Alors qu’il s’apprête à sortir sa mixtape Petit apache le 25 octobre prochain, on est parti à la rencontre de Fello, rappeur bordelais qui officie dans le rap depuis plusieurs années déjà.
À la fin du XIXe siècle, aux États-Unis, les Apaches sont un peuple indien connu pour son côté rebelle, parfois cruel, et surtout pour être la dernière tribu amérindienne à avoir résisté aux colons européens. Quelques dizaines d’années après, au début du siècle dernier, c’est ainsi que surnommaient les journaux français une bande de voyous qui semait la terreur à Paris. Aujourd’hui, l’appellation a traversé les années, ainsi que les kilomètres, pour arriver à Bordeaux, et devenir une des expressions les plus utilisées dans les quartiers des villes que l’on trouve en périphérie et au nord de la Belle endormie. “Apaches, chez nous, ça veut dire voyou. Ça a un côté sauvage, c’est la débrouillardise” nous explique Fello, assis dans son studio, dans le quartier des Aubiers, au nord de Bordeaux.
Chez lui, pour être précis, c’est plutôt Saint-Louis, le quartier voisin. C’est là-bas qu’il naît et qu’il grandit, notamment biberonné au son de Première Consultation de Doc Gynéco (“à l’époque je comprenais rien de ce qu’il disait, mais je kiffais”). Une cassette offerte par l’un de ses cousins, qui lui offrira par la suite sa deuxième gifle rapologique. “Un jour, il me dit : « arrête d’écouter Panthéon. Il faut que t’écoutes le vrai Booba. » Il m’envoie alors Temps mort et Mauvais Œil. Et là, j’ai vraiment pris une grosse claque. Je l’écoutais en boucle, je connaissais toutes les paroles par cœur… C’était trop. Même aujourd’hui, je pense que Mauvais Œil reste le meilleur album de l’histoire du rap français”.
À l’âge de 15 ans, il décide de monter un premier groupe avec l’un de ses meilleurs potes (qui fait partie de l’équipe qui s’occupe de sa carrière) : Paradoxe. Très vite, le groupe passe à quatre membres, puis se fond dans un grand collectif qui réunissait trois quartiers du nord de Bordeaux. Ils commencent alors à aller en studio ensemble, à faire des première parties, des open mic, des soirées rap. “Youtube n’était pas aussi développé à l’époque. Pour écouter du rap, il fallait venir en soirée”. Ils enchaînent avec des albums et des petites scènes, qui leur permettent d’avoir une petite notoriété sur la scène locale. “C’était la bonne époque” se remémore Fello.
Puis les années passent, et petit à petit, le succès n’étant pas au rendez-vous, ses acolytes arrêtent le rap, l’un après l’autre. Mais pas Fello. “Les autres ont commencé à faire autre chose, ont eu des enfants, ont monté des entreprises. Pendant ce temps-là, moi, je suis resté un gosse” rigole-t-il. Désormais artiste solo, il est contacté par le collectif de beatmakers bordelais G walers, qui veut faire un EP avec lui. Mais alors que le projet est finalement annulé, cette collaboration lui aura tout de même permis de faire l’une des rencontres les plus déterminantes de sa carrière : Guilty de Katrina Squad. Pas encore devenu une des stars du beatmaking qu’il est aujourd’hui, le Toulousain et le Bordelais s’entendent à merveille musicalement, et réalisent beaucoup de titres. “C’est à ses côtés que j’ai commencé à me professionnaliser, à ne plus prendre ça uniquement comme un loisir”. C’est là-bas, à Toulouse, qu’il fait également la rencontre d’un certain SCH, chez qui l’on peut trouver certaines similitudes dans le choix des prods, les mélodies et la façon de rapper. “T’es pas le premier à me le dire. Mais ça m’étonne, parce que lui il a vraiment une voix et des placements particuliers, et parce que je trouve qu’on ne fait pas vraiment la même chose. Quand j’écoute ses morceaux, parfois, je me dis que j’aurais pas posé comme lui… Par contre, pour ce qui est de la couleur musicale, le choix des instrus, là je suis d’accord. On s’est croisé en studio une ou deux fois, et Guilty lui a fait écouter mes sons. Et à chaque fois, on était d’accord sur quel son était le meilleur« . Mais malgré l’apparente symbiose musicale qui lie les deux, là aussi, la collaboration avec Guilty n’aboutit pas à un projet, et ils finissent par s’éloigner l’un de l’autre.
Fello se retrouve alors seul, à nouveau au point mort. Mais de retour à Saint-Louis, chez lui, là où tout a commencé, il va trouver les personnes idoines pour impulser un nouvel élan à sa carrière : deux de ses meilleurs potes décident de le prendre sous leurs ailes et de le manager. C’est ainsi que naît la structure Usine music. « Ils m’ont poussé à clipper les meilleurs morceaux que j’ai fait avec Guilty, ils ont monté un studio rien que pour moi… Je leur dois beaucoup”. Pas assez déter’ pour se booster tout seul le Fello ? Pas vraiment. C’est juste qu’il est ce qu’on appelle un “artiste” au sens noble du terme : un mec un peu rêveur, pour qui la musique est un kif avant tout. “Quand je vois les nouveaux rappeurs d’aujourd’hui, ils réfléchissent déjà comme des entrepreneurs alors qu’ils ont à peine 18 piges… Mais si j’avais eu cette mentalité-là à mes débuts, j’en serais peut-être pas là aujourd’hui« .
Il faut dire qu’en habitant à Bordeaux, il n’est pas vraiment aidé : alors que de nombreux rappeurs connaissent d’énormes succès à Paris et à Marseille, BDX se cantonne aux succès relatifs de Black Kent et Sam’s. Pas facile alors de croire en ses rêves de gloire sans tête d’affiche à laquelle se raccrocher en cas de coup de mou. C’est en tout cas l’un des arguments avancés par Fello et les membres d’Usine music. “Ici, il y a pas mal de jeunes super talentueux, mais ils manquent souvent de rigueur. En même temps, à Paris, les jeunes qui percent, ils sont poussés par des plus grands, et ils ont plein d’exemples de réussite. Ici, personne n’a vraiment percé, du coup, c’est plus dur de les pousser à croire en eux. Le meilleur conseil que l’on peut donner à un jeune rappeur bordelais, c’est d’aller à Paris. Il n’y a pas d’économie du rap ici, ça reste une passion”. Fello explique également que la ville souffre peut-être d’un déficit d’image. Trop bourgeoise, pas assez street. Mais malgré tout, il reste positif. “C’est dur, mais le challenge est super beau. Ici, y a tout à faire. Si t’es le premier de Bordeaux à percer, tu prends toute la ville« .
Et pour y arriver, il a mis les petits plats dans les grands pour la sortie de sa mixtape Petit apache : des clips aux petits oignons, une prod de Noxious, une des stars du beatmaking français (Niska, Ninho ou encore SCH ont notamment fait appel à lui), et Sam’s en featuring, qui est aujourd’hui un beau nom du rap et du cinéma français. Une collaboration qui paraissait évidente pour le Bordelais. “Sam’s, on le connaît depuis les séances studio que l’on faisait quand on était petits. C’est la génération au-dessus de nous. À cette époque, on avait d’ailleurs fait un featuring sur l’une de ses mixtapes. Du coup on a décidé de faire le match retour pour l’album. Il nous donne des conseils, il nous aide, il nous a fait rencontrer des gens à Paris… C’est comme un grand frère« . En ce qui concerne les médias, les efforts entrepris commencent à payer : après avoir notamment fait des freestyles pour Génération et Rapunchline (à retrouver ici et là), c’est Mouv’ qui s’est récemment intéressé à lui en allant l’interviewer (visionnable ici). Par contre, pour ce qui est de la réception du public, il pourra faire tous les efforts du monde, le résultat reste soumis à l’imprévisibilité à laquelle est confrontée chaque artiste. Avec Petit apache, Fello connaîtra-t-il enfin le succès escompté, après déjà pratiquement dix ans de carrière ? Seul l’avenir nous le dira. En tout cas, une chose est sûre : à l’image de Geronimo, le dernier chef apache qui résista si longtemps aux Américains à la fin du XIXe siècle, on peut compter sur lui pour ne jamais abandonner.