“Le confinement, pour moi, ça a été plutôt positif. Ça m’a permis de faire la promo de l’album de façon assidue. En temps normal, j’aurais jamais pris le temps de faire tout ça” nous explique Plae Casi par discussion vidéo, en faisant notamment référence aux questions/réponses qu’il fait sur sa story Instagram. Et on le comprend : lorsqu’on a créé un album de la qualité de 19h, on se dit que ça aurait été bien dommage de ne pas en faire un peu la pub sur les réseaux sociaux.
Mais avant d’en arriver à cette petite pépite qu’est 19h, il y a eu un long, très long cheminement musical, qui a débuté en Martinique, une trentaine d’années plus tôt. Chez les parents de Plae Casi, on écoute de tout : de Bob Marley à Lionel Ritchie, en passant par du Céline Dion. Et surtout, on l’écoute sur du matériel de qualité. “Mon père est ce qu’on appelle un audiophile : il s’achète des amplis et des enceintes pour avoir le meilleur son possible. Il était même allé jusqu’à acheter des plaques de granit pour les mettre sous les enceintes, et des panneaux à accrocher sur les murs pour absorber le son” lâche-t-il, en rigolant. Le jeune Plae, de son côté, écoute du dancehall à longueur de journée, comme tous ses potes à l’époque.
Puis au collège, il découvre le basket, et toute la culture rap qui va avec. C’est à ce moment-là qu’il attrape le virus du rap. “Le premier album de rap que j’ai acheté, c’est 50 Cent. Et quand j’ai entendu Locked Up d’Akon, je suis tombé dedans totalement. Quand t’es jeune, tu cherches souvent à t’identifier à des figures fortes, puissantes. Et Fifty et Akon, ils étaient à fond là-dedans. Booba aussi”. En parallèle, le jeune Plae joue du piano pendant une dizaine d’années, ce qui lui permet aujourd’hui d’avoir l’oreille absolue, à savoir la capacité de reconnaître les notes sans les lire. Un atout qui se révélera extrêmement précieux par la suite.
Arrivé au lycée, son cousin lui offre son premier logiciel de beatmaking, ce qui lui permet de bidouiller ses premières instrus. De fil en aiguille, il se perfectionne, commence à créer des instrus plutôt propres. Et une nouvelle fois par l’intermédiaire de son cousin, il commence à placer des prods pour plusieurs rappeurs, avant d’en placer une pour une des têtes d’affiches de la scène locale. C’est le déclic pour Plae Casi : c’est dans la musique qu’il veut travailler, et pas autre chose. Alors, une fois le bac en poche, il décide de partir pour la métropole, direction Bordeaux, pour étudier la MAO, la musique assistée par ordinateur.
Bordeaux, Yepes et les soirées chez les WorldWide Kids
On est en 2012, Plae Casi a 21 ans, et il arrive dans une ville dans laquelle il ne connaît personne, et où il doit tout refaire de zéro. Heureusement pour lui, dès ses premiers mois dans la métropole, il fait la rencontre de Kayo, membre du groupe WorldWide Kids à l’époque (qu’il accompagnera au piano sur scène), et qui est aussi membre de 1upworld, duo de beatmakers qui a produit plusieurs instrus pour les membres de L’Entourage, et notamment celle du tube Ma dope de Nekfeu en feat avec S.Pri Noir. Un moment déterminant pour Plae Casi. “C’est la première fois que l’on s’est tous dit que c’était vraiment possible de percer dans le monde de la musique. Ça nous a tous donné une énergie de fou. Voir comment Kayo travaillait, ça m’a aussi permis de voir que l’on pouvait bosser la prod avec les artistes, alors qu’avant, je me contentais de leur envoyer, et ils rappaient dessus telle qu’elle était, sans la modifier. Et puis à ses côtés, j’ai aussi compris que l’on pouvait créer des prods à deux« .
Créer des prods en duo, c’est ce qu’il va faire avec le beatmaker Yepes, qu’il rencontre dans une soirée organisée par l’un des membres des WorldWide Kids. Tout comme d’ailleurs le rappeur Joey Larsé (sur qui on a déjà écrit un focus), ainsi que Bachir de Pandemik Muzik, pour qui il fournit aujourd’hui des instrus pour sa librairie musicale. Yepes et Plae Casi créent tellement d’instrus, qu’ils décident, en 2017, de sortir un EP en duo, There You Are. “On a tous les deux des rôles bien définis : moi je vais jouer des accords, et à partir de cette base, Yep va ajouter tous les éléments supplémentaires, les kicks, les snares, les effets… Je sais le faire, et il sait jouer des accords, mais on est plus fort dans nos domaines respectifs”.
En parallèle du travail de prods, avec Kayo, Plae Casi a également participé à la conception des albums de la chanteuse Naë, rencontrée elle aussi au cours de l’une de ces fameuses soirées chez les gars de WorldWide Kids. Et c’est après les sessions d’enregistrement de la chanteuse qu’il décide d’ajouter une nouvelle corde à son arc : le rap. “Quand je bossais sur le projet de Naë, on rappait pour le fun avec Kayo. Comme les potes disaient que ce qu’on rappait était bien, ça nous a donné confiance, et depuis, on s’est mis à rapper tous les deux.” Mais ne croyez pas que l’envie de rapper chez le Plae est née dans les studios avec Naë : en réalité, elle était déjà présente depuis une dizaine d’années. “J’ai toujours écrit des trucs depuis le lycée. A l’époque, j’avais envie de ressembler aux rappeurs que j’écoutais. Le degré de confiance en eux me fascinait. C’est quelque chose dont je manquais, et dont je manque encore parfois. L’envie d’écrire est restée, et ça m’a toujours titillé de rapper sur un projet. Mais j’ai attendu de trouver mon style, une façon de rendre cool une vie banale.”
C’est armé de tout ce background, et avec en tête le très beau travail réalisé par son pote Yepes sur l’album Drugstore de Joey Larsé (dont on a fait la chronique), que Plae Casi s’attaque à la conception de 19h. Un album de sept titres sur lequel on retrouve des prods co-produites par Plae Casi et Yepes, ainsi qu’un seul featuring, avec Joey Larsé. Et surtout, des textes assez personnels, où l’on trouve les interrogations d’un trentenaire travaillant dans la musique, avec toute la part d’incertitudes que cela engendre, que ce soit au niveau de la charge de travail, ou des rentrées d’argent. Pour pallier à cela, le Bordelais a décidé de trouver un boulot salarié, avec des horaires fixes. “Il me faut un cadre. J’ai abandonné la fac à cause de ça. L’incertitude, c’est mauvais. Tu dors mal.” Et pour éviter de se créer des maux de têtes inutiles, il a également trouvé une autre solution : être en couple. “C’est une activité à part entière de courir après les meufs. Quand t’essayes de te fixer des objectifs, t’as pas le temps pour ça ! En vrai, j’suis pas un player. Et je trouve que la séduction, c’est parfois un jeu chelou. C’est les montagnes russes. Alors qu’avoir une relation, ça apporte de la stabilité. T’as quelqu’un sur qui te reposer, et inversement.”
« 5h de sommeil c’est ma moyenne, ça me laisse 19h pour faire des plans sur la comète »
Résultat, débarrassé de ses incertitudes liées à l’argent et aux meufs, après avoir dormi 5 heures, il reste à Plae Casi “19h pour faire des plans sur la comète”, comme il le rappe sur l’excellent O.D.N., d’où le titre de l’album. Et pour que ses rêves se concrétisent, il charbonne comme jamais, il “verrouille la réussite dans le viseur” comme il dit sur le très bon Le côté de la paire. C’est d’ailleurs ce qui ressort le plus à l’écoute de 19h : une valorisation du travail. “Là où d’autres vont raconter qu’ils fument et chillent toute la journée, moi je dis que ça peut aussi être cool de charbonner de ouf”. Pour lui, rapper, c’est aussi un véritable exutoire, comme il le montre dans l’impressionnant Krater. “Rapper, c’est une thérapie. Avant je gardais tout en moi. Aujourd’hui, ça sort plus facilement.” Le tout est interprété de manière nonchalante, et souvent avec de l’autotune, à la façon d’un Kalash (“en Martinique, c’est une référence”).
La suite pour Plae Casi ? Dans un premier temps, une version ralentie de 19h avec la pochette en violet façon Don Toliver (“un des artistes que j’écoute le plus en ce moment”). Puis il se penchera sur les nouveaux albums de Joey Larsé, d’Heskis, et un éventuel nouvel EP en duo avec Yepes. Et une fois le confinement terminé et la reprise des concerts, il accompagnera sur scène la chanteuse Naë, le groupe Joss Bari, ainsi qu’un certain Luidji, avant de se remettre sur un nouvel album solo, pour le sortir “idéalement dans un an”. En attendant, Plae Casi a encore tout le temps pour faire la promo de 19h. Et au vu de la qualité du produit, on ne peut que l’encourager.