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[Interview] Lomepal (1/2) : « Le rap c’est un jeu de feinte. »

 

Après un message sur Facebook et quelques textos échangés, c’est lors d’un lundi soir glacial et humide que nous avons rencontré Lomepal. Dans un lieu qu’il connaît bien, un petit fast-food mexicain de la rue Mouffetard, le rappeur aussi longiligne que parisien nous accueille pour nous raconter ses débuts dans le rap, ses projets passés et à venir et nous présenter qui il est. On aura eu le temps d’échanger autour de l’écriture, longuement, et de la famille plus succinctement.

Peux-tu te présenter ? Puis présenter Lomepal ?
Je m’appelle Antoine,  je suis un gars de Paris Sud, j’ai passé la moitié de ma vie à faire du skate et à rigoler. J’ai le bac et je suis en école de vidéo. Je travaille de temps en temps pour essayer de survivre et je vis encore avec ma mère. Sinon Lomepal : ça fait deux ans plus ou moins que j’existe. J’ai trouvé ce nom parce que j’ai le teint assez pâle. Au début, c’était Jo Pump. J’ai gratté mes premiers textes sous le nom de Lomepal avec Fixpen Sill. Mon premier projet est sorti en septembre, 20 mesures, puis j’ai collaboré sur leur projet « Le Sens de la Formule » (notre chronique). Pendant toute cette période-là chez Walter, on a fait notre projet « 22h-06h » sortie en mai 2012. Parallèlement à ça, j’ai rencontré un gars qui s’appelle Caballero et avec lui et Hologram Lo’ que je connaissais déjà depuis longtemps, on a fait un projet à 3 qui s’intitule « Le Singe fume sa cigarette » sortie en octobre dernier. Là je suis sur deux projets solo différents : je garde la surprise. Mais le premier qui sortira, c’est une collaboration avec Meyso, un beatmaker de Poitiers qui est très talentueux !

Belle présentation. Tu penses qu’on est obligé d’avoir un blaze pour être rappeur ?
Non c’est pas obligé mais après c’est difficile de retenir deux noms plutôt qu’un (prénom/nom de famille). Il peut aussi y avoir d’autres gens qui l’ont, ça peut créer la confusion. Et puis c’est plus drôle d’avoir un nom, c’est plus simple pour rimer dessus, faire des gimmicks. C’est aussi bien pour avoir un univers autour de cette entité artistique mais après je ne pense pas que ça empêcherait quelqu’un qui rappe avec son nom de famille de bien le faire ! Il y a des gars comme Kendrick Lamar ou Alpha Wann par exemple qui rappent très bien !

On t’a vu avec Fixpen Sill, Caballero et Hologram Lo’ et le Val Mobb mais concrètement tu n’appartiens à aucun crew à part entière, pourquoi ?
Spirituellement, j’appartiens au Thanxlave avec Doum’s et Walter. Sinon j’aime bien avancer en cavalier seul. Après peut-être qu’un jour je ferai partie d’une entité mais je pense qu’un groupe c’est vraiment intéressant si c’est fait dès le début : si t’as commencé tout seul et que t’en crées un, je pense que dans tous les cas ton nom s’est d’abord fait tout seul.

Donc avec Caballero c’est fini ?
(Rires) Non ! C’est très possible que je le réinvite sur mes projets et vice-versa. Il est aussi possible qu’on fasse un jour un deuxième volume. Il va sortir son projet solo qui s’appelle Laisse-Nous Faire, il y aura pleins de featurings dessus et on pourra me retrouver. Sinon je suis bien en solo.

Tu trouves que la prestation de Caballero est différente entre son premier EP (Laisse-Moi Faire) et votre projet commun ?
C’est cet EP qui m’a fait découvrir Caba et qui m’a beaucoup parlé mais il y a surtout une grosse différence de niveau. Avant il était surtout sur des rimes simples dont beaucoup pouvaient être déjà vues. Aujourd’hui il a un truc plus original qu’avant même si l’univers de son premier EP est plus sombre que sur Le Singe Fume. En tout cas, niveau technique il est dix fois plus fort et original aujourd’hui.

 

Et pourquoi Caballero en première grosse collaboration ?
Ça s’est un peu fait tout seul. A la base, quand il est passé sur Paris j’ai voulu faire un morceau avec lui. On s’est très bien entendu humainement et musicalement puis nous est venu l’idée de faire une collaboration, donc on a proposé à Lo’ de faire les prods et c’était parti.

Pas trop compliqué de gérer une collaboration entre Paris et Bruxelles ?
J’ai du aller 5-6 fois en covoiturage à Bruxelles pour le projet. Idem pour lui à Paris. Maintenant on se voit pour les concerts. Aujourd’hui je peux aller là-bas quand je veux, il y a une grande famille d’amis qui m’accueille très bien!

Penchons-nous sur l’écriture. Pour commencer, comment puises-tu ton inspiration ?
J’ai le même smartphone que toi et depuis que j’ai commencé à écrire dessus, je peux écrire n’importe quand et n’importe où. Dès que j’ai une idée je la note. J’écris beaucoup dans le métro, le train, le covoiturage… Je mets le mode mp3 + bloc-notes et comme j’ai rien à faire d’autre dans les transports, ça me permet d’écrire tout le temps. La plupart de mes textes sont des pièces recousues que j’assemble par-ci par-là après les avoir gratter à la volée. Je compose avec des petits blocs de 2/4 mesures pour faire des morceaux entiers. J’ai comme 25 catégories de bloc-notes sur mon portable donc quand j’ai une idée ou une mesure je me dis que celle-ci irait bien dans ce morceau, ou même parfois je me dis que la mesure que je viens de gratter sera la dernière mesure de tel couplet parce qu’elle claque bien. Alors après, j’écris ce qui est avant du coup, je vais dans le sens inverse du temps.

