Durant 10 ans, de 2006 à 2016, Zekwé Ramos a été un personnage aussi apprécié que mystérieux dans le rap français. A la fois producteur, rappeur et chanteur, le jeune homme d’origine cap-verdienne touchait à tout, avec une obsession : ne jamais faire dans la facilité. Pourtant, en 2016, peu de temps après avoir rompu avec le label Néochrome, Zekwé a sorti un ultime EP, nonchalant et provocateur, avant de disparaître des radars. Mais depuis quelques mois, l’artiste refait parler de lui sur son compte Instagram. S’il semble privilégier actuellement sa casquette de producteur, le rappeur d’Evry pourrait-il revenir en force ? On vous explique pourquoi il est important que celui qui se fait désormais appeler Zek revienne de plein pied dans le rap français.
1. Son personnage nous manque.
D’origine cap-verdienne, « colombien avec une tête d’arabe » (La Routine), Zekwé a développé un personnage au cours de ses albums, entre fumeur d’herbe hédoniste, mafieux bling-bling à succès, et banlieusard débrouillard. Dans ses textes, les références à la chanson française se mêlent allègrement aux « R roulés » sud-américains. N’hésitant ainsi pas à jouer de son rapport à ses origines, celui qui revendique « l’accent d’Hugo Chavez » (La seleçao), a développé en dix ans de rap un personnage blagueur, taquin, mais aussi sombre, presque menaçant sur son dernier projet Frapp Musiq. Alors que, notamment par l’intermédiaire de SCH ou de Kaaris, le rap français a pris goût aux personnages de bandits cinématographiques, Zekwé pourrait en 2020 nous amener à nouveau en Colombie.
2. On a envie de rigoler un peu.
On a parlé du côté blagueur de Zek. Il s’agit en réalité de l’une de ses grandes qualités. Si, parfois – école Néochrome oblige – on peut avoir l’impression de tomber sur des blagues Carambar version Bigard, la plupart du temps, les jeux de mots de Zek, concis et précis, font mouche. Dans le genre, « Il faut battre le skin tant qu’il est chauve » (Spécial), reste sans doute un modèle du genre. Ce genre de punchlines bien senties et piquantes, quand elles sont bien dosées, manquent au rap français depuis quelques années.
3. On a besoin de lui pour tacler Macron.
Cela est d’autant plus vrai que les punchs de Zek ne sont que rarement gratuites, simples boutades. Il s’agit souvent de tacler un politique, et de remettre les pendules à l’heure. Si le natif d’Evry proclame faire du « rap 100% inconscient », sur Marche arrière (remix), il dit aussi dans le même morceau faire « un texte moins violent qu’la chronique d’Eric Zemmour ». Alors, l’inconscience de Zekwé a bel et bien quelque chose de politique.
On oublie d’ailleurs souvent que le Néochrome de la fin des années 2000 et du début des années 2010 n’était pas seulement une usine à blagues grivoises de mauvais goût. Il s’agissait également d’un lieu de haine viscérale contre Sarkozy, alors président. Sur Miguel, Zekwé déclare ainsi, en ouverture de son premier projet officiel, « rêver que Sarko’ perde la tête comme Louis XVI ».
Sur Neochrome Hall Stars, peu après le départ du pouvoir de son meilleur ennemi, Zekwé déclare même, sans trop que l’on sache s’il s’agit de la vérité ou d’un bon mot : « Que Paris devienne Amsterdam, donc j’ai voté François Hollande » (J’suis die). Mais très vite, la désillusion se saisit de Zek (comme de la plupart des français). Ainsi, sur le projet suivant, il reconnaît : « On sera pas sauvés par super-Hollande » (Parlons-en), puis désabusé conclue : « On ira ptet voter pour le parti anarchiste » (Le début de la faim).
Aujourd’hui, le sniper de politiques qu’est Zekwé aurait un adversaire à sa hauteur, en la personne d’Emmanuel Macron, et l’on peut déjà imaginer que celui qui n’a eu de cesse de tacler « les cailleras de l’Elysée » (Monsters) remporterait le match haut la main. D’ailleurs, peut-être a-t-il quelque chose à dire sur la réforme des retraites ? Après tout, c’est lui qui a déclaré « L’usine à 62 piges, c’est hors de question ».
4. Il s’adressait à ceux qui galèrent.
Dans cette phrase sur l’usine, on retrouve d’ailleurs l’un des autres grands éléments qui font de Zekwé un rappeur marquant. Son rap de la débrouille, du charbon, a fait de lui un rappeur qui assumait de s’adresser à une France prolétaire, qui souffre au travail, qu’il s’agisse de la bicrave ou de l’usine. Peu d’artistes ont cette manière explicite de rapper pour les « intérimaires qui galèrent entre deux plans » (Entreprenant), même si un Stavo ou un Niro perpétuent cette tradition. Alors, on aurait bien besoin d’un rappeur aujourd’hui qui dédie ses morceaux « à ceux qui tiennent le coup » (Somnambule).
5. Sa plume peut avoir de vrais moments de finesse.
On a dit que les mots de Zekwé pouvaient nous faire rire, pouvaient égratigner les politiques, s’adresser à nous… Mais celui qui n’a jamais hésité à aller sur des thématiques peu fréquentées par le rap de rue de la fin des années 2000 (les sentiments, le couple), a aussi su se servir de sa plume pour arriver à nous toucher, à travers des images particulièrement parlantes, esthétiques, et un sens percutant de la concision, comme sur le morceau Sur cette terre : « 9 mois pour prendre vie, 9 millimètres pour la perdre. »
6. Son talent pour le chant ferait du bien au rap français aujourd’hui.
Aujourd’hui, la plupart des rappeurs assurent leurs propres refrains, équipés d’une solide aide de la part de l’autotune. Ce virage a mis fin à une tradition, bien en place lors des débuts de Zekwé dans le rap : le duo rappeur-chanteuse sur les singles. Mais l’évryen, qui a toujours aimé prendre les choses à contre-pied, notamment lorsque l’on parle des relations entre homme et femme (comme dans son hit Premier métro) n’a jamais cédé à la facilité de cette formule. Sur Spécial, en compagnie de la rappeuse Ladea, c’est Zekwé qui chante, et Ladea qui rappe.
Il faut dire que le jeune homme a toujours eu un vrai goût du chant. Ses refrains et son sens de la mélodie en ont fait un rappeur unique, venant apporter quelque chose de nouveau dans un rap très tourné vers le kickage à la fin des années 2000. Sur des morceaux comme Somnambule, Elles veulent, Mr le Président, ou plus récemment Animos ou Koidmieux, Zekwé a toujours su trouver des mélodies uniques. Aujourd’hui, ce talent pour le chant que peu de rappeurs ont (même si l’on peut penser à des artistes comme Jok’air), feraient de lui un talent aussi unique dans le rap français qu’il ne l’était lors de sa première période d’activité.
7. On a besoin de quelqu’un qui recherche l’originalité.
Zekwé n’a jamais été un rappeur parfait. Il n’a sans doute jamais voulu l’être. Ce qu’il veut être, c’est un chercheur, un curieux, un précurseur. Sur l’excellent morceau Libre, il rappe : « Ils s’fatiguent à faire des classiques, ils en oublient d’être originaux ». Lui est dans la démarche inverse. Sur des productions qu’il fait lui-même, Zekwé va chercher du côté du rock ou des musiques électroniques pour chambouler le rap de l’intérieur. Aujourd’hui, son goût des sonorités nouvelles et des structures de morceaux inattendues rafraîchiraient un rap français où, pour paraphraser l’évryen, on se fatigue à faire des bangers, mais on oublie l’originalité.
8. On a aussi besoin de sa culture rap.
Il ne faut néanmoins pas voir dans Zekwé quelqu’un qui vient « hybrider » le rap, dans une profusion d’influences, à l’image de nos fameux « néo-rappeurs » préférés, qui viennent en réalité souvent le lisser. Au contraire, il fait partie de ceux qui pensent que, pour innover dans un genre musical, il faut le maîtriser, et s’y repérer. Celui qui a su opérer avec brio la transition entre le rap au influences sudistes de la fin des années 2000 et le boom trap et drill post-2012 dans ses beats, est avant tout un passionné de rap. Le genre de mec qui peut rapper avoir « la folie d’Wayne, le phrasé de Prodigy » (L’atroce-duction).
9. Depuis qu’il ne se met plus la pression, Zekwé est meilleur.
Au-delà de toutes les qualités de Zekwé que l’on vient d’énumérer, ce qui nous donne envie de l’entendre rapper à nouveau est l’impressionnante progression du rappeur lors de ses dernières années d’activité. D’abord ambitieux, au sein d’un label qui ne lui correspondait qu’à moitié, Zekwé a mis du temps à s’affirmer et trouver sa voix. Néanmoins, sur Frapp Musiq, en toute décontraction, le rappeur semble invincible : « Je rappe mieux depuis que j’m’en branle de percer. » (Zombies) reconnaît-il lui-même. Alors, maintenant qu’il a vieilli, sans doute pris encore un peu plus de recul, on imagine que Zek doit être devenu meilleur que jamais.
10. On a besoin d’un président en 2022.
Aujourd’hui, ce qui marche fort en politique, c’est l’écologie. Pourtant, certains se battent pour la planète depuis bien plus longtemps. Zekwé en fait partie, en grand amateur d’herbe et de verdure. Il proclame ainsi sur Buzz l’éclair en 2012 : « Votez Zekwé pour son p’tit côté écolo. » Autant dire que c’est le moment ou jamais pour le rappeur de se présenter aux élections. Et franchement, on peut faire confiance à un mec qui dit « J’suis content d’m’appeler Kévin face aux flics fachos » ou « Oui, oui, c’est l’argent sale de Serge Dassault qui finance les fusils d’assaut » pour diriger la France d’une main de fer – ou plutôt d’une main verte. Mais pour ça, il faut que Zekwé revienne vite.