C’est quand la grosse caisse sonne et qu’on entend des punks refoulés s’égosiller dans un mic sans anti-pop qu’on se rend compte qu’on vient de foutre les deux pieds dans du Droogz. Des vociférations qui parviennent difficilement à notre cortex à la première écoute si nous ne sommes pas familiers de ce genre de folie. Le Projet Ludovico de ces 4 rappeurs est pour le moins atypique. Il ne pourra que ravir les adeptes du genre: après Stick et son MC 2 PLUS qui nous avait décollé le front en 2014, après les mandales de la Bastard Prod qu’on se mange année après année, après la vingtaine de Melan, c’est autour de la Droogz Brigade de prouver que Toulouse se place sans soucis sur la carte des plus grandes villes du rap en France. À l’heure où le rap français se cherche une identité, coincé entre trap et cloud rap quasi-omniprésent sur Internet et de la soupe sur les ondes, ce genre de projet débarque comme un messi venant extirper le rap de son impasse.
« Ce projet c’est un album, pas une compil’, faut l’écouter cul sec« .
Jamais cette phrase d’Hugo n’avait pris autant de sens qu’à l’écoute de Projet Ludovico. L’album de Staff L’Instable, Sad Vicious, Rhama Le Singe et Al Tarba s’avale comme une cannette d’Amsterdamer à un concert de punk. Album brut de décoffrage, violent, triste et définitivement dynamique, ce sont des chansons tendues, stressantes et remplies d’amertume qui s’enchaînent au fur et à mesure que le disque défile. Prescrit en cas d’excès de bonheur par tout bon médecin, ce n’est pas le genre d’album qu’il faut se passer un dimanche ensoleillé en balade dans un parc. Les productions sont d’une homogénéité rare, grâce au travail acharné d’un Al Tarba grand cru, qui ne fait que se bonifier au fil du temps. Chaque nouveau projet nous fait dire de lui qu’il est au sommet de son art, et chaque nouveau projet nous fait revoir nos appréciations précédentes à la baisse. Délaissant ses productions d’abstract hip hop, qui lui étaient devenues si chères depuis quelques années, pour revenir aux sources de sa passion – des productions noires et hardcores comparables à celle d’un Necro pour nos amis anglo-saxons – le producteur de génie a encore une fois fait parler la batterie et les grosses caisses pour le plus grand malheur de notre voisinnage.
Les voix gutturales des 3 amis épousent avec une effroyable harmonie les ténébreux requiems d’Al et nous plonge directement dans un univers maîtrisé de bout en bout. Un univers cinématographique qui enchantera les adeptes du rap imagé, empreint d’une identité unique. Car il est impossible d’écouter et de comprendre les droogies sans apprécier l’influence du cinéma – et surtout du cinéma de Kubrick – qui imprègne leur rap: commencer l’album avec une citation Martha Marcy May Marlene donne tout de suite le ton. Cependant, je ne m’arrêterai pas longtemps sur cet aspect car mon collègue Costa Ramos a déjà très bien fait le travail pour nos potes de Le Bon Son avec une excellente chronique s’axant principalement sur cet aspect là. Je vous pose sa chronique juste ici. Je vous conseille véritablement de vous y attarder car c’est une composante essentielle du rap de la Droogz Brigade. Je me concentrerai personnellement sur l’aspect purement rapologique.
On ne sait jamais vraiment sur quel pied chanceler en écoutant du Droogz Brigade. Tantôt loufoque et déjanté, comme dans Les Feux de la Bourre, où l’on retrouve nos 3 malades mentaux accompagnés de Stick, Goune et Bill Clit’on rivaliser d’inventivité pour faire des jeux de mots sur le cul ; tantôt empreint d’une noirceur et d’un cynisme inouï comme dans L’Oeil d’Alex ou d’une tristesse indicible (Commencer par la fin), nous passons d’une émotion à l’autre sans transitions. Une dichotomie tout à fait normale quand on connaît un peu ces Droogies, adeptes des plus grandes folies comme d’introspections poignantes. Droogz Brigade ou le nihilisme sauce punk.
Après cette intense écoute, que conclure de ces 18 titres ? Bien difficile de s’identifier à ces fous furieux tant ils ont crée leur propre univers, à part, et semblent n’inviter personne à y rentrer. Loin d’être sectaires, la Droogz ne constitute pas non plus une meute de loups avançant isolée sur les sentiers du rap. C’est plutôt du « qui me comprenne me suive, mais sans me faire chier !« . Et c’est vrai que, s’il est compliqué de se retrouver dans toutes leurs scansions, on se laisse quand même très vite emporter par leur énergie, comparable à des sables mouvants, ne laissant à personne le choix de s’enliser ou non. On sort quand même plus vivants de l’écoute de ces 17 titres que des sables mouvants… Heureusement d’ailleurs, comme ça on peut y retourner.