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[Interview] Mitch Olivier (1/2) : « Quand tu fais dix albums de rap dans l’année, tu deviens fou. »

Doc Gyneco, Saian Supa Crew, Booba, tout le monde connaît leurs albums, fredonne leurs titres et bouge la tête sur leurs instrus. Pourtant, la musique ne se fait pas qu’avec les rappeurs et des hommes travaillent dans l’ombre pour faire d’une chanson un chef d’oeuvre. Bien cachés dans les studios, leur nom se murmure dans les oreilles des rappeurs comme des références. Mitch Olivier fait partie des réalisateurs-mixeurs de talent à qui l’on doit beaucoup. Son CV ressemble à une des meilleurs playlist de rap dans nos Ipods. Rencontre avec un monument.

En quoi consiste le métier de mixeur et quelles sont ses particularités ?
En gros, techniquement parlant, c’est de mettre en valeur un morceau. Il s’agit d’en tirer toutes les possibilités. Chacun a sa méthode de travail. Il y a des gens qui vont écouter des grosses caisses tout seul pendant une heure. Je trouve que ça n’a aucun intérêt. Moi, ce que j’aime mettre en valeur, c’est la chanson, surtout quand j’arrive sur un mix dont je n’ai pas fait les prises, avec l’oreille fraîche.
Quand je suis réalisateur, c’est à dire, producteur artistique, je fais des propositions. Je ne suis pas juste un électricien. Je propose et les gens disposent. Parfois, j’amène des choses auxquelles ils n’auraient même pas pensé. C’est là où une émulsion se passe.
Notre métier, c’est aussi beaucoup de relations humaines. A partir de là, on crée des liens. Avec le S-Crew par exemple (ndlr : Mitch Olivier vient de finir le mix de l’album Seine Zoo), à la fin, ils m’appelaient tonton. C’était devenu familial. Ca ne peut être que positif pour la musique. C’est dans l’échange.
Si quelque chose ne me plait qu’à moitié, je préfère rester chez moi. Dans ma manière de travailler, je sais que je ne pourrais rien amener dans ces cas là. Il y a des gens qui font ça mieux que moi. Il faut que ça me plaise. A ce moment là, je m’investis et ça change la donne. Je crois que c’est pareil pour tout. Moi, c’est comme ça que je vis depuis quelques années.

Depuis combien de temps faites-vous ce métier ?
34 ans. Des musiques de films, des albums. J’ai commencé les films avec Bashung. J’ai fait Le Roi Lion aussi. A l’époque, tout était centralisé à Paris, toutes les versions européennes. C’était un drôle de boulot.

Comment en êtes-vous arrivé là ?
À l’époque, j’étais assistant d’un ingénieur son star, Roland Guillotel. On faisait de la variété toute la journée parce que c’était surtout ça qui tournait. On passait de Sardou à Sylvie Vartan, on enregistrait les numéros 1. Le patron du studio a ouvert le Palais des Congrès. J’étais là depuis quelques mois. Au début, j’ai fait des séances par la force des choses, pour savoir comment ça marchait. Un jour, mon patron m’a appelé et m’a donné l’album de Bashung, Pizza, pour faire des maquettes pour une musique de film. Nous voilà partis pour faire la musique d’un film dans lequel jouait Bashung et qui s’appelait Cimetière des Voitures de Fernando Arrabal. Bashung avait la cote. Il était en pleine ascension. Il y avait en numéro 1 Vertiges de l’Amour et en numéro 2 Gaby, donc ça tournait vraiment pour lui. On a fait cette musique un peu bizarre, puis on est parti à Londres mixer avec le mec d’Elvis Costello. Une pointure donc. Je pense que j’avais surtout été emmené pour porter les bandes, parce qu’à l’époque, on était encore en 24 analogue. Quand je suis rentré, j’étais un peu dégouté, parce que j’en avais pris plein les yeux pour pas un rond. C’était vraiment un autre métier. Au bout d’une semaine, il m’a appelé pour me dire qu’il revenait travailler à Paris. Les mix ne collaient plus à l’image du film. Je ne comprenais pas trop ce qu’il voulait dire. On a recommencé à mixer. Ce qui lui plaisait, en fait, c’était plus l’approche naïve, les erreurs que je pouvais faire à l’époque. C’était plus bizarre, plus glauque. Après, on a fait un deuxième film puis on m’a dit : Tu pars avec nous à la campagne, tu vas faire un deuxième album. Ça s’est bien passé, mais il s’est fâché avec son parolier. Quand on est rentré à Paris, il m’a annoncé qu’il avait réussi à brancher Gainsbourg pour écrire des paroles. Ils écrivaient tous les jours au café en face du studio. J’arrivais vers 17h, la table était pleine de verre et je ne savais même pas en quelle langue ils parlaient. J’étais assis entre les deux pendant des semaines. À 20 ans, c’était incroyable, d’être en face de tels dinosaures. Il y avait une émulsion entre les deux. A l’époque Gainsbourg était un peu dans le creux de la vague, mais en même temps, c’était quand même Gainsbourg. Il avait rencontré une sorte d’alter égo un peu plus jeune. Même passion pour les boissons et d’autres choses, ils étaient vraiment dans un drôle d’état. Il y a eu six pages dans Libé dessus. Je ne comprenais pas vraiment ce qu’il se passait. D’un côté, tout le monde disait que c’était génial et d’un autre ce n’est pas un album qui a vraiment marché commercialement. Par contre, pour moi, ça a déclenché plein de trucs. C’est à dire que tous les cheveux rouges de France et de Navarre m’ont appelé pour travailler avec moi. Je me suis retrouvé à faire un circuit indépendant Rock français : Sapho, KAS Product … J’ai rencontré plein de gens. Et puis, ça m’a suivi, plein de choses se sont passés.

