Auteurs de l’excellent BDMS 3 sorti en mai dernier, nous sommes allés à la rencontre de La Prune pour en savoir un peu plus sur eux. Focus sur le seul groupe capable de citer le bain de Jeremstar et Soulja Boy dans la même phrase.
“On a déjà fait le coup à l’occasion d’une interview pour une radio. Ils en avaient clairement rien à foutre. Donc depuis, on n’a pas recommencé” lâche Endé, alors qu’on lui dit que l’on regrette un peu de ne pas avoir été accueilli avec une bouteille de liqueur de prune. “Et puis on a beau être des fêtards, boire de l’eau de vie à 14 h un lundi, ça aurait peut-être été un peu hard”. À la place, ce sera bière et chips goût poulet dans les confortables canapés des luxueux bureaux de l’Agence immobilière Genève où travaille L’épicier. Un lieu parfait pour dérouler, 2 heures durant, l’histoire de La Prune, le groupe bordelais “pas venu là pour débattre sur la chocolatine”.
La Prune a beau avoir sorti son premier projet fin 2016, ne croyez pas que vous avez affaire à des newcomers. Au début de la décennie, Endé, L’épicier et Krab collaborent régulièrement ensemble en s’invitant les uns et les autres sur leurs projets respectifs. C’est donc tout naturellement, au bout de plusieurs années de travail en commun, que le trio de trentenaires décident de créer un groupe. Tous les trois sont fans de trill, cette forme de rap venue du sud des USA rendue populaire par Bun B au milieu des années 2000 et qui se compose d’instrus lentes et de voix autotunées, ils savent déjà ce qu’ils veulent faire comme type de rap. Reste à trouver un nom de groupe. Il sera créé le jour du mariage de L’épicier. “À la base, il y a L’épicier qui se marie. Et il y a ce moment de fin de soirée où l’on passe aux choses sérieuses pour marquer l’événement. Pendant toute la soirée, un pote à nous a bloqué sur un magnum d’alcool de prune que l’oncle de L’épicier avait ramené. Du coup, on a attaqué la bouteille. Par la suite, à chaque grand événement, on avait ce petit moment de liqueur de prune. Plus tard, alors qu’on était en studio et qu’on parlait de créer un groupe, l’idée de la prune est ressortie.”
Pendant 6 mois, les 3 potes charbonnent pour préparer la sortie d’un premier projet. Ils se répartissent les tâches en fonction de ce qu’ils savent faire le mieux : Endé s’occupe de la communication, L’épicier gère le côté administratif, et Krab, qui rappait un peu avant mais a décidé de se consacrer uniquement au beatmaking, chapeaute la direction artistique. C’est notamment à lui que l’on doit cette utilisation un peu particulière de l’autotune. “On a essayé de trouver un réglage d’autotune qui nous plait. Y’a beaucoup de personnes qui se battent pour savoir qui a commencé à l’utiliser. Mais quand il s’agit de se battre pour essayer de l’améliorer, il n’y a plus personne. Nous, on a juste continué à bidouiller tout ça.” Puis, le 13 octobre 2016, date d’anniversaire du mariage de L’épicier, le trio se réunit à l’épicerie de L’épicier (“oui, L’épicier a vraiment été épicier”), et à 4h prune, ils décident de mettre en ligne leur premier album, sobrement intitulé La Prune, sur Haute Culture. Résultat ? 7 titres à travers lesquels le groupe se distingue par sa couleur musicale donc, mais aussi par ses lyrics, dans lesquelles sont cités pêle-mêle Mark Landers, le héros du dessin animé Olive et Tom, Alex Kidd, le personnage principal du jeu vidéo du même nom sorti en 1989 sur Mega Drive, ou encore Jermaine Dupri, le célèbre producteur de rap de la fin des années 90 (“C’est notre DJ Khaled à nous”).
Dès avril 2017, ils récidivent en sortant un deuxième projet intitulé Reine Claude, en référence à une célèbre variété de prune. Un nouvel album composé cette fois-ci de 9 titres, plus doux sur la forme et plus mélancoliques sur le fond par rapport au premier projet. “L’album a été fait en hiver, après des périodes difficiles pour chacun d’entre nous. On était moins énervés. C’est aussi le moment où Endé part bosser à Paris”. Malgré le départ d’Endé pour la capitale, le trio continue de bosser à distance. Ils sont même tellement productifs qu’ils se retrouvent avec énormément de morceaux sur les bras, sans trop savoir quoi en faire. La fin d’année approchant, ils décident alors d’en sélectionner 24, et d’en sortir un par jour durant le mois de décembre (qu’ils mettent en ligne à 4h prune évidemment) afin d’offrir une sorte de calendrier de l’Avent à l’épicerie gang, le nom de leur communauté. Le tout regroupé sous le nom d’Eau de vie, un projet sur lequel on entend notamment les premières instrus de L’épicier, et où l’on trouve aussi une reprise géniale du refrain de Brigitte, femme de flics du Ministère A.M.E.R., ici remplacé par une référence à Brigitte Macron par Endé. Rien de plus normal pour ces grands fans de Doc Gynéco, qui a lui aussi le droit à quelques références disséminées tout au long de leur discographie. “J’ai une platine vinyle chez moi que m’a offerte la duchesse (ndlr : la compagne d’Endé). Et j’ai un seul vinyle dessus : Première consultation.”
Ensuite, après avoir sorti 3 projets en un peu plus d’un an, le groupe décide de faire une petite pause. La raison ? Cette fois-ci, ils veulent prendre leur temps avant de sortir un nouvel album. Ils font alors énormément de maquettes, jettent pas mal de morceaux. Il y a aussi les premiers désaccords qui arrivent, chacun voulant tirer le groupe dans sa direction (“la sélection des morceaux, c’était la guerre”). Mais s’ils mettent plus de temps pour revenir, c’est surtout qu’ils veulent continuer à être inspirés. “Si on veut, on peut faire un morceau par jour. Mais sortir un projet avec une cohérence, ça demande autre chose. Quand tu fais du son tous les jours, à la fin, ça devient n’importe quoi. Faut prendre le temps d’avoir de nouvelles idées, d’écouter d’autres trucs, se replonger dans des discographies. On essaye de ne jamais créer deux fois la même chose” lâche L’épicier. Un état d’esprit qu’il considère à rebours de la dynamique actuelle de l’industrie du rap. “Le problème des rappeurs qui signent en maison de disque aujourd’hui, c’est qu’on leur impose une date de sortie. Si t’as 3 mois pour sortir un 10 titres et que tu t’enfermes dans un studio pour le faire, qu’est-ce que tu vis ? Qu’est-ce que t’as à raconter ?” Résultat, après plusieurs mois de boulot, le 16 novembre 2018, le trio sort un nouveau projet intitulé Alambiqué. Un album dont ils sont particulièrement fiers. “C’est avec ce projet où on s’est dit que c’est bon, on a trouvé le son La Prune”.
Le 17 mai dernier, ils sont à nouveau de retour avec BDMS 3 (pour Bienvenue Dans Mon Sud). Pourquoi 3 ? Tout simplement car 2 BDMS ont déjà existé par le passé, dans leur vie pré-Prune. Et pour ce 3ème épisode, ils nous ont servi un EP 5 titres, avec une différence notable par rapport aux précédents projets : la présence d’un featuring, celui avec le groupe bordelais Sale & Clean, ainsi que pour la première fois, une prod non estampillée La Prune. Pour la première fois aussi, le nom de leur projet n’est pas une référence à un alcool fort. Ce qui ne les empêche pas de se rattraper par la suite en appelant un morceau Jack, en référence au Jack Daniel’s. Ce qui fait beaucoup d’alcool fort pour un groupe venu de Bordeaux, la capitale mondiale du vin… Une ville dont ils sont par ailleurs plutôt fiers de porter les couleurs, sans pour autant se revendiquer bordelais à la vie à la mort (“Bordeaux, c’est qu’un point d’attache”). Surtout qu’à l’échelle nationale, venir de la préfecture du 33, c’est pas aussi vendeur que de venir du 91 par exemple. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé de faire en sorte de faire briller BDX sur la carte du rap hexagonal. Sans réussite.“On a participé à des réunions entre rappeurs et gens de la ville pour voir ce que l’on pouvait faire. Sauf que derrière, ça suit pas, ça pousse pas ensemble. Malheureusement, on est peu à se donner de la force ici. On préfère être jaloux plutôt que solidaires.”
Un manque d’entraide que l’on peut trouver dommageable quand on voit la multiplicité des rappeurs aujourd’hui. Surtout qu’ils considèrent ne pas pouvoir compter sur les journalistes pour relayer leur travail. “Aujourd’hui, ton projet il dure le temps de la semaine de sortie. Après, c’est fini. Les journalistes vont dans ce sens-là : très vite, très fort. Nous on veut croire à l’inverse, que les gens s’intéressent à nouveau à la musique”. Pourtant, les médias se sont penchés sur leur musique dès leur premier projet, La Prune, qui a eu le droit à une chronique dans l’émission La Sauce sur la radio OKLM par l’intermédiaire du journaliste Genono. Mais cette première mise en lumière est aujourd’hui vue avec un sentiment ambivalent par le groupe. “Amour éternel pour Genono qui a parlé de nous dès le premier projet. Mais parler de punk pour notre toute première chronique, ça nous a mis direct dans une case. Et avant la sortie de BDMS 3, il n’avait plus parlé de nous, alors que l’on a sorti 3 projets entre temps… Mais on continue de lui envoyer nos trucs. On sait qu’au moins, lui, il s’intéresse à la musique, pas au nombre de vues. Et puis pour beaucoup de monde, c’est lui qui a lancé PNL. Donc j’imagine même pas le nombre de mails qu’il doit recevoir…”. Et malgré ce déficit d’image, ils préfèrent retenir le positif plutôt que la frustration. “Dès la sortie du premier projet, on parle de nous dans La Sauce. Donc évidemment, ça fait plaisir, et ça donne de l’espoir, on va pas s’en cacher. Mais quand derrière, ça suit pas, forcément, ça fout un peu le seum. Mais on a appris à se détacher de cette frustration. On sait qu’on est un grain de sable dans l’industrie du rap, et encore plus dans l’industrie de la musique en général. Du coup, on le fait en s’amusant. Pour BDMS 3, la logique aurait voulu qu’on en parle dès sa sortie. Mais on a préféré rester fidèles à nos principes, et on a attendu 4h prune pour en parler. Et malgré ça, c’est le projet avec lequel on a eu le plus de visibilité”. On espère qu’avec ce focus, ils auront encore plus d’exposition pour leurs prochains projets. Parce que si l’on pouvait participer, ne serait-ce qu’un tout petit peu, à rendre populaire un groupe qui parle du rap de Tony Vairelles et qui veut “exciser cette pute de Gilbert Collard”, ça nous rendrait forcément heureux.