Et c’est pas déstabilisant pour toi ou ceux qui t’entourent d’écrire dans les transports ?
Dans ces cas-là, je pratique une sorte de rap muet où j’entends à peine le bruit de ma bouche. Comme il y a du bruit dans les transports, ce n’est pas gênant.

Au niveau de la fréquence d’écriture, ça donne quoi ?
Aujourd’hui, par exemple, je n’ai pas encore écrit mais en moyenne j’écris tous les jours. Cette semaine j’ai passé beaucoup de temps à monter le clip Libérez Le Virus avec KLM de la 75e session. Sur ce projet très familial, il y a 22 morceaux mais comme le dit KLM lui-même, il y a seulement 8 vrais morceaux, le reste c’est de la rigolade : c’est une vraie mixtape quoi !

Un peu comme VALD ?
J’ai écouté VALD mais j’ai l’impression que c’est plus contrôlé. 2Fingz joue plus sur le côté plus spontané de la chose, même si j’aime tout autant les deux ! Dans La Folie des Glandeurs, par exemple Doums sort un medley de morceaux qui datent d’il y a 4 ans, des impros, j’apprécie ce côté un peu décalé.

Doum’s c’est un peu le branleur du délire non ? Tout le monde sait qu’il rappe bien mais il y a aucun projet en son nom pour le moment…
C’est clair ! Le nombre de morceaux où il est censé poser mais il finit pas son texte parce qu’il se met à fumer un gros joint ou rigoler avec d’autres gens. Limite il se met à faire de l’impro !Pour l’anecdote, sur le morceau « Rien à battre » (Cf. Fixpen Sill), il est allé avec son ordinateur dans la cabine alors qu’il était en visio-conférence avec quelqu’un et là il demande à son interlocuteur de pas faire trop de bruit pendant qu’il enregistre ! Il est vraiment à l’arrache.Sur le projet de L’Entourage qui sort bientôt, il y a de gros couplets de Doum’s.

Tu as des thèmes de prédilection ?
Ouais, la solitude. C’est large mais j’en reviens souvent à ça. Au début je parlais souvent de voyage, de tout quitter, etc. Je lie ça aussi au thème de la solitude. Mais maintenant j’essaie surtout d’écrire des morceaux à thèmes. Tu peux le voir sur Le Singe Fume Sa Cigarette, on a quasiment fait que des morceaux à thèmes.

J’ai trouvé que c’était une bonne idée d’ailleurs parce que je pense que c’est ce qui manque parfois à la nouvelle génération de MCs qui se perd trop souvent dans les freestyles.
C’est deux versants différents du rap. Comme dans un sport, il y a le moment où tu cours, celui où tu vises. C’est totalement différent : ça fait partie du même sport mais ce sont deux approches différentes.

Quand est-ce que tu as commencé à rapper ? Quel a été l’élément déclencheur ?
J’étais jeune, j’avais 18 ans. Je trainais avec mes potes d’enfance que je vois moins aujourd’hui malheureusement. Il y avait un gars de la 75e Session qui rappait, ça me faisait kiffer de le voir faire ça. Et puis j’écoutais du rap depuis longtemps donc j’ai commencé à écrire.

T’écris avec une instru en fond ?
Ouais mais aussi avec des morceaux ! Plus en cainri, comme ça je ne suis pas trop déconcentré par la voix du gars. Je m’imprègne de l’ambiance du morceau. Il y a l’instru mais il y a aussi la voix du rappeur qui crée une ambiance qui peut m’influencer. Ca me donne des idées sur des flows, des manières d’attaquer la rime.

Tu parles souvent de phases mathématiques, qu’entends-tu par-là ?
Personnellement j’ai une manière d’écrire très mathématique, je m’explique : il y a des manières de rapper très spontanée, très libre, parfois la rime ne vient pas… Les instru ont des boucles répétitives, si tu t’adaptes dessus ça fait des structures. C’est ce qu’on appelle les structures de rimes. Tu te mets dans des petites cases tout le temps : t’as un espace pour faire tes rimes, si jamais tu tombes après tu ne seras pas dans les temps donc à partir de ce moment-là tu te retrouves forcément avec une organisation de rimes et donc ça devient mathématique. Le rap c’est un jeu de feinte, le but du jeu c’est de surprendre l’auditeur. Réussir à faire venir la rime là où il ne l’attend pas et cacher le plus de rimes possibles.

Fixpen Sill fait beaucoup ça aussi.
Ouais, eux, c’est vraiment un concentré de rimes et de sens. Ils laissent pas la place à autre chose. Après, ils évoluent aussi à ce niveau-là dans le sens où ils laissent plus de place aux blancs pour que musicalement ça fasse plus d’effet. Vidji travaille ça sur ces derniers textes et ça rend vraiment pas mal. C’est un bosseur, il écrit énormément, il ne fait jamais un texte à la va-vite.

On revient en fin de semaine pour la suite de l’interview…

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