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« Drill ou pas drill ? » Pourquoi les puristes de la drill n’ont rien compris

A chaque fois qu’un sous-genre de rap américain arrive chez les rappeurs francophones, il est inévitablement accompagné de son lot de puristes. On se souvient des puristes de la trap, ou encore de ceux du soundcloud rap. C’est donc sans grande surprise que ces derniers mois les puristes de la drill ont débarqué en France, à notre grand désarroi.

Si vous cherchez un débat stérile à observer en ce moment, on vous recommande une expérience simple : recherchez sur Twitter les mots-clés « vraie drill« . Vous allez alors tomber dans une galaxie de débats épuisants sur ce que c’est que la drill en France, entre auditeurs passionnés. Soso Maness a-t-il le droit de faire de la drill ? 1PLIKE140 fait-il de la vraie drill ? Plus ou moins que Gazo ? Et le 667 et Ashe 22 dans tout ça ? Quelqu’un fait-il vraiment de la drill en France ???

Vous l’aurez compris, ces discussions sont souvent aussi vaines que floues (on ne sait jamais trop si on parle de la drill de Chicago, de celle de Brooklyn ou de celle de Londres), et il n’en ressort rien de très intéressant. Ces débats sont aussi inutiles que ceux qui cherchent à définir le sacro-saint Vrai Rap. Dans les deux cas, les défenseurs du « Vrai » sont bloqués dans une drôle de nostalgie, où ils défendent une authenticité située dans un passé ou un ailleurs fantasmé et flou.

Gazo – Drill FR 1

A la recherche des racines de la drill

Mais jouons le jeu du puriste, et allons chercher cette fameuse drill originelle, pour voir si on peut distinguer ses spécificités. Selon la mythologie connue de tous, il faut revenir à Chicago, vers 2010. Tournons-nous vers Young Chop, le beatmaker attitré de Chief Keef, connu pour avoir créé ce fameux son drill. Il saura sans doute nous en dire plus sur ce qui ce qui fait la vraie drill. Raté. En 2014, il déclare au site Hip Hop DX, « ne même pas savoir ce qu’est la drill« , et dans ses interviews postérieures n’en donne jamais de définition stricte.

D’accord, mais peut-être qu’à cette époque, si les beatmakers n’avaient pas conscience de la marque de fabrique de leur son, les journalistes, eux, pouvaient le définir clairement ? Encore raté. En 2012, le blogueur Purebakingsoda écrit ici : « Les sonorités de la « Drill Music » sont diverses, ont évolué avec le temps et les genres. […] Il est toujours difficile de réduire Chicago à un seul « son ». On peut néanmoins y percevoir les nettes empreintes d’Atlanta, notamment des mutations de sa trap music. »

En 2012, la frontière entre trap et drill était déjà poreuse, hybride. En 2012, il n’y avait pas de vraie drill, et il y a fort à parier qu’il n’y en a jamais eu.

Quant à la UK drill, elle est un mélange de drill de Chicago, de crunk, de trap et de road rap britannique. Bref, là encore, une hybridation. A croire que nos puristes mènent une bataille perdue d’avance : celle de défendre la pureté d’un genre caractérisé par sa savoureuse impureté.

Un genre insaisissable

Faut-il pour autant renoncer à employer ce terme ? Certainement pas ! Si les catégories musicales sont toujours insatisfaisantes, si elles ont des contours flous et insaisissables, elles n’en sont pas moins des outils indispensables pour décrire la musique. Il est évident qu’un certain nombre de traits communs entre différents morceaux (phrasé, beat, thèmes) nous permettent d’identifier les caractéristiques de la drill, sans pour autant donner une définition figée, fermée et exclusive de ce sous-genre du rap en perpétuelle évolution. Par exemple, Gazo emprunte la diction et les intonations de la UK drill, tandis que Ashe 22 s’inspire de ses productions épurées et oppressantes.

Plutôt que de se demander ce que c’est que la vraie drill, regardons comment elle évolue, change, et continue à muter depuis une dizaine d’années. De Chicago à Londres ou Brooklyn, en passant par l’Australie plus récemment, le son de la drill ne cesse de s’actualiser, de se renouveler. Il y a un horrible mot-valise de la novlangue néo-libérale à ce sujet qui est néanmoins assez utile pour comprendre le phénomène : la glocalisation. En se mondialisant, un produit s’adapte à la culture des différents pays. La drill ne se tourne pas vers son essence, mais vers son devenir.

Au lieu d’attendre de nos rappeurs français qu’ils fassent une soi-disant vraie drill, espérons qu’ils s’approprient à leur tour les basses profondes, les caisses-claires agressives, les couteaux et les flows nonchalants, pour en faire quelque chose de nouveau. Espérons qu’ils piochent dans ces outils, visuels comme sonores, et les croisent avec leurs propres influences et univers, comme les gars de Lyonzon qui se distinguent par leur goût pour la saturation.

La drill était dès le départ une hybridation (quel genre musical ne l’est pas ?). Elle s’est toujours hybridée en fonction des contextes locaux, et s’hybridera encore sans doute longtemps. C’est ce qui a permis à sa forme anglaise de devenir presque totalement différente de celle de Chicago et d’obtenir une renommée mondiale. La pire chose qui pourrait lui arriver en France, serait de se figer, et qu’on en reste à une forme d’hommage formel à ses formes anglophones, de 67 à Pop Smoke, en passant par Lil Durk. Alors, arrêtons de chercher la soi-disant vraie drill francophone, et cherchons plutôt la bonne drill francophone.

Guillaume Echelard

À proposGuillaume Echelard

Je passe l'essentiel de mon temps à parler de rap, parfois à la fac, parfois ici. Dans tous les cas, ça parle souvent de politique et de rapports sociaux, c'est souvent trop long, mais c'est déjà moins pire que si j'essayais de rapper.

1 commentaire

  1. Bin jsuis pas trop d’accord avec toi…à la base la drill ( je parle là de mentalité, de façon de penser..pas des sonorités ou instrumentales) c’est tout le contraire du hiphop…le hiphop est fait pour s’amuser, danser voir apprendre des choses par le biais de texte de rap souvent très hight level niveau ecriture ( peut importe le style de sons rap..boombap, dirty, trap, drill)..alors que dans tous les textes des drilleurs ayant justement popularisé ce courant ou cette école, qu’ils soient de chicago, brooklin, UK ou meme australie, tous, dans leurs textes parlent de règlements de compte, meurtres ( en etant cette fois ci les auteurs et non seulement narrateurs comme dans le hiphop), séquestration, torture etc…et ça avec un vocabulaire ou expressions propres à la drill qu elle vienne des u.s.a ou u.k…
    DONC POUR MOI UN VRAI DRILLEUR C CELUI QUI NE FAIT QUE RAPPER LA VIOLENCE PARCE QU’IL EST AUTHENTIQUE ET VERITABLEMENT DANS UN GANG TEL QUE LE ROI CHIEF KEEF qui est pour moi le meilleur exemple encore vivant à ce jour

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