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Du Rap au Cinéma – #2 Ärsenik

En tant qu’auditeurs rap, on sait tous ce que c’est que d’être interrompu entre deux pistes, à la fin ou au début d’une chanson par un dialogue. Il vient souvent du répertoire des grands noms du cinéma, généralement un film de mafia, un film noir avec des paroles sombres. Remarquez qu’on tombera rarement sur du Eddy Murphy. Généralement, le rendu se veut harmonieux et efficace : la citation doit être en adéquation avec le thème, les paroles ou même l’ambiance musicale des pistes. De quoi amener le texte vers une autre dimension. On mélange les genres et les arts pour enrichir ou illustrer la piste et la chanson gagne en impact.

En tant qu’auditeurs rap, on sait aussi ce que c’est que d’entendre ces dialogues et de ne pas savoir d’où ils viennent ou pire encore, de ne plus savoir d’où ils viennent. Nous vous proposons une série d’articles pour tous ces moments où on s’est mordu la langue en maudissant notre mémoire. Cette semaine, c’est Ärsenik qui va nous parler cinéma.

Quand Ärsenik fait sa première apparition sur vinyle, c’est L’Enfer Qui Remonte à la Surface en même temps qu’eux. L’hexagone prend sa première baffe par le crew au A tréma et découvre déjà un univers très cinématographique. Calbo et Lino convoque le Joker de Tim Burton et cette réplique mythique « As-tu jamais dansé avec le diable au clair de lune ? » avant d’en appeler à Amytiville avec la voix effrayante d’Helen Shaver qui joue Carolyn. Les deux citations auditives sont en cohérence parfaite avec le titre. C’est cette notion de cohérence qui reviendra tout au long des extraits samplés par les frangins et leurs producteurs.

As-tu jamais dansé avec le diable au clair de lune ?

Il faut fermer le puit, c’est le passage qui mène à l’enfer.

En 1996 toujours, les frangins posent sur L’Art d’Utiliser son Savoir et nous proposent ce qui deviendra une influence récurrente dans leur musique : les films asiatiques. Pour ce premier essai, c’est Police Story et l’inénarrable Jackie Chan qui viennent en renfort avec cet extrait.

Je veux que même sa mère ne le reconnaisse plus !

On retrouvera aussi plusieurs références au sublime The Killer de John Woo dans la discographie. L’atmosphère de cette œuvre sied parfaitement au style de Calbo et Lino. Le scénario est complexe et le manichéisme est absent. L’histoire, c’est simplement celle d’un homme dont la vie est pourrie par le remord et les choix qu’il a été obligé de faire, le tout dans un dédale de vengeances et de complots. Quand on sait d’où il vient, l’interlude chanté à la fin de Bienvenue Au Sixième Chaudron prend une autre dimension. C’est la chanson centrale du film, celle que le protagoniste écoute avec passion.

Mais ce n’est pas tout. Une phrase vient renforcer le propos de Chrysanthèmes. Elle est prononcée par Dany Lee et est d’une adéquation parfaite avec la morale de la huitième piste de Quelques Gouttes Suffisent. Ce story-telling évoque la mort comme un chien d’un homme qui reçoit une balle perdue. On comprend donc la puissance de la citation auditive.

La vie, ça ne tient à rien. Il suffit d’une balle. Il suffit d’une balle…

Ce film correspond parfaitement aux frères M’Bani. John Woo, en personne, l’avait décrit comme un film d’honneur et d’amitié et son but premier était de montrer qu’au fond, personne n’est ni tout blanc ni tout noir. Par ailleurs, on connait la foi chrétienne de Calbo et Lino et le cinéaste d’Hong-Kong n’est pas en reste, lui qui a truffé The Killer de références bibliques.

Et puisque l’on parle de foi, il est amusant de constater que c’est toujours John Woo qui est convoqué sur Un Monde Parfait. Cette fois-ci, c’est Le Syndicat du Crime qui répond à l’appel. Encore une fois, ce film traite de destins cabossés et de la fatalité de certaines trajectoires mais toujours avec la patte graphique si particulière à Monsieur Woo.

Est-ce que tu crois que Dieu existe ? Ouais, c’est moi Dieu. Toi aussi.

Finalement, on en vient à se demander si le cinéma du hongkongais n’est pas l’influence majeure d’Ärsenik. Les textes des frangins ont la particularité d’être très visuels, remplis d’images frappantes et de métaphores parlantes. Mais ils poussent à la réflexion, à dépasser la dichotomie du bien ou mal. Mon crew bouleverse, est violent comme un film de John Woo, disaient les X-Men. Bouleversant et violent, une autre définition du son de Calbo et Lino.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

2 commentaires

  1. Sur « Quelques gouttes suffisent », on trouvait également le moins connu, mais néanmoins excellent, morceau « La rue t’observe » qui reprend la trame (et un sample) du « Karlito’s Way » (L’Impasse) de Brian De Palma.

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