Interviews Rappeurs

[Interview] Espiiem : « Je suis en train de me bâtir, de me construire. »

Donc, est-ce que tu te considères ainsi ?
Je me pose souvent la question. En tout cas, quand on me demande, je ne dis pas d’emblée que je suis un artiste. J’ai l’impression que c’est prétentieux ou hautain de le dire. En tout cas, je fais tout pour le devenir et pour pouvoir coller aux aspirations que j’associe à ce mot là. Le jour où je dirai vraiment que je suis un artiste, c’est que j’aurai accompli ce que je voulais faire à la base. J’essaie d’approfondir ma quête, d’être à la hauteur de cette conception. J’en suis à mon deuxième projet, Haute Voltige. Je suis en train de me bâtir, de me construire. Au fil de mes projets, j’espère pouvoir acquérir ce sceau là.

Qu’est ce que tu réponds quand on te demande ce que tu fais dans la vie ?
Je dis que je fais de la musique, du rap plus particulièrement. Les mentalités changent mais je pense qu’il y a quelques années, si tu disais que tu faisais du rap, c’était vraiment mal vu. Je ne dis pas qu’aujourd’hui c’est parfait, mais les mentalités évoluent malgré tout. Je dis que je fais de la musique, que je fais du rap. Je dis que j’étudie la philosophie à côté, j’ai des activités étudiantes, j’écris des textes, je fais des concerts. Voilà, c’est ce que je fais.

Pour revenir aux prods, qu’est-ce qu’il faut pour qu’une musique t’inspire ?
Je n’ai pas vraiment d’ingrédients magiques. Mais, malgré tout, il y a une constante de certaines sonorités musicales. Pas forcément en synthé, j’aime bien le sample. J’aime aussi la composition directe avec des vrais instruments. J’apprécie quand il y a un groove. Ce sont des choses abstraites, je ne peux pas répondre précisément. Je ne sais pas ce qui m’inspire. Ça varie de morceaux en morceaux. C’est constamment au coup de cœur, à la claque. Je ne peux pas dire ce qui va me plaire au prochain morceau.

On dit de certains artistes qu’ils se trahissent quand ils changent de style musical, tu en penses quoi ?
Tout dépend de l’intention. Il y a plein d’artistes que l’on connaît, arrivé à une certaine forme de notoriété, ils sont contraints de faire des morceaux plus ouverts ou plus légers pour rentrer dans les clauses que leur dicte leur major. Donc, ils changent leur musique, ils la trahissent. Leur musique qui était faite avec spontanéité est ensuite faite par calcul mais les auditeurs ne sont pas dupes. Maintenant, je ne pense pas me trahir parce qu’il y a un vrai fil conducteur et un vrai suivi. Les textes sont cohérents, c’est juste le support musical qui change. Je reste dans une lignée. Je n’aurais aucune utilité à me trahir, je choisis la voie indépendante. Je ne suis contraint par personne pour faire la musique que je produis. Je la fais vraiment par plaisir et parce que je la ressens véritablement. J’espère ne jamais me trahir sinon je m’arrête. Je ne pourrais pas me regarder dans le miroir.

Quelles sont les influences que tu aimes retrouver dans ton rap ? Tu cites beaucoup de grands.
Oui c’est facile, je me cache derrière les grands parce que je les apprécie énormément.

Comme j’expliquais, ce que j’aime c’est le feeling et le groove. Ce ne sont pas des choses que je pourrais expliquer par A+B.  J’écoutais un morceau de Q-tip hier, c’est le feeling en personne. Ce n’est pas forcément un flow très mathématique, très carré, mais il a l’essence du truc. Quand tu l’écoutes, que tu comprennes ou pas les paroles, c’est un truc très agréable. C’est un truc que j’aimerais faire ressentir. Que l’écoute soit active ou passive, il faut qu’elle soit agréable.

J’ai lu dans tes interviews que tu disais « J’ai étudié les rappeurs américains », c’est à dire ?
On revient des années en arrière avec Cas de Conscience. J’avais écouté énormément de rap. Quand tu écoutes un morceau de rap sans en faire, tu te dis « wahou, ce Mc, je le trouve super fort, ce qu’il fait, ça me plait, ça me touche ». Quand tu passes d’auditeur à acteur, tu te demandes comment tu peux transformer ce qui te plaisait en le fournissant. Du coup, tu décortiques les textes, tu les écoutes. Tu calcules sur une phrase, sur quatre pieds, quatre mesures. Combien de phrases y a-t-il ? Comment il les place ? Tu étudies les sonorités qu’il y a. Pour pouvoir se forger sa propre identité, tu es obligé au début de mimer, copier des modèles que tu t’ériges. C’est vraiment ce qu’on a fait avec les MC qu’on kiffait : Big L, Big Pun, Rakim etc. Tu l’écoutes et tu rends compte que dans les rimes qu’il fait, il va y en avoir trois ou quatre qui riment sur plusieurs pieds, sur trois ou quatre syllabes. C’est un travail qui est plaisant, ça doit paraître fastidieux quand on en parle. Mais c’est comme ça que tu étudies à la base. Donc, au début c’est très froid, puis tu reproduis. Et à la fin, tu fais ton propre truc tout en ayant cette base solide. Ça passe par ça l’étude. Tu écoutes un son et tu annotes, ce qui va te parler en tant qu’auditeur et tu vas le reproduire.

C’est assez rare de faire ce travail là à la base, non ?
Oui, mais il n’est pas forcément indispensable. Moi je suis vraiment un auditeur passionné. J’en ai écouté intensivement pendant cinq-six ans parce que ça me plaisait. Quand j’en ai fait, j’avais déjà un bagage culturel hip hop. Du coup, quitte à en faire, autant le faire comme ceux que j’adorais en tant qu’auditeur. Après, il y en a d’autres qui ne ressentent pas le besoin de le faire. Moi, ça me paraissait indispensable de le faire. Et même les potes avec qui j’étais, Fils Prodige, L’Étrange et L’Homme de l’Est avaient cette même démarche. On était quatre à faire ce job là et on prenait plaisir à le faire. Ça fait partie de notre parcours à nous.

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