« Ça doit être un coup des robots, ils ne veulent pas qu’on parle d’eux de façon négative » lâche ironiquement Zippo, alors que notre conversation Skype ne fonctionne pas bien. Plusieurs tentatives infructueuses plus tard, la discussion reprend. Résultat ? Un entretien d’environ une heure, durant lequel il sera question de son nouvel album Zippo contre les robots, mais aussi de Charlie Hebdo, d’Elon Musk, de la série Black Mirror, ou encore de survivalisme. Portrait d’un rappeur qui n’écrira probablement jamais ses textes sur son smarpthone.
Commençons par le commencement. Aujourd’hui âgé de 35 ans, Zippo est originaire de la région de Nice. À la fin des années 90, c’est au lycée qu’il découvre le rap : IAM, les X-Men et Time Bomb font partie de ses premières claques rapologiques, lui qui écoute aujourd’hui Caballero & Jean Jass et Alkpote pour la forme, et Vîrus et Asocial Club pour le fond. C’est aussi au lycée qu’il rencontre ses potes Konii et Vargas (alias Le PDG, à qui l’on doit la plupart des prods de Zippo contre les robots), avec qui il forme le groupe Le Pakkt, et avec qui il sort cinq albums. Une expérience en groupe qui va donner à Zippo des envies de partir en solo : en 2012, il sort un premier EP 7 titres, Bûcheron, et fait son retour en 2018 avec, cette fois-ci, un album intitulé Zippo contre les robots. Un nouvel opus produit grâce à un crowndfunding. « J’avais déjà plusieurs morceaux, mais l’album avait tendance à traîner. Faire une collecte, ça m’a donné un coup de pied au cul : quand tu dois respecter une deadline, ça t’oblige à te sortir les doigts. Le financement, ça a aussi permis d’aller en studio, de faire ça dans les règles de l’art. Et là-bas, j’ai eu la chance de pouvoir bosser les morceaux à deux, avec un ingé-son, ce qui est très cool, car je trouve que ça contribue à créer une certaine cohésion à ton projet. » Ce ne sont pas Vald ou Georgio qui diront le contraire, eux qui ont également travaillé leurs derniers albums respectifs en duo, avec la réussite qu’on leur connait.
Comme vous l’avez compris avec le titre de son album, Zippo n’est pas vraiment friand des nouvelles technologies : de Larry Paige, le PDG de Google qui prône le transhumanisme, à Elon Musk, le milliardaire à la tête de SpaceX qui veut envoyer l’humanité sur Mars, en passant par les politiques, qui n’ont émis aucune réserve vis-à-vis des nouvelles technologies lors des dernières présidentielles, et qui, au contraire, les ont utilisées pour séduire les jeunes à l’image de Mélenchon et de ses hologrammes, beaucoup en prennent pour leur grade au cours de l’album. « Il y a quand même des mecs importants de ce monde qui pensent que l’avenir de l’homme ce n’est plus trop l’homo-sapiens, mais plutôt l’homo-technicus… Il n’y a aucune remise en cause, alors que la question mérite amplement d’être posée. » Mais Zippo aurait-il réussi à se faire connaître sans internet ? Aurait-il pu financer son album sans crowndunfing ? Aurait-on pu convenir d’une date d’interview sans Facebook ? « Je suis conscient de ces contradictions. On appelle ça la dissonance cognitive : c’est quand tes actes ne sont pas en accord avec tes pensées. Mais parfois, t’es obligé d’utiliser les armes de l’ennemi pour pouvoir le combattre. »
Pour le rappeur, on peut aussi y voir un autre degré de lecture : cette critique des robots, c’est également une façon de faire la lumière sur toutes ces personnes à la vie rythmée par la routine, dont les comportements sont mécanisés. Des agissements quasi robotiques, dont Zippo parle par exemple dans le titre Charlie, morceau dans lequel il pose la question de la légitimité du hashtag #JesuisCharlie. « Ce qui me fait flipper, c’est quand les gens arrêtent de réfléchir individuellement et commencent à avoir des raisonnements de masse. Ce que je dis dans cette chanson, c’est qu’il faut faire attention, parce que l’on fait vite des amalgames, on en vient vite à des solutions expéditives lorsqu’on ne réfléchit pas au lien de causalité qui fait que les choses adviennent. »
Mais d’où Zippo puise-t-il toutes ses réflexions vis-à-vis des nouvelles technologies ? Theodore Kaczynski, un terroriste techno-critique qui est cité dans l’album, ou encore le situationniste Guy Debord, dont on entend un extrait du film In girum imus nocte dans l’interlude du même nom, font partie de ses inspirations. Au cours de la discussion, la série Black Mirror est également évoquée. « Je suis un peu comme une éponge : j’aime bien emmagasiner des choses, pour avoir du contenu. Et puis j’aime faire des albums concepts. Bûcheron j’avais envie qu’il y ait une logique, une cohérence, que les morceaux se répondent. C’est pour ça aussi que Zippo contre les robots a mis du temps à arriver : l’univers s’est précisé au fil des lectures. Plus je m’intéressais à ce sujet, plus j’avais des choses à dire dessus. »
Existe-t-il tout de même des solutions pour faire face à ce modernisme galopant, cette fuite en avant qui mène inexorablement le monde à sa perte ? Lorsqu’on lui suggère le mot survivalisme, le rappeur approuve. Mais attention à ne pas confondre avec ces énergumènes un peu bas du front, qui attendent la fin du monde en astiquant leur flingue ; la vision du survivalisme prônée par Zippo, elle se définirait plutôt comme une volonté de s’émanciper de la société de consommation, en devenant le plus autonome et indépendant possible. « Pour l’instant, j’habite encore en ville. Mais mon objectif c’est de me barrer et de retourner vivre à la campagne. Quand t’as toujours vécu en ville, il faut avoir une sacrée paire de couilles pour tout quitter. Mais au final, les solutions existent : il y a plein de gens qui s’achètent un terrain, qui construisent une maison dessus, et qui reviennent à un mode de vie plus simple et plus proche de la nature. Et le jour où le système va s’écrouler, ce qui devrait certainement arriver, ce sont eux qui seront les moins touchés, parce qu’ils n’auront pas besoin d’un supermaché pour pouvoir manger. » Mais alors que les plus aigris diront que tout ceci ne sont que des idées utopiques qui ne parlent qu’à une partie infime de la population, le rappeur se montre optimiste. « Lorsque tu abordes ce sujet avec les gens, ça ne laisse jamais personne indifférent. Pourquoi ? Parce que tout le monde sent qu’il y a un mal-être, qu’il y a quelque chose qui cloche avec ce mode de vie. Mais beaucoup n’osent pas se l’avouer. »
En attendant un futur plus radieux, l’avenir pour Zippo, c’est la promo de Zippo contre les robots à travers d’éventuels clips et d’éventuels concerts, un nouvel EP dont la thématique principale pourrait tourner autour du feu, mais aussi un projet annoncé depuis un moment, qui devrait sans doute sortir cet été : Bouteille, essence, chiffon, un EP à trois tête avec Lucio Bukowski et le beatmaker Didaï. « On a déjà enregistré 2 morceaux. Je ne sais pas encore quelle forme ça va prendre. Je pense que ce sera un petit truc, mais j’ai hâte que les gens entendent ça. » Nous aussi.
Ce mec est génial, à l’image de son son i-monde. Merci pour cet article !