Passé du rock au rap est un sacré virage. Comment cela s’est opéré ?
Le rap, je l’ai commencé avec EJM, de Vitry, il figurait sur la compile Rap Attitude avec NTM. C’était les premières compiles en fait. C’était un de mes amis qui travaillait chez BMG qui nous a mis en contact. On s’entendait assez bien. On est devenu ami avec le temps. Je n’étais pas encore dans le rap game, mais je comprenais bien qu’à chaque fois que NTM sortait un truc, lui il voulait sortir un album. Banlieue Sud, banlieue Nord. Un jour, il m’a présenté Rudlion, qui a fait la première compile de rap indépendant : Ghetto Youth Progress. Dessus, il y a tous les jeunes de l’époque : Melaaz, Expression Direkt qui avaient 16 ans. De ça, est sorti le morceau Mon esprit part en couille, qui est un titre culte, tout le monde le connaît. J’ai du le mixer en 92 je crois. Je ne sais pas si c’est le début du rap, mais il se passe quelque chose. Même eux n’ont jamais réussi à renouveler ce truc là. Pour moi, c’est le démarrage d’une autre histoire.

Petit à petit, les gens m’ont appelé, ça avançait. Les Liaisons Dangereuses (Doc Gyneco), c’est une grosse étape aussi. On a passé huit mois ici. C’est énorme. Des budgets comme ça, il n’y en aura plus aujourd’hui. C’est un album qui a démarré chez les Rita Mitsouko. Cela venait de Fred Chichin, qui était ami avec Bruno. Ils voulaient faire un truc ensemble. Ils faisaient venir des rappeurs chez les Rita et finalement il y a eu une embrouille et c’est Virgin qui a racheté les bandes à Fred Chichin. On s’est donc retrouvé avec le DJ du Minister A.M.E.R., Guetch, Iso Diop, qui est un guitariste-bassiste qui jouait avec Bruno, les Rita et Trust. Avec Bruno aussi. L’aventure pouvait démarrer. Le concept de l’album est que tout est joué. Ce ne sont pas des machines. Il n’y a pas de sample. Il y avait la moitié des rappeurs français qui venaient poser un couplet. Un truc fou. Chico nous envoyait tous les rappeurs qu’il croisait. Ça a duré 8 mois. Au bout de huit mois, à priori on avait terminé, et on devait partir dans un autre studio  pour mixer. EMI sont venus écouter les mix et là, le titre avec Bernard Tapie, qui avait un peu disparu, est ressorti des tablettes. Tapie est revenu poser. C’était assez fun d’ailleurs. Puis, Liaisons Dangereuses est sorti. Moi, ça m’a donné l’opportunité de croiser tous les rappeurs, les mecs du Secteur A, que je connaissais déjà un peu, mais qui étaient là tous les jours. A la fois, il y avait un petit truc familial et en même temps, il y avait tout le monde qui venait. Il y a des anecdotes, des histoires assez fun. Après, j’ai enchainé, Première Classe 1, Soprano … À un moment, il y a une certaine lassitude. Dans mon métier, ce qu’il y a de bien, c’est que tu passes d’un projet à un autre. La j’avais l’impression de toujours faire le même chose. Quand tu fais dix albums de rap dans l’année, que tu fais les suivis, les cut, au bout d’un moment tu deviens fou. Un jour Virgin m’a appelé pour produire le premier album d’Anis.

Ça a été le début d’une nouvelle période ?
Je me suis vraiment éclaté en faisant ce disque et je me suis dit qu’il n’y a pas que le rap dans la vie. Ensuite, j’ai fait plein de choses, je suis parti à Berlin faire du Rock’n’Roll. C’est le hasard des rencontres. Souvent les gens me disent : Tu étais où avant ? Je pense que ça ne sert à rien de courir après les gens. Quand les choses doivent se faire, elles se font. C’est ton travail qui provoque les choses, les gens viennent parce qu’ils aiment un truc, ils ont entendu parler de toi ou ils te croisent. Quand tu sors du studio plutôt, parce que malheureusement je suis souvent enfermé, je ne vais pas trop dans les soirées. Je vais voir de temps en temps des petits groupes avec qui je vais travailler, mais je ne suis pas trop showbiz, Universal, Sony etc. …

Après avoir travaillé avec des grands rappeurs (NTM, Expression Direkt entre autre), vous avez arrêté le rap pendant quelques années pour y revenir récemment. Que s’est-il passé ?
Si tu veux quand tu bosses avec Bruno ou des mecs comme Arsenik, des mecs qui ont du talent, c’est toute une génération qui a fait des trucs terribles, et qu’après on t’envoie des morceaux où tu te demandes ce qu’est cette merde, ça change la donne. J’ai vu le truc sombrer et je n’avais pas envie de sombrer avec eux, moi j’ai autre chose à faire. J’ai arrêté le rap pendant quelque temps. J’en avais trop fait et je voyais que ça commençait à baisser. Un jour je faisais un groupe de rock, on était en train de mixer un titre et j’ai croisé Antoine (ndlr : Fonky Flav de 1995) qui m’a demandé si j’étais Mitch Olivier et proposé de faire un titre ensemble. Je me suis dit pourquoi pas, je ne les connaissais pas du tout, en fait. Et puis finalement, c’était super, donc on s’est dit que l’on ferait un autre morceau. J’en ai fait 10, je crois, sur leur dernier album. Ensuite, Nekfeu m’a appelé, j’ai mixé un titre pour le S-Crew Incompris. Il m’a dit qu’il me tenait au courant pour l’album et un mois après, on était en studio. C’est une génération qui a grandi avec les trucs que j’ai mixé il y a quelques années.

Tous les jeunes que je rencontre là, sont des gens cool, je ne sais pas si c’est le terme exact. Il y a une fraîcheur, une envie. Ils peuvent venir, s’ils sont tous comme ça, il n’y a pas de souci. J’attends juste que l’album de S-Crew sorte là, parce que ça va être quelque chose. Il y a quatre personnalités. Il y a les deux frères, Mékra et Framal, il y a 2-Zer, qui lui est fou, et Nekfeu. Si la nouvelle génération est comme ça, c’est positif ! Ils arrivent à l’heure, s’excusent, ils sont très respectueux de tout. Antoine en est l’exemple. Tout ça c’est du jamais vu dans le rap français. Avant, ils te disaient qu’ils venaient, mais tu ne savais pas quel jour.

Entretien réalisé par Mandarine.

3 commentaires

  1. Skal Prozh · Université de Lomé
    QUAND TU RENTRE DANS LA MUSIQUE ET SURTOUT DANS LE RAP ET BIEN DFS BONJOUR AUX NEBULEUSES ET AUX HEURES DE FOLIES OBLIGEES SI TU VISES LE SUCCES…..

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