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Furax Barbarossa, Cha-O-Ha – Partie 2 : Entretien avec Quentin Condo, rappeur et militant natif-américain

Particulièrement bon niveau rap, particulièrement gênant du point de vue de l’esthétique, le dernier EP de Furax Barbarossa pose beaucoup de questions. Après la Partie 1, à retrouver ICI, cet article relate l’échange que nous avons eu avec Quentin Condo, rappeur et militant mi’kmaq (peuple autochtone d’Amérique du Nord), qu’on a notamment interrogé sur le texte et le clip du morceau Crazy Horse. Il nous explique pourquoi celui-ci, grimant Furax en natