Grünt, c’est d’abord une série de chiffres. 12 freestyles vidéos, plus d’un million de vues sur Youtube, des Süre Mesure en partenariat avec Nova et un buzz exponentiel. Il nous paraissait intéressant de savoir qui se cachait derrière ce projet et quelles étaient les motivations. Rencontre autour de quelques bières et d’un dictaphone. C’est Grünt qui se dévoile.
D’où vous venez avant l’aventure Grünt ?
Jean : J’ai été étudiant, de façon assez basique. J’ai étudié la littérature en khagne avant un master d’histoire. Après, j’ai été à Sciences-Po. En parallèle, je tenais un blog qui s’appelait Great Music Today et qui était très mauvais. Ce qui est amusant, c’est que je n’écoutais absolument pas de rap à cette époque alors tu n’y trouveras pas de hip-hop du tout.
Si je comprends bien, tu découvres le rap tardivement.
Jean : Sur le tard, oui. Je ne m’en cache pas. J’ai commencé à mettre le doigt dedans il y a trois ans. Je suis un boulimique de musique, j’ai vraiment envie d’avoir une culture encyclopédique. J’ai vraiment envie de tout connaître et je ne veux pas être pris à défaut par n’importe qui.
Tu as découvert le rap via quel artiste ?
Jean : C’est une vraie logique encyclopédique. Tu prends les grands classiques et tu rentres dedans. J’ai commencé par IAM, NTM, Les Sages Po’ etc. La porte d’entrée mainstream. Et pile à ce moment-là, je me suis pris des premiers projets de mecs undergrounds. Je suis tombé sur le 5 Majeur le jour de sa sortie. Je me suis vraiment dit qu’il y avait quelque chose qui se passait. J’écoutais ce qui s’était fait dans le passé et ça me permettait d’avoir les clés de lecture pour comprendre ce qu’il se passait dans le présent.
Et toi, Quentin ?
Quentin : Alors moi, je revenais du rap. J’en avais beaucoup écouté mais j’avais un peu arrêté. J’étais parti plus dans le jazz. Comme on était potes avec Jean, j’ai participé à la première émission avec lui et ça m’a remis le pied à l’étrier. J’ai écouté ce qu’il se faisait de nouveau et j’ai apprécié.
Et au niveau de ton parcours ?
Quentin : J’ai fait un BTS audiovisuel, j’ai fait un master en sociologie et économie du cinéma. Je suis opérateur du son maintenant. Je travaille pour le cinéma, les évènements etc. Je fais aussi le son pour des groupes comme Dizzy Dance.
Combien êtes-vous dans Grünt ?
Jean : On est cinq. Quentin pour le son, Simon pour la vidéo avec Théo, Costo pour les productions et moi-même.
Quentin : Après, il y a des gens qui gravitent autour. On est un groupe de potes donc il y a parfois des gens qui se greffent au projet ponctuellement.
En parlant d’amitié, comment vous êtes-vous rencontrés ?
Jean : On a squatté pendant un an dans une coloc’ où on était presque tous ensemble. La première émission a été enregistrée là-bas. Cet appartement était fou parce que les loyers n’avaient pas été réévalués depuis quinze ans alors on a pu tous s’y installer. On était étudiants alors on passait nos journées à écouter du son.
Comment vous en venez à vouloir monter un projet ensemble ?
Jean : Le truc avec moi, c’est que quand je décide de quelque chose, je vais jusqu’au bout. Et là où j’ai eu de la chance, c’est d’avoir trouvé des gens aussi motivés que moi.
Ce qui est étrange avec Grünt, c’est qu’on a l’impression que ça a pris de l’ampleur instantanément.
Jean : Quand j’étais encore sur Great Music Today, j’avais invité 1995 à leurs tous débuts. C’était pour la radio de mon école et Sneazzy et Alpha étaient venus. Ce sont des mecs qui n’oublient pas. Ils nous ont mis en contact avec Lo’, qui nous a mis en relation avec Fixpen Sill. Donc pour la première vidéo, on avait déjà des gens installés. Puis Nekfeu s’est pointé pour kicker un couplet. Alors évidemment, une vidéo avec Nekfeu, en termes de rayonnement, c’était déjà colossal.
Quentin : Là où Jean a été intelligent, c’est qu’il a très bien fait son travail de communication. Et puis la veille du freestyle, il me demande si je saurais enregistrer l’ensemble.
Jean : Mine de rien, j’ai eu du flair aussi. Quand j’ai invité Sneazzy et Alpha, Dans Ta Réssoi venait à peine de sortir. J’ai bénéficié d’une conjoncture particulièrement favorable quand même.
Donc ce premier freestyle est la première apparition de Grünt ?
Jean : Tout à fait. J’avais créé une page Facebook deux semaines avant et je disais aux quatre mecs qui étaient là par hasard qu’il allait se passer des trucs de ouf. Vous êtes même pas prêts, ce genre de connerie. Parce que je savais que la première émission serait lourde.
Quentin : Le plus marrant, c’est que la veille du freestyle on n’avait pas de matos. Il m’a ramené du matériel de Nova mais on ne pouvait rien faire avec. Deux heures avant, on n’avait pas les logiciels.
Jean : Rien n’était carré au départ. D’ailleurs, il faut savoir que le premier n’aurait même pas dû être filmé. J’étais stagiaire chez Nova à l’époque et j’avais parlé de mon projet à Adrien qui a décidé de venir. Il avait une petite caméra dans sa poche et il a pris l’ensemble parce que la batterie de la notre nous a lâché au milieu. Sans lui, on n’avait rien. C’est pour dire à quel point ce n’était pas pensé au départ.
Effectivement, parce que si ce n’est pas filmé, Grünt a beaucoup moins d’impact.
Jean : C’est clair qu’on aurait mis ça sur Soundcloud, on aurait eu mille écoutes. A l’heure actuelle, la vidéo est à 256.000 vues alors qu’on a même pas passé les 10.000 sur le Soundcloud. C’est la culture web. Tout morceau clippé d’un projet aura plus d’impact que le son seul.
Quand vous démarrez, c’est quoi l’ambition ?
Jean : Déjà, il y a une certaine réflexion derrière. Je le dis directement : dans la première émission, je dis les formats vieillissent, on a pour but de mettre en avant la culture contemporaine parce qu’elle n’est plus relayée par les médias dominants. Je fais déjà le constat de dire que tout ce qui se fait dans les médias est de la merde et que mon projet est d’incarner la nouveauté.
Quentin : Tu parles des médias hors internet parce que tu kiffes bien certains sites internet.
Jean : En vrai, pas tant que ça. Rares sont les sites internet que je respecte vraiment. L’Abcdr bien évidemment, je respecte votre taf à vous parce que c’est vraiment bien. Le magazine Magic sur la pop, que je trouve vraiment propre. Mais je les compte sur les doigts d’une main. Après, le vrai sens de ma critique, c’est qu’il n’y a que de la merde à la télé ou à la radio. Et qu’on veut combattre ça. De plus en plus de gens se rendent compte qu’on leur fait bouffer de la merde. Et nous, on est dans une logique participative où on sait qu’on réussit par le public et avec le public. Et d’ailleurs, il a été indulgent avec nous parce que les premières vidéos ne ressemblent vraiment à rien.
Ils vous ont donné la première impulsion.
Jean : Carrément. Et celle qu’on vient de tourner avec le 5 Majeur, c’est tourné avec des 5D qui sont toujours empruntés, mais on vend des sweats alors on peut s’imaginer devenir potentiellement indépendant au niveau du matériel. On continuera à faire de la qualité, si on continue à poser des questions pertinentes et en faisant du journalisme intelligent. Si vous continuez à soutenir, on fera ça ensemble et on marquera de grandes victoires par rapport à des mecs qui sont là depuis trop longtemps, qui font de la merde et qui se gavent.
On a une réflexion critique sur les médias en général, parce que la représentation culturelle et musicale aujourd’hui à la télévision et à la radio sont catastrophiques. Mais je ne peux pas revendiquer cette critique avec une certaine légitimité dans la mesure où je n’ai qu’un blog hip-hop. On pourrait se permettre une critique plus générale si on traitait des sujets plus généraux.
Quentin : Juste pour rebondir, c’est une critique générale des médias, mais elle est d’autant plus intéressante qu’elle s’applique totalement au rap et au hip-hop. Il y a une image qui s’est construite, dans les médias, et même dans l’opinion publique, du rap et du hip-hop qui est totalement différente de tout l’univers qu’ils concentrent.
