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Freeze Corleone : le rap face à ses démons

Récemment l’affaire « Freeze Corleone » a ébranlé le monde du rap français, poussant journalistes et auditeurs de cette musique à se positionner sur les propos problématiques d’un de ses représentants. Le débat s’est principalement articulé autour de l’asymétrie du traitement de cette affaire par la sphère politico-médiatique, laquelle a condamné Freeze sans détours…


Que le rap soit la cible de politiciens satisfaits de remplir leur agenda raciste et des médias affamés de polémiques à peu de frais, rien de nouveau sous le soleil. En revanche, que le rappeur pointé du doigt soit accusé d’antisémitisme, voilà qui s’avère inédit. Politiciens et polémistes ont donc pu faire d’une pierre deux coups : prétendre défendre une minorité à l’heure où se multiplient les assauts envers d’autres minorités et se servir de Freeze Corleone pour désigner les rappeurs, les racisés et les musulmans comme cortège d’antisémites.  

En s’emparant de la polémique Freeze Corleone, les gouvernants placent les amateurs de rap entre deux feux ; ou bien condamner Freeze Corleone et être accusé d’association avec l’hypocrisie du champ politico-médiatique ; ou bien défendre Freeze et risquer de passer pour complice d’antisémitisme. Autrement dit, l’auditeur de rap est perdant à tous les coups. Certains médias, à l’instar de Yard, ont bien résumé cette tension, posant la question d’une défense de Freeze, aussi hypocrite fut-elle, au nom d’une défense du rap.
Car la défense de Freeze Corleone a été massive, sur les réseaux sociaux notamment. Elle a pu prendre des contours maladroits, voire malhonnêtes ou aveugles, minimisant le caractère problématique de ses textes.

La polémique retombée, il serait intéressant de proposer une interprétation politique des textes de Freeze Corleone, en restant à distance de deux écueils, l’un voyant en lui un militant antisémite notoire, l’autre le considérant comme un simple artiste provocateur.  
La musique de Freeze Corleone ne saurait être réduite à sa dimension politique, mais ne pas prendre en compte cette dimension serait tout autant réducteur et ne ferait que concevoir Freeze comme un trublion à prendre au second degré.  Nous tenterons de montrer en quoi les textes de Freeze s’inscrivent à la fois dans une continuité et une rupture avec des discours, parfois problématiques, circulant dans le rap francophone contemporain.
La thématique du conspirationnisme, élément majeur de sa musique, sera mobilisée pour comprendre la dimension politique de son œuvre, et plus généralement le rapport aux institutions qu’entretiennent certains rappeurs. Cet article propose de saisir l’adhésion au conspirationnisme comme le symptôme d’une dépossession politique.

La confusion au cœur du texte

Ce qui frappe d’abord chez Freeze Corleone, c’est le propos ambivalent et contradictoire, empilement de références à la culture populaire et de discours cryptique. Cette ambivalence se caractérise dans son rapport à la consommation de drogue, à la foi ou à la collaboration artistique. Il en va de même lorsqu’il se sert de figures qu’il abhorre à des fins d’égotrip (« J’arrive comme Bush le jeu c’est l’Irak »/  « Chaque jour Fuck la famille Bush en entier comme à Bagdad »).
Freeze dit à peu près tout et son contraire et se plait à entretenir la confusion, y compris sur son propre état mental, à mi-chemin entre l’hyperconscience et l’inconsistance : « Ils savent pas j’suis à quel level de l’éveil » / « Troubles de la personnalité j’ai des symptômes ».
Or, la confusion apparait au cœur de son écriture, elle-même imprégnée d’une forme d’ésotérisme assumée par tout le collectif 667. 

Devant cette ambivalence, il n’est pas aisé de distinguer le sérieux de son propos, -notamment politique-, surtout quand lui-même assume l’équivocité de ses textes :« J’ai des rimes à prendre avec des pincettes ». Toutefois, son propos est assurément politique.  
Si la subtilité du rappeur italo-sénégalais et son silence médiatique empêche de trancher sur ses intentions véritables, le cantonner à un artiste provocateur ne sert qu’à noyer le poisson, et finalement, à dépolitiser sa parole. Car ses prises de positions sont fortes et diverses, que ce soit sur la géopolitique (« Fuck Donald comme en Iran »), l’histoire (« Ils savent pourquoi ils ont cassé le nez des sculptures ») ou le racisme policier (« Morts aux porcs justice pour Adama »). 

Il serait tentant d’inscrire Freeze Corleone dans la lignée d’autres rappeurs adeptes des formules chocs sans véritable dessein politique. Ses références à des figures aussi controversées que le négationniste Robert Faurisson (« Je les crois pas comme Robert ») ou le dictateur irakien Saddam Hussein (« Seul contre eux comme Saddam Hussein pendant la guerre du Golf ») furent déjà utilisés par d’autres mc’s comme Vald (« Des questions ? Faurisson ») ou Booba (« Saddam Haut-de-Seine »). Autrement dit, certains diront que ses allusions sulfureuses sont autant d’artifices d’un art provocateur, pas différentes des nombreuses allusions à des méchants de fiction (Ra’s Al-Ghul, Thanos, Bowser). Cela semble toutefois insuffisant et réducteur.
L’honnêteté intellectuelle devrait pousser à admettre qu’une référence à Ben Laden ou Hitler n’a pas le même poids quand elle est associée à d’autres thèmes récurrents, la référence au complot en premier lieu.

Les impasses du Conspirationnisme

« Dans ma tête, argent, sexe, drogue, complot, c’est obsessionnel ».

LRH

Dans le titre LRH, Freeze annonçait la couleur de ses textes. Rien de très original concernant les trois premiers thèmes, récurrents dans le rap et omniprésents jusqu’à l’excès dans ses punchlines, à l’exception du sexe, pratiquement absent de son propos. C’est le quatrième terme qui est décisif et qui est à rattacher à son écriture assurément équivoque. Le Conspirationnisme est central dans la musique de Freeze Corleone et dans la compréhension de son discours politique.

Ses références aux théories du complots vont des plus aberrantes (Chemtrails, séismes artificiels) aux plus crédibles (Big Pharma), des plus anciennes (Templiers, Nouvel Ordre Mondial) aux plus contemporaines (Pizzagate) des plus mystiques (le Projet Blue Beam) aux plus répandues (11 septembre ou complot des Illuminatis). Comme les références à des personnages controversés, les références au complot pourraient être perçues comme un simple outil percutant ou amusant dans sa proposition musicale, à l’instar encore une fois d’un Vald (lequel multiplie les références aux reptiliens). Chez Freeze, il semble que cela dépasse le simple outil de divertissement. Il pourrait s’agir d’une composante décisive de ses croyances politiques. Pour appréhender le Conspirationnisme, il nous semble nécessaire de se défaire d’une vision manichéenne du phénomène.

Comme le souligne le philosophe Frédéric Lordon, la question du complotisme tend à être abordée de façon binaire et totalisante (Le Monde Diplomatique). Soit l’on rejette en bloc toutes les thèses (« il n’y a de complot nulle part »), soit-l’on y adhère complétement (« il y a des complots partout »). Or, cette binarité pose problème. D’une part, il est important de souligner le risque que représente l’adhésion à une théorie du complot quel qu’il soit, lequel peut précéder l’adhésion en d’autres thèses, jusqu’à tomber dans une spirale infernale de Conspirationnisme, à caractère tautologique et souvent irréfutable. La contagion existe, Freeze l’illustre en glissant sur la pente du complot juif. 

De plus, il convient de rappeler la principale faiblesse des théories du complot, à savoir leur caractère monothéiste : le complot fonde l’unique explication causale d’un phénomène, comme si, par exemple, Bilderberg était à même d’expliquer la domination capitaliste. Et dans le même temps, il serait tout autant naïf de penser que les complots n’existent pas. Car de fait, cela existe. Il suffit de penser au Scandale du Watergate, à la production de fausses preuves contre Saddam Hussein pour justifier l’intervention américaine, à la stratégie de la tension en Italie ou aux tentatives de la CIA d’assassiner Fidel Castro

Aussi, le mouvement de condamnation unanime de toute théorie du complot participe à une entreprise de délégitimation, utilisé par des puissants pour parer à certaines attaques et discréditer leurs détracteurs. En outre, il subsiste bien souvent un mépris de classe sous-jacent à cette condamnation, qui repose sur les poncifs de l’antidémocratisme, assimilant le peuple à une masse stupide, influençable et dangereuse (cf : Gilets Jaunes). 

Cependant, il peut sembler judicieux de renverser la focale. Plutôt que de voir dans l’adhésion des classes populaires à des théories complotistes le fruit d’une inculture, ne faudrait-il pas au contraire l’interpréter comme une tentative de réappropriation politique ? Des personnes « dépossédés culturellement », dominés, se posent des questions sur ce qui leur arrive à eux ou leurs semblables. Des contradicteurs rétorqueront que c’est précisément en raison de leur déficit culturel que les dominés succombent aux sirènes du complotisme.

Je crois pas ce qu’ils disent dans Le Figaro

Serpents & Renards

Or, l’on pourrait opposer que c’est précisément la figure du subalterne, du marginal, -assignée ou revendiquée-, que constitue le rappeur, qui contribue à accroitre sa méfiance à l’égard des institutions, qu’elles soient médiatiques (« Je crois pas ce qu’ils disent dans Le Figaro »), scolaires (« J’ai pas perdu mon temps dans les facs ») financières (« Argent noir chaque jour F la BNP ») ou ecclésiastiques (« Dans le complot comme le Vatican »), jusqu’à flirter avec le complotisme généralisé comme moyen de résistance et de réappropriation politique.  Les défenseurs de ces institutions, ayant accru cette dépossession, devraient s’interroger sur les causes qui facilitent une adhésion au conspirationnisme. Car comme Lordon, -citant Spinoza-, le rappelle : « Aussi est-il de la dernière ineptie de reprocher au peuple ses errements de pensée, quand on a si méthodiquement organisé sa privation de tout instrument de pensée et sa relégation hors de toute activité de pensée. » .

Des citoyens dépossédés s’interrogent, et dans le cas de Freeze Corleone, -lequel s’interroge sur l’Afrique, le (néo)colonialisme, le racisme ou les guerres au Moyen-Orient- l’exprime. Une expression ambigüe, qui se dévoile sous la forme de références à des théories absurdes, fantasmagoriques et souvent dangereuses, mais aussi la mise en évidence de faits méconnus, comme l’esclavage en Lybie ou le génocide au Congo. Au cœur de la dénonciation de ces événements peu médiatisés se loge probablement l’amalgame complotiste : puisque ces événements sont tus, il se pourrait que d’autres événements le soient aussi. Ainsi commence le Conspirationnisme. Il y a fort à parier que dans sa tentative de compréhension du monde, Freeze confonde ce qui est caché de ce qui est tu. 

Composantes identitaires

La mention de ces événements-là n’est pas anecdotique, car une autre dimension politique de son discours est la revendication de son identité africaine et noire. Elle se manifeste dans ses références à un ouvrage comme Nations, Nègres et culture (Cheikh Anta Diop), à des figures de la lutte contre la ségrégation raciale (Malcom X, Rosa Parks) ou des Noirs symboles de puissance (Frank Lucas, Shaka Zulu).  Elle se manifeste aussi dans l’emploi du retournement de stigmate, comme lorsqu’il écrit (« J’suis désolé mais c’est les blancs qui vivaient dans les grottes »).
A la fierté de sa couleur et de ses racines se greffe une affirmation d’authenticité, comme lorsqu’il dit « Je suis pas un vendu, jamais de la vie je joue le rôle à Omar ». De sa volonté de puissance et d’autonomie à la promesse d’un retour en Afrique (« Faut que j’rentre à Dakar ouvrir des hôtels»), Freeze embrasse un discours patriotique et panafricain teinté d’anti-impérialisme.

La référence à Kémi Séba (« Supra-nègre comme Kémi ») se comprend alors facilement. Penseur contemporain populaire en Afrique, influencé par Nation of Islam, critique du néo-colonialisme et de l’impérialisme, le militant franco-béninois est aussi connu pour sa défense du panafricanisme et pour son antisionisme. Autrement dit, ses positions concordent en grande partie avec le discours de Freeze Corleone. Mais la comparaison ne s’arrête pas là. Kémi Séba est régulièrement accusé de complotisme et d’antisémitisme. Comme Séba, Freeze revendique son identité de Noir, d’Africain et de Musulman. Et comme lui, les occurrences identitaires ne s’arrêtent pas à la sienne, puisque d’autres identités sont fréquemment évoquées, très souvent sous la forme de stéréotypes. 

On en vient alors à son propos sur les juifs. Un point ici : attaquer la minorité juive n’a absolument rien de transgressif. Comme le disait avec pertinence un journaliste lors du débat organisé par Yard à la suite de la polémique, il aurait été plus courageux de la part de Freeze de s’en prendre à d’autres figures que les habituels stéréotypes comme Rotschild ou Rockfeller, à commencer par Vincent Bolloré, propriétaire d’Universal par sa firme Vivendi, qui ne charrie pas la figure du riche juif, mais bien celui du capitaliste breton à l’action industrielle néocoloniale. Au lieu de ça, le rappeur de Dakar joue sur la concurrence victimaire entre esclavage et Shoah lorsqu’il dit « S/o les Indiens d’Amérique, S/o l’esclavage, R.A.F des camps de concentrations » (à ce titre, l’une de ses influences,Booba, avait eu la justesse d’écrire « On se vengera comme victimes de l’esclavage et de la Shoah »).

Le rappeur originaire de Dakar alterne entre les stéréotypes antisémites les plus courants (la figure du rentier juif, le cliché des Juifs communautaires) et les références les plus pointues (Van Helsin et le Livre jaune). Freeze assigne également le goût pour l’argent aux pasteurs (« Faut des grosses sommes comme des pasteurs ») et aux gitans, prêtant également à ce dernier groupe la dimension communautaire (« la famille et l’or comme un gitan »). 

Comme lorsqu’il se compare à des individus qu’il décrie (Bush), Freeze brouille les pistes en attaquant certaines identités autant qu’il les mobilise à des fins d’égotrip. Il en va de même lorsqu’il reprend des métaphores racistes afin de discréditer ses concurrents (« Fuck ces n*gros comme Jean-Marie »), procédé qu’il n’est pas le premier à employer. Freeze Corleone intensifie ces différents procédés, multiplie le recours aux clichés identitaires, qui, comme le complotisme, lui servent à la fois d’artifice artistique et de moyen d’expression politique. 

« Peine de mort pour les pédos »

Freeze Raël

La même question se pose quant au sérieux de ses propos sur la peine de mort et la pédophilie. Soutenant à maintes reprises la sentence capital à l’encontre des auteurs de crimes pédophiles (« Peine de mort pour les pédos », « pendaison pour les pédos-satanistes comme Kelly », « peine de mort pour le réseau de Jeffrey »), Freeze reprend à son compte l’idée largement partagée d’une impunité des puissants. Là aussi, un tel discours mobilise le sentiment du « deux poids deux mesures » le sentiment d’une justice à deux vitesses.

Ce discours n’est pas isolé dans le rap (ni dans la société), puisqu’un rappeur comme Nekfeu, tout sauf susceptible d’être rapproché du discours politique de Freeze Corleone, rappait « Des bicraveurs jugés comme pour un crime et des pédophiles jugés comme pour un délit ».
Chez Freeze, cette rhétorique s’associe en outre à une autre théorie complotiste, à savoir que la corruption des élites serait telle que parmi leurs pratiques l’on retrouverait la pédophilie et l’anthropophagie (« Ils boivent du sang comme Hilary Clinton et Michelle Obama »), une théorie conspirationniste répandue et amplifiée par des milieux de l’alt-right américaine pro-Trump et de la mouvance Qanon

Freeze Corleone, comme d’autres avant lui, préconise la peine capitale. A nouveau, cette opinion trouve probablement ses racines dans le sentiment d’injustice ressenti, du moins en partie ; il n’en demeure que ce type de discours fascisant circule dans la bouche de certains rappeurs.  Quant à savoir s’il ne s’agit que d’un instrument percutant ou l’expression d’une opinion plus profonde, la distinction n’est pas aisée.
Chez Freeze Corleone toutefois, même si le propos est volontairement provocateur, l’articulation de ses diverses opinions dépasse sans doute la simple volonté de choquer, au point de constituer un propos politique bien défini. 

Ambivalences du rap

Il y a fort à parier que la scène rap, n’avait pas vu venir le succès d’un rappeur dont le propos est si ambigu et ancré politiquement. La polémique Freeze Corleone met le rap face à ses démons ; des stéréotypes et des provocations racistes et antisémites circulent dans cette musique ; des propos complotistes et fascisants également (la défense de la peine de mort tout comme l’assimilation de la bourgeoisie à une élite corrompue, pédophile et impunie). Avec Freeze, rappeur talentueux et intriguant, une partie du public rap se retrouve face un personnage qui exacerbent ces poncifs tout en perpétuant la défense d’autres thèmes comme l’anticolonialisme, le panafricanisme, la dénonciation de la répression policière ou le refus d’être Charlie

Car oui, le rap est à la fois capable de produire un discours complotiste, réactionnaire et potentiellement dangereux. Tout comme il est capable de produire un discours contestataire, antiraciste et émancipateur. Les textes de Freeze Corleone semblent témoigner de ces contradictions.  Et oui, des dominants, politiciens comme personnalités médiatiques, instrumentalisent une partie de ces propos afin de stigmatiser des populations précises et de discréditer l’un de leur moyen d’expression. Ce mouvement s’inscrit plus généralement dans une division entre des minorités opérée par des institutions dominantes ; de l’homonationalisme comme prétexte pour discréditer les catégories populaires à l’islamophobie sous couvert de défense du droit des femmes, nombreuses sont les causes progressistes investies non pas comme une fin mais comme un moyen d’exclusion ou de stigmatisation. Le rap n’échappe pas à la règle.

A l’heure actuelle, le rap, de par sa popularité et son accessibilité, demeure un canal d’expression privilégié -peut-être même sans équivalent- pour des « exclus », racisés et/ou prolétaires. Par conséquent, priver l’un des membres de cette communauté de cet outil revient sans doute à attaquer tous les autres, lesquels ont d’ailleurs réagi avec vigueur. A la suite de la polémique, le rappeur Zikxo tweetait ceci « On va retourner vendre de la drogue à vos gosses si vous censurez notre liberté d’expression ».


L’opposition entre le « nous » et le « vous » pourrait se rapporter à un clivage entre les classes populaires et les instances dominantes (Etat, bourgeoisie, médias). Difficile de faire plus explicite quant à la rupture sociale.   Surtout, ce tweet du rappeur du 93, au-delà de la dureté du propos, sonne moins comme une menace que comme un aveu d’impuissance face à l’offensive menée envers ce qui constitue à la fois son art, son moyen d’expression et de subsistance. Cet attachement à la liberté d’expression, qui s’articule à de nombreuses offensives menées contre celle dont jouissent les rappeurs, pourrait en partie expliquer le soutien conséquent de nombreux artistes envers Freeze. Une solidarité manifeste se révèle, entre artistes conscients de cette asymétrie de traitement subi par leur genre musical. 

Certains verront en Freeze Corleone le symptôme de la dépossession et de la domination, sinon l’idéal-type d’un jeune influençable tombé dans le conspirationnisme (« Complot depuis très jeune j’ai les notions ») et les méandres d’Internet. D’autres diront que le rappeur est cynique, habile communicant ayant décidé de faire business de son ambiguïté et qui, contrairement à l’auditeur rap, sera gagnant à tous les coups ; soutenu par son public et le microcosme du rap, érigé en martyr, mordant sans cesse la ligne jaune de l’antisémitisme sans jamais avoir à s’en expliquer. Ces deux lectures ne s’opposent pas. Ce qui est certain, c’est que le rap, désormais pleinement exposé médiatiquement et puissant moteur de l’industrie musicale, tout en étant un canal d’expression des classes populaires, n’échappe pas aux problématiques de son temps, qu’il s’agisse du sexisme ou du racisme en son sein. Par conséquent, il est urgent, en tant qu’auditeurs de cette musique, de s’emparer de ses thématiques le plus sérieusement possible. Minimiser ou ignorer ces dimensions ne participera qu’à accroitre sa vulnérabilité à l’égard de ses adversaires, nombreux et robustes. 


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J'écris comme si j'ai fait la Sorbonne

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