Alors qu’ils viennent de sortir l’excellent EP Rouge Bordeaux, focus sur WL Crew, un groupe bordelais composé de sept membres, qui a toutes les cartes en main pour faire briller la Belle Endormie aux yeux du reste de l’Hexagone.
“Déjà qu’on a du mal à se réunir à sept pour faire du son, alors pour une interview… Mais ne t’inquiète pas : tu as devant toi les deux chefs du groupe” lâche dans un grand éclat de rire Flam, le beatmaker du groupe, accompagné de Téo, réalisateur de clips/backeur/manager du crew. On se dit que ça aurait été encore mieux si tout le monde était là. Mais pas grave : rejoints une demi-heure plus tard par Yanné, un des rappeurs du groupe tout juste de retour de vacances, à trois, ils sont quand même assez pour raconter l’histoire du WL Crew, groupe dont l’avant-dernier clip Laisse vient de dépasser les 50 000 vues sur YouTube. Un score qui, à l’échelle du rap bordelais, les placent, juste derrière peut-être Fello, comme les plus susceptibles d’exploser sur la scène rap nationale.
L’histoire du WL Crew débute en 2011. Tous les dimanches, alors que le reste de leurs potes vont jouer au foot ou boire des bières dans des bars, Flam, Téo et les autres membres du groupe se réunissent ensemble pour faire du son. Par la suite, c’est donc tout naturellement qu’ils commencent à enregistrer des morceaux. Résultat ? Dix projets en huit ans, aujourd’hui introuvables sur Internet. “Normalement, on a bien fait le ménage. On a quand même laissé quelques clips sur notre chaîne YouTube, ceux qui ont fait beaucoup de vues. Mais le reste, on les a effacés, parce que ça ne correspond plus du tout à ce qu’on fait aujourd’hui”. Une dizaine d’années de rap dont subsistent quand même quelques traces sur leur chaîne YouTube donc, mais aussi sur les plate-formes de streaming, à travers la mixtape W, sortie en mars 2019. Un projet en forme d’apothéose, qu’ils laissent en hommage à toutes ces années à faire leurs classes dans le rap.
Ces dix ans ont également été marqués par ce qui constitue sans doute l’une des principales forces du WL Crew : les concerts. Des plus petites salles des bars bordelais comme l’Iboat, en passant par les festivals “où personne ne nous calculait parce qu’on ne faisait pas des reprises de Nirvana (rires)”, jusqu’à la salle de 1 200 personnes du Krakatoa lors de la première partie du concert de Lorenzo, c’est aussi sur scène qu’ils ont fait leurs armes dans le rap. Et c’est sans doute aussi ça qui les a poussés à continuer aujourd’hui. “Quand t’arrives à retourner une salle de 1 200 personnes alors que personne ne nous connaît, c’est qu’on tient sans doute un truc”.
Sept membres, le label Velvet Coliseum et Rouge Bordeaux
Début 2019, les membres du groupe se réunissent alors pour discuter de l’avenir. Conclusion ? Premièrement, le nombre de membres du groupe est fixé à sept : alors que ça pouvait varier en fonction des années, ils seront désormais cinq rappeurs (Isaac, Jo, Masanari, Perch, Yanné), un beatmaker (Flam), et un manager, Téo. Deuxièmement, alors que leurs précédents projets pouvaient contenir des morceaux avec seulement trois ou quatre membres, désormais, chaque nouveau projet estampillé WL Crew contiendra obligatoirement des morceaux avec l’intégralité des cinq rappeurs et le beatmaker dessus. Et enfin, troisièmement, ils seront désormais épaulés par le label Velvet Coliseum, qui les a repérés après la sortie de leur mixtape W. Un apport déterminant dans la réussite de leur dernier projet, Rouge Bordeaux. “Avant, dès qu’on avait fini un projet, on le mettait direct en ligne, sans savoir s’il y allait avoir un clip ou pas. Là, ils nous ont dit d’y aller mollo, de bien réfléchir à comment le sortir, dans les bonnes conditions, comment le teaser, bien avoir les clips avant, etc. Et au final, même si c’est un peu frustrant pour certains, c’est bien mieux comme ça. Parce qu’aujourd’hui, la communication, c’est 50 % de la réussite d’un projet. Et la preuve que ça paye : le clip de Laisse est à 50 000 vues aujourd’hui, et ça n’aurait peut être pas été le cas si on s’était précipité pour sortir Rouge Bordeaux.”
Rouge Bordeaux, parlons-en. Sorte de carte de visite de cinq titres du WL Crew nouvelle formule, entièrement composée par Flam et rappée par les cinq membres du groupe donc (conformément à leur nouvelle direction), on y retrouve toutes les idées et les préoccupations d’un jeune de 25 ans (la moyenne d’âge du groupe) faisant de la musique : dans le titre La gamelle qui ouvre le projet, ils montrent qu’ils ont toujours l’envie de réussir ; dans le morceau Obligé, ils disent qu’ils “fuient les rangs que les gens créent” (“on est parfois vus comme des ovnis par les gens quand on leur dit qu’on fait de la musique” nous explique Yanné) ; ou encore, dans le très bon Laisse, ils expliquent que le rap peut parfois créer des insomnies chez certains. Un morceau composé de nuit, et qui reflète bien le processus créatif du groupe : ils partent d’une feuille blanche, puis ils écrivent et créent l’instru en fonction de leur humeur du moment. “Les instrus de Flam dépendent beaucoup de la météo et de la saison : elles sont plutôt chaudes quand il compose en été, et plus froides en hiver” détaille Téo.
Sekiro, Globe Audio Mastering et le rap bordelais
On y trouve également des références propres à chacun des membres. Dont celles à la culture asiatique de Masanari, qui lâche par exemple la punchline “difficile comme Sekiro” dans le morceau Rosemary, en référence à Sekiro, jeu vidéo réputé comme étant extrêmement difficile. “Ça, c’est une référence de niveau débutant pour lui ! Des fois, même quand il m’explique une de ses phases, je la comprends toujours pas…” se marre Flam. “Mais respect à mon gars Masa : c’est sans aucun doute le mec le plus pointu du groupe en terme de culture”. En parlant de gars super calé dans son domaine, difficile de ne pas mentionner Alexis Bardinet de chez Globe Audio Mastering, qui a masterisé le projet, et qui est donc l’homme à qui l’on doit la finesse et la qualité du son du WL Crew. “Il a une ventilation automatique dans ses toilettes, et un système autonettoyant des câbles quand tu les rentres et quand tu les sors dans ses machines… Le mec est pointilleux dans les moindres détails ! Et il l’est tout autant dans sa musique” nous explique Flam. “Surtout, le gars est super humble : il a masterisé JVLIVS de SCH il n’y pas longtemps. Et pourtant, jamais une seule fois il nous a pris de haut. Il nous a expliqué comment il bossait, ce qu’il allait faire, et on l’a fait ensemble. Pareil pour notre pote Igee qui a rappé sur mes prods et qui est signé sur le même label que nous : il a fait masteriser son projet là-bas, et il a été une crème avec lui.”
La suite pour WL Crew ? Sans doute un nouvel EP, même s’ils n’ont pas encore de plan précis pour l’avenir. Quant à la question de savoir si des carrières solo sont envisagées, elle est vite balayée d’un revers de la main : “pour l’instant, c’est pas du tout d’actualité. On sort déjà des sons en solo, mais c’est surtout pour nourrir l’actu du groupe. Et c’est aussi une forme d’échappatoire.” Quand à la sempiternelle question du manque d’exposition du rap bordelais, les différentes réponses apportées sont toujours les mêmes : Bordeaux et son image de ville bourgeoise, aucune grosse tête d’affiche n’a encore réellement explosé, le public rap de Bordeaux peut-être pas assez engagé à pousser les rappeurs de leur ville… Malgré tout, une note d’espoir ressort en toute fin de discussion : “quand on voit que le rap est le genre musical numéro un en France, et avec tout l’engouement que ça entraîne, on se dit que c’est sans doute le meilleur moment pour Bordeaux, et donc pour nous, de péter aux yeux du reste du pays”. Chiche ?