Jean : Ce que je veux dire, c’est que là où les médias sont au summum du cliché, c’est quand ils parlent de hip-hop. Ils sont clichés tout le temps, ça atteint des paroxysmes ! Tu te retrouves en face du mec qui te demande : Comment ça se fait que vous faites du rap si vous n’avez pas volé de voitures ? C’est du langage, c’est une science. Je repense à Laurent Ruquier qui invitait je sais plus qui et qui commence par : C’est du rap, je n’aime pas le rap, donc je n’ai pas écouté. Sérieux, gros ?! Tu démissionnes de ton propre métier par ta phrase d’introduction. Je ne connais pas, ça ne m’intéresse pas, donc je n’ai pas écouté.
A la rigueur, tu vois, Ruquier c’est le mec qui dirige, qui peut dire qu’il n’a pas forcément eu le temps, mais les chroniqueurs, eux, ils n’aiment pas et n’ont pas écouté et ils peuvent t’en parler pendant un quart d’heure. Et elle dit de Nekfeu et de Flav’ : Vous avez un look bourgeois, pourquoi vous faites du rap ?
Jean : Il a une formule encore pire que ça, c’est bien sous tout rapport.
Je reviens sur Grünt. Est-ce que vous vous êtes inspirés des grands freestyles de Greg Frite, Générations ou Deenastyle ?
Jean : La première chose à laquelle j’ai pensé, c’est Deenasty.
Tu as le rapport avec Nova, en plus.
Jean : Déjà mais aussi, je ne retrouvais ce format sur aucune radio. Sur Skyrock, ils considèrent que Planète Rap est du freestyle avec un son compressé dégueulasse. Et dans l’inspiration qu’on a toujours, c’est aussi que Deenasty n’a jamais dérogé un centimètre de sa ligne conductrice. Après je ne suis pas en train de me comparer à lui, ce monsieur a fait des choses cent fois supérieures à moi. Il a amené le hip-hop en France alors que je n’ai fait que raviver un format qui existait déjà depuis longtemps.
Quand vous démarrez Grünt, l’idée est de proposer une alternative aux médias lambdas ?
Jean : Pas vraiment. Plutôt de proposer de la qualité où il n’y en a pas. Je n’avais rien vu de qualitatif autour de moi et nous avions juste envie de respecter les artistes. Quand on invite des mecs comme Cyanure ou Sear, ce sont des légendes. Leur laisser un micro est un honneur.
Quentin : On a ce côté critique via le travail journalistique de Jean qui a une approche très réfléchie de son travail. Et on réfléchit à la forme aussi. On ne veut pas faire les mecs totalement underground dans la réalisation, on pense vraiment à ce qu’on fait quand on propose quelque chose. Est-ce qu’on change de plan toutes les deux secondes ? etc.
Jean : Déjà, le format est pensé. 35 minutes de freestyle, c’est rare. On est à l’époque du snaking, les gens sont sur trois vidéos Youtube en même temps. Là, ce qui nous fascine, c’est qu’on a des commentaires de mecs qui disent Oh, le couplet à 38’05 est trop chaud ! On a réussi quelque chose, mine de rien. Les gens qui nous suivent sont suffisamment intéressés pour aller au bout. Et Quentin et Simon ont aussi une réflexion dans leur approche de la façon de filmer, toutes proportions gardées parce qu’ils apprennent en même temps qu’on avance mais tout ça s’accompagne beaucoup du fait qu’ils sont tous les deux très cinéphiles.
Est-ce une réponse à l’absence de rap dans les médias dominants ?
Jean : Ce qui me désole, c’est qu’on en parle mais n’importe comment. Il n’y a pas d’émission spécialisée, pas de chroniqueurs dédié. Les rappeurs sont invités quand on ne peut plus les occulter comme un Youssoupha et son disque d’or.
Quand un rappeur est invité, on ne lui pose jamais de questions sur le rap.
Jean : C’est vrai, ils interviennent toujours comme des acteurs sociétaux. C’est presque et qu’est-ce que ça fait de prendre le RER ?
Mais le rap français ne se nourrit-il pas de ce rejet aussi ?
Si, carrément. J’ai d’ailleurs écrit un petit truc à ce sujet sur Grünt. Un compte rendu de conférence. Les mecs qui débarquent avec leur premier album, ils ont la rage. Si ça s’était démocratisé, un autre mouvement subversif aurait sûrement apparu. C’est plus la symbolique que ça dégage qui dérange.
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