geographic serait franchir un pas de trop. Une recette suivie de longue date par Nessbeal, bien que le bonhomme n’ait probablement pas attendu de comprendre la reproduction du panda pour intégrer une dose de bestialité dans ses morceaux. Un champ lexical utilisé comme une « seconde peau », à l’image de son projet Sélection naturelle où NE2S use de la comparaison notamment sur le titre éponyme : « La ser-mi aurait dû nous rendre plus solidaire, c’est tout le contraire, elle nous désuni, transforme la té-ci en cimetière. Mes dernières illusions perdues dans le palais des chimères, la migration des gnous, un millions de fantassins traversent la rivière ». L’humain, un animal parmi les autres sur le fleuve d’une existence au cours incertain que le rap en VF met symboliquement en lumière : Sinistre « comme un animal », Ekoué en « prédateur isolé » ou Fayçal en « bête curieuse », AL dans la peau de « Scar », comportements « naturels » sur les frontières floues de Mère Nature. De Bordeaux à Bruxelles, c’est devenu la jungle ! Le projet sorti par Roméo Elvis en 2013 est un autre exemple du lien tissé avec la faune environnante pour raconter comportements sociaux, esprits aliénés et dérives inégalitaires du monde « civilisé ». Tout un programme anticipant la prochaine extinction de masse !
« Lien de parenté : Gorille dos argenté d’après les chercheurs… »
Fragments d’Histoire et grillages forcés accompagnent la suite de cette randonnée. Baïonnette de papa ressorties chez les nostalgiques, assouvissement du fantasme d’un rendez-vous en terre inconnue chez les mâles et femelles du canton. Le bel animal est sorti de sa cage aménagée par une gardienne culturelle décrépite et un tribunal médiatique ne le considérant que s’il choisit de montrer patte blanche. Accélérant son dandinement vers les robes, le rap n’a ni mots doux ni bonnes intentions envers ses « maître-chiens » autoproclamés.
« Sa mère, Laurent Ruquier contre l’Orang-Outang » ironisait Booba sur Habibi en 2015. La formule est directe, la promenade nous entraine vers un chemin déjà défriché à coups de griffes par Ana Ravat sur ce même site : « Booba s’assoit là où il en a envie même si ça ne convient pas et surtout, il garde tout : les clichés, les préjugés, les connotations racistes du quotidien et les renvoie en Kaméhaméha retourné. Il devient le « mauvais garçon », « l’animal dangereux » qu’on l’accusait d’être… « . Se réapproprier codes et représentations racistes entretenus depuis plusieurs siècles en usant de la référence animale est devenu une habitude chez les paroliers bipèdes perçus comme les (in)dignes descendants du quadrumane. L’image ou le cliché passe entre les mains de ceux qui en sont la cible : le quartier est comparé au « zoo », les singes partagent le premier rôle dans les clips…
Des primates qui n’avaient rien demandé se retrouvent au premier rang d’une longue histoire. Le « Noir » a quitté le jardin zoologique d’Acclimatation dans le passé, le revoici dans le présent retournant le stigmate forgé dans l’esprit des savants parisiens ayant découvert en lui le chaînon manquant entre le singe et l’homme « blanc ». Rupture dans la continuité d’une culture coloniale encore vivante deux siècles après l’achèvement de ces grands travaux que Casey et son profil de Créature ratée ne manquent pas de rappeler sur son deuxième album… Libérez la bête !
« On castre plus d’animaux que d’hommes, preuve que le monde ne tourne pas rond »
Espèces et désespérances. Avec les douces paroles de Fuzati dans son projet La fin de l’espèce, on atteint un autre stade plus avancé du mépris constaté chez une partie de nos rimeurs en herbe en direction de la nature humaine. Le refuge auprès des autres espèces est alors souvent trouvé. Et sur le chemin de la résignation face à l’effort d’éclairer le monde du vivant, le personnage du Klub des Loosers n’est pas le seul à voyager sans s’encombrer avec les nuances. « Négro joue pas le poto, je préfère les animaux » prévenait ainsi Alpha 5.20 pour introduire Scarface d’Afrique, approche à la subtilité douteuse que Booba enterre définitivement sur son fameux 92i Veyron : « La race humaine me dégoûte, j’allume gros pilon au chalumeau, nique ta fondation de merde, j’préfère sauver les animaux ! ». Baffe dans le museau retourné à l’envoyeur, le singe de Joeystarr aurait apprécié le soutien. Tout comme les autres espèces citées par Médine sur son Panther blues auront apprécié le bref instant de reconnaissance pendant que l’humain joue au nettoyeur de sol depuis des millénaires.
On en aurait pu en rester là… conclure dans une ambiance un poil plus légère le temps de résoudre L’affaire hot dog avec ATK ou « taillant la bavette » avec Maître Gim’s et Lucio Bukowski. Mais, en vérité, l’escale n’avait pas duré longtemps du côté de Cabot-ville. « Homo imperialis » avait agacé « son » monde, trop longtemps abusé de sa place en toute insouciance. Drôle de spécimen que les Nantais Scoop et J.Keuz allaient baptiser Homo cynicus dans leur dernier projet en date. Symbolique d’une époque ! Entre ses lignes, le rap français voyait surtout émerger des thèmes encore inexplorés dans son large répertoire.
Cause animale, véganisme, anti-spécisme sont venus faire leur apparition dans la famille du rap de France ces dernières années. En tête du troupeau, Res Turner et Djamhellvice, artistes lancés dans l’idée de rapper la destinée fataliste d’êtres vivants originaires de contrées où la ligne d’horizon reste une idée abstraite. Leur titre commun Bénéfice du doute est l’un des rares témoignages rapologiques évoquant l’abattage des masses des animaux sur lesquelles l’humain commence à tourner le regard depuis les vidéos non retenues par Disney Company de L214.
#Suicidecommercial pour ces MC mettant « en scène » l’animal autrement qu’en bête féroce, ours en peluche ou nuggets marinés tout en jetant une dose de culpabilité sur le mode de vie alimentaire de leurs congénères issu du genre « homo ». Avec une politique nationale loin de considérer la souffrance animale comme un problème majeur et une sphère médiatique faisant passer les végans pour une secte d’anorexiques associés à une poignée de terroristes, insérer la question de l’exploitation animale dans le domaine artistique « permet de resituer le débat sur le plus important : les milliards de victimes annuelles du spécisme, l’impact désastreux de notre consommation de produits animaux sur l’environnement, parler de ce qu’est devenu le véganisme et de ce qu’on en a fait », confie Res Turner. Son dernier titre en date, Un pavé dans la vitrine en est une nouvelle illustration, brisant au passage définitivement la barrière du « symbolique » reliant l’humain aux autres espèces dans le petit monde du rap français, à travers la prise de parole pour défendre les animaux.
Un nouveau domaine dans lequel cette musique balbutie encore ses premiers mots pendant que Stomy Bugsy participe aux campagnes de PETA France, près de 20 ans après avoir été condamné pour son « sacrifice de poulet ». Signe de l’évolution constante des mentalités et des regards sur le monde que le rap ne fait que suivre et mettre en « images ».
En somme, une évolution… « naturelle »…