Brut de décoffrage, Hatik a du chien, de la gueule et des trucs à dire. Un charisme farouche et des élans d’agressivité qui cachent un travail d’acharné, débuté il y a plus de dix ans. Vous l’avez d’ailleurs peut-être découvert dans La Promesse, sublime titre de 10 minutes disponible uniquement sur la version limitée de l’album de Disiz, Rap Machine, sorti en 2015. S’y croisaient les plumes éloquentes de Tito Prince, Youssoupha, Dinos, Soprano et, bien sûr, Hatik lui-même. Cinq ans, quelques freestyles et deux mixtapes plus tard, il s’offre une place de choix dans Validé. La série évènement, diffusée en streaming sur myCanal depuis le 20 mars dernier, lui donne depuis un sacré coup de projecteur.
Clément Penhoat, 27 ans, à la fois Hatik et Apash, a grandi dans le quartier des Garennes à Guyancourt, dans les Yvelines (78). Seule différence entre le bonhomme et son personnage ? La mise en scène d’une ascension spectaculaire et brutale, orchestrée par Franck Gastambide autour d’Apash. Hatik lui, était déjà là. Fin 2018, il balançait une série de freestyles retentissants. D’une puissance comparable à celle des performances du rappeur fictif. Avec un truc en plus : ces freestyles sont bien réels. En clair, Hatik – à défaut d’un Apash en crypté– c’est l’ultime cadeau de Validé aux téléspectateurs qui ne le connaissait pas.
Après une première mixtape en 2014 intitulée America 2 – Connaissance et style, un EP de quatre titres trois ans plus tard nommé Par le pire, une signature chez Low Wood et un album complet qui ne sortira pas, Hatik reprend une formule gagnante. Une série de freestyles clippés. Un concept, surtout, la Chaise pliante, immuable, sur laquelle il se juche dans chacun des clips à l’esthétique très prenante, en observation sur un trône de fortune.
On y découvre ce côté diamant brut des bons freestyles. Ceux qui ne s’encombrent pas de polissage ni de politesses. Hatik est là pour faire montre de ses capacités. S’il kicke dans chacun des neufs freestyles, on lui découvre aussi des qualités de chanteur. La mélancolie le pousse même à allier ses fredonnements à des hurlements. Entre insolence, poésie, agressivité et mélancolie, la palette est plutôt exhaustive. Le message global, c’est la mise en garde. La chaise est déjà dépliée… Le rookie arrive en 2019 pour en découdre et s’installer. La spontanéité brute de ces freestyles accroche les auditeurs. C’est la recette d’Hatik. Une pincée de sel en plus pour le goût.
Le rappeur continue sur sa lancée, et collabore avec Daymolition et La Sucrerie en février 2019 pour le Projet Berlin. Le concept ? Produire cinq morceaux durant un séjour de cinq jours dans la capitale allemande. Hatik compte Medeline et Ogee Handz à ses côtés pour la prod’, avec qui il a pris ses habitudes, tandis que La Sucrerie gère le montage et la réal’ des clips. Ces morceaux s’étalent du lundi au vendredi, et chacun porte en titre les jours de la semaine en allemand.
Von Montag bis Freitag, donc, Hatik nous propose un avant-goût de son univers. Et en une semaine seulement, sa productivité se pare de ses états d’âme quotidiens. On commence avec MONTAG, un egotrip qui place le décor à grand renfort d’insultes. Un peu balourd, mais le meilleur est à venir. La petite vibe rebondie et chantée de DIENSTAG, assez simpliste mais sympa, prend Snoop Dogg en caution – et en épiphore. Le lendemain, sur MITTWOCH, Hatik part en introspection et aborde les dilemmes et cicatrices de sa vie en cité. C’est plus profond. Changement d’ambiance sur le featuring avec Bosh dans DONNERSTAG : cette fois-ci, ça kicke en gants de boxe. Il faut dire que l’invité rappe hardcore, et qu’il n’a pas l’air commode, vous le savez si vous avez suivi Validé. La semaine se termine avec FREITAG. Une seule nuit sépare ces deux enregistrements, mais Hatik n’a aucune difficulté à se projeter dans une toute autre atmosphère. Ce titre est une mise à nu délicate, mélancolique et résignée. Criant de désarroi. Une sacrée semaine et une sacrée palette en somme, servie par les visuels dingues de La Sucrerie.
En 2019, Hatik tient le bon filon et petit à petit, les gages de reconnaissances se multiplient : d’abord, il pose avec Isha et Jok’air sur Tech9, un titre qui figurera sur la version additionnelle La Fièvre de la mixtape Jok’Travolta. Le refrain qui reste en tête, c’est lui. Il fera aussi une entrée fracassante dans le cercle, le hors-série Tango League 2. Enfin, la série des freestyles Chaise pliante donnera naissance à une première mixtape du même nom en août 2019, et de sa suite le 6 mars dernier.
Gros déclic
Dans le premier opus de Chaise Pliante, on trouve de tout, et il fallait s’y attendre. Dans son entrée en matière tapageuse, Welcome, il découpe l’instru’ avec nervosité. Fébrile, il semble piaffer à l’entrée. Impatient de nous montrer… que sans la prôner, la rue, il la connait, et sait en parler. De plein de façons différentes. En véritable technicien, il se prête d’abord à l’egotrip sur Camaro Sport, puis oscille d’un ton et d’un flow à l’autre, sur TVRF ou encore C’est la base/y’a les condés. Enfin, avec Bosh sur Ouais mon reuf, seul featuring récupéré du projet Berlin, c’est la montée en puissance du titre qui donne envie d’en découdre.
On découvrira aussi dans cette mixtape des titres chantés entêtants comme Iaps, Mula, ou c’est la cité. On tient les summer songs au potentiel de tube. Une case de plus à cocher, même si Hatik semble plutôt meubler. Il cède ainsi au conformisme et à la tendance zumba actuelle, devenue un standard qu’il faut maîtriser. Verdict ? Ça passe, mais passons. Au suivant ! Figurez-vous que le storytelling lui réussit aussi. La preuve avec Une histoire ou Belle en noir, traitant de thèmes diamétralement opposés. Peu importe le registre, son sens de la mélodie est bluffant et assumé. Il le prouve dans Angela, un hommage à l’immense titre du Saian Supa Crew, sorti il y a plus de 20 ans. A la manière d’un Maes –qui, d’ailleurs, coïncidence ou non, a lui aussi repris cet air mythique sur Tes rêves, avec Dabs– Hatik sait rapper dur et chanter doux.
L’avant-dernière étape de cette mixtape, c’est l’exploration d’un chagrin dénué de pudeur, d’une sensibilité hors-norme, à la fois honnête et brute. Comme brutalement pris d’un chagrin brûlant et acide, son timbre se charge d’amertume dans L’amour du vide, et habille le texte monumental du bouleversant Abîmé. Sa voix, elle, se brise parfois. « Je me pète la ge-gor quand je chante« , assure-t-il lui-même dans C’est la base/y’a les condés. Endurci et résigné dans M’attends pas, on l’entendrait parfois serrer les dents de rage quand il pose. Certes mélancolique, le rappeur affiche surtout une hargne à fleur de peau, que l’on retrouve aussi dans le morceau La lune, où il interroge cette fois la fatalité d’un certain déterminisme social.
« Riche dans le cœur mais la misère sociale nous fait voir l’avenir dans un trou de souris ».
Centré sur les accrocs de l’amour et les entailles de la rue, son univers s’articule autour de questions existentielles qui rythment son passé street et son futur dans le rap. A la fois déchirant et sublime de sincérité, le titre Machine à sous évoque sans détour le temps qui passe et contre lequel ni la réussite ni le gain ne peut rien.
Le premier volume de Chaise Pliante compile les états d’âmes et coups de gueule d’un écorché vif, en somme. À la prod’, on retrouve majoritairement l’ancien duo devenu solo Medeline, qui traîne un sacré palmarès et avec qui Hatik collabore depuis le début. S’y ajoute Ogee Handz, ILLNIGHT, Ysos, Traxx Hitmaker, Came Beats, The sourceloops, Heromane et Alejandro (FRA). Ensemble, ces beatmakers ont proposé un ensemble très homogène, qui s’associe bien à l’univers d’Hatik. Les prod’ lui collent à la peau : toutes s’adaptent à son débit, le mettent en avant et portent même son flow. Une mention spéciale à l’instru’ de Welcome d’ailleurs, plutôt épatante.
Technique et authentique
Même compo’ d’équipe sur le second volet de Chaise Pliante, un peu plus resserrée : Medeline, toujours à la réalisation du projet, et puis les habitués : Ogee Handz, Illnight et Traxx. Les invités, eux, sont plus nombreux. Hatik a cherché à enrichir chacun de ses registres par l’univers d’artistes qu’on ne présente plus. Hornet La Frappe, Paky, Jok’air et Médine… Rien que ça.
On débute le projet avec un Hatik qui kicke mais, surtout, qui bosse les refrains. Dans la même veine que Welcome, le morceau Encore, turnup entêtant, pose le décor. On remarque à nouveau cet effet refrain-mantra dans 2K ou Benzo. La voix est plus basse, nonchalante, en accord avec un texte de hit, pas douloureux ni introspectif. On se laissera moins emporter, mais c’est tout de même maîtrisé. Avec les instrus carrément dansantes de Binks ou Vroum Vroum, Hatik joue la carte du refrain catchy.
Et puis, il y a le registre love et l’évolution de son rapport à l’amour et à la femme. Loin d’être excellent ni engagé outre-mesure, le presque féministe Je t’aime est ancré dans l’actualité et se fait gage de la modernité d’Hatik. Billet d’5 en est d’ailleurs la contradiction franche, puisque il y fanfaronne sur ses relations légères et éphémères. Le cheminement se poursuit avec Adieu, mon amour, chanson d’amour et de désamour. Tout est dans le titre. Le roi des mots doux Jok’air s’invite ensuite sur La meilleure, qui rentre dans la tête à la façon d’un Angela. Enfin, pour compléter son tableau et surtout sa palette, Hatik termine avec Vroum Vroum, pop urbaine peu convaincante mais assumée, potentiel tube et succès certain en showcase.
Après des débuts en fanfare, Hatik remet à l’honneur les titres de milieu d’album. Avec Paky sur Alpha, d’abord, puis sur FDP, il nous offre une décharge d’agressivité. Et une salve d’insultes. Certes, en anaphores, mais tout de même. On déguste les coups et applaudit la rencontre avec un Paky féroce et charismatique, qui s’illustre de brutalité. C’est une grosse claque. La scène rap italienne arbore décidément de jolies pierres à sa couronne.
La suite, bien plus personnelle, illustre le cheminement du projet. Le Cercle vicieux, sûrement l’un des titres les plus abouti du projet, est un examen de conscience sans orgueil, intime et fiévreux. Hatik y questionne le cheminement de sa foi et sa ligne de conduite avec humilité, et s’y blâme de ses actes manqués. Un bijou d’intensité et d’honnêteté. Éloquent, mais déchirant. Ces doutes, il les puise dans un passé a priori compliqué. Dans La rue, Hatik fait encore une fois montre d’une technique monstre. Sur ce titre sans refrain, il livre une critique de la rue très terre-à-terre et loin des refrains traps trop élogieux qu’on a déjà entendu.
« J’suis sali par mes pêchés, Sadaqa c’est le savon, le ciel verra toujours c’que j’fais, même si je blinde le plafond »
Tout aussi éloquent dans un registre politisé, Hatik dépasse le cahier des charges et pousse un peu plus la démonstration avec le très engagé Baguette Magique, en featuring avec Médine. Avec profondeur, Hatik y prête sa « voix à la misère, avec un peu d’autotune ». Dans la même veine, Ferme les yeux est empreint d’une conscientisation indéniable, servie par un sens de la mélodie presque thérapeutique. Abattu cette fois-ci, il bataille moins qu’aux côtés de Médine. Finalement, le rappeur conclut son projet avec Tout ira bien. Apaisé après la catharsis, il y fait amende honorable :
« J’suis pas en paix mais ça viendra, selon les prières et les virages »
Deux titres bonus sont présents dans la tracklist du pack spécial de cette mixtape. Dans Bitume, Hatik allie comme à son habitude des couplets street et direct à un refrain plus chanté. Le titre Parle français, lui, est une suite de Billets d’5. Le 8 avril dernier, Hatik a ajouté ces titres à la version digitale de la mixtape. Petit cadeau en plus : Millions et Matos, deux morceaux egotrip, viennent compléter le premier opus de Chaise pliante.
Avec ces deux mixtapes, Hatik expérimente et insiste sur la démonstration d’un rap à versants : de l’entertainment, du hardcore, beaucoup de spleen et du conscient. En bref, il s’attelle à nous montrer qu’il sait tout faire. Et peu importe la direction, sa patte, c’est la performance. C’est sa force : qu’il kicke ou qu’il chante, qu’il hurle ou fredonne, Hatik est à la fois technique et authentique. Il incarne ce qu’il rappe et semble surtout habité par son propre univers.
Validé, mais pas qu’à la télé
Validé, c’est la dernière étape en date dans la carrière d’Hatik. Et pas des moindres, puisque c’est la série événement du moment. Aux frontières du réel avec le rapgame français, la première série sur le rap français joue sur la confusion entre fiction et réalité (vrais locaux, studios et plateaux, casting de rappeurs connus, journalistes du milieu, etc.) Validé, au-delà de jouer les pionnières, offre, si ce n’est une portée de documentaire, au moins celle de la découverte.
Et ça fonctionne ! Servie par le talent d’Hatik et un jeu d’acteur dont il n’a pas à pâlir, la série bat des records d’audience et de téléchargement. S’il s’agit certes d’une bonne nouvelle pour l’acteur encore néophyte, c’en est aussi une pour le rappeur. En effet, grâce au succès de Validé, les streams d’Hatik décollent.
Les chiffres en témoignent : le média TPZ_Rap fait même état d’une progression de 250%. En clair, Hatik et ses contenus passent de 200 000 streams quotidiens à 700 000 depuis la sortie de la série Validé. Sur le compte Instagram de l’artiste, ce n’est pas moins de 200k followers qui l’ont rejoint, seulement une semaine après la sortie de la série. Et ça ne cesse d’augmenter.
Néanmoins, en se positionnant aux frontières du réel avec le rapgame en général mais aussi avec tout ce qui qualifie son personnage principal, la série Validé force le public à attendre d’Hatik qu’il soit aussi bon que l’est Apash –dans un scénario. Si la fiction qui lui est consacrée concentre son lot d’éléments spectaculaires, il s’agissait surtout de crédibiliser son statut de série sur le rap.
Si grâce à son jeu d’acteur sous les traits d’Apash, Hatik a pu s’ouvrir à un public plus large, le défi réside surtout dans le fait de faire perdurer ce coup de projecteur. Qu’on préfère le rappeur ou l’acteur, Hatik a lui décidé d’être les deux à la fois, et la série Validé réduit forcément son droit à l’erreur.
Loin de l’ignorer, Hatik a mis les bouchées doubles. Après la diffusion de Validé, qui a succédé à la sortie de sa mixtape, il renchérit avec ses apparitions sur l’album de la BO de la série. Sa stratégie est bonne, et chacune de ses deux images nourrissent l’autre. Mais, si l’amalgame fait sourire sur les réseaux ou dans les commentaires YouTube, il ne faudrait pas non plus que notre parvenu fictif mange tout cru le rappeur de chair et d’os. Apash n’est qu’un personnage, tandis qu’Hatik est réel. En tant que rappeur et acteur, certes, mais d’abord rappeur.
Et notre intime conviction, chez Le Rap En France, c’est que c’est d’ailleurs ce qui lui confère autant d’intensité dans son jeu. Hatik a su très vite dévoiler sa vulnérabilité dans sa musique. Habité, il confirme un célèbre adage, issu d’un couplet écrit par un certain Léonard Cohen. C’est par les fissures que la lumière entre. Et c’est là l’arme paradoxale d’Hatik. Ses fêlures. Exposées par une musique pleine d’aspérités et d’autant de relief. Loin du lisse et du tronqué, Hatik oscille entre agressivité et fragilité. Fidèle à ses ressentis, il brûle et caresse, contusionne mais conforte. Il donne la priorité à son art en faisant fi d’une forme de pudeur. Son très attendu album à venir, qu’il tease sur les réseaux sociaux depuis quelques jours, devra confirmer qu’à l’inverse d’Apash, Hatik n’est sûrement plus un rookie depuis longtemps.