« On a environ 2 heures devant nous » lâche Mohan, avant de décapsuler une bière d’un pack de 12 acheté quelques minutes plus tôt à deux pas de chez lui dans le quartier des Chartrons, à Bordeaux. Il est 20 h, et dans 2 heures, Mohan ne part pas en soirée pour se rafraîchir le gosier comme pourrait le laisser penser sa tenue du jour, une veste de pêcheur sur un gros pull vintage façon années 80 ; dans 2 heures, Mohan doit commencer sa journée de boulot en tant que réceptionniste dans un hôtel. Il dort donc le jour et travaille la nuit, soit un rythme de vie qu’il gardera sans doute lorsque, si tout va bien, les gens se rendront compte de son talent, et qu’il pourra enfin vivre de sa musique.
En attendant d’abandonner les flashs et les canettes pour les strass et les paillettes auxquels il peut légitimement prétendre, le Bordelais de naissance compte poursuivre doucement mais sûrement une carrière dont les premiers émois pour le rap datent d’il y a déjà vingt ans. « Quand j’avais 8 ans, je suis tombé sur « Seine-Saint-Denis Style » sur Skyrock. J’ai enregistré le son, et je l’ai écouté pendant des journées entières. Pareil avec « TDSI » de Rohff, puis le 113. » Quelques années après ces premiers orgasmes auditifs, le jeune Mohan reprend une baffe au collège : « Vers 12 ans, j’achetais tout le temps des magazines de rap, ceux avec des CD dedans. Grâce à ça, j’ai commencé à kiffer le rap américain et la sape. » Un peu comme pas mal de monde à l’époque, vous allez nous dire. Sauf que lui, il est allé beaucoup plus loin que les autres. « Au même âge, j’ai commencé à faire du piano. Et en même temps, j’ai commencé à composer sur l’ordi. Je faisais des instrus sur HipHop Ejay, un truc flingué. J’ai commencé à enregistrer des sons que je faisais écouter qu’à ma famille. C’est uniquement quand j’ai trouvé ma vibe que j’ai eu envie de m’exposer aux autres. » Une vibe déclenchée avec la découverte d’un homme en particulier : Pharrell Williams. « Les accords qu’il utilise, sa musicalité, ses fringues, ce qu’il a fait avec les Neptunes, avec N.E.R.D.… En découvrant Pharrell, c’est là que j’ai découvert ma vibe. Il m’a emmené plus haut. »
Aujourd’hui, Mohan va plutôt chercher son inspiration dans le rap US underground : Goth Money, SGP, IndigoChildRick, Sir Michael Rocks, Pollari, Yung Lean… Mais surtout, il écoute des producteurs, tels que Icytwat, Pierre Bourne, ou Varnish La Piscine de ce côté-ci de l’Atlantique. Car oui, en parallèle de sa carrière de rappeur, Mohan continue de faire des instrus, qu’il vend sur la plateforme Bandcamp lorsqu’il ne les utilise pas pour ses propres projets, qui se comptent déjà au nombre de 7. Et alors qu’il réalise lui-même ses clips, ce passionné de fringues commence également à redessiner et créer lui-même ses habits. Self-made-man touche-à-tout et débrouillard, Mohan a gravi les marches une par une pour prendre sa part dans l’immense gâteau que représente le rap aujourd’hui. Un parcours au long cours, qui tranche avec certains jeunes, et qui pourrait faire sa force selon lui : « Les rappeurs de 2018, j’ai l’impression qu’ils sont exposés trop rapidement. Moi, j’ai pris le temps de perfectionner mon style avant de m’exposer. »
Le style de Mohan, parlons-en. Côté lyrics, derrière une forte proportion à faire dans l’ego-trip jouissif mais jamais outrancier, le rap de Mohan demande plusieurs écoutes afin d’en apprécier toutes les subtilités, comme lorsqu’il fait dans l’introspection (« Serais-je aussi frais si je n’avais pas autant souffert ? »), ou quand il dévoile une culture étonnante, qu’il distille avec parcimonie au gré des morceaux (vous avez déjà entendu un rappeur parler de delirium tremens, cette conséquence neurologique liée au sevrage d’alcool, ou l’excelsior, qui est une technique d’attaque aux échecs ?). Rien que son nom de scène, qui est une référence à un tigre blanc indien, nous pousse à aller sur Wikipédia pour en savoir plus sur le personnage. Son univers musical, quant à lui, navigue entre jazz, funk et musique futuristes, le tout sur des rythmiques de grime et de plug. Bref, un mélange étonnant qui traduit la volonté du bonhomme à inventer de nouvelles choses de façon perpétuelle. « Ceux qui disent que tout a déjà été fait dans la musique, ça m’énerve. Quand t’en arrives à là, c’est que tu ne te cultives pas. Et quand tu ne te cultives pas, tu tournes en rond. »
En attendant de devenir le Dany Synthé de la grime en France, Mohan continue de composer ses prods chez lui, ou sur son petit ordi, au taf. Un ordi qui contient plusieurs projets d’avance, qui sortiront dans les mois qui suivent : « je pense sortir deux petits projets, puis un gros, que je pousserais au max. Après, je pense faire une pause pour me consacrer uniquement aux prods, avant de revenir au rap. » Pour l’heure, Mohan doit partir travailler. Et peut-être qu’entre deux clients, il composera à nouveau une pépite dont il a le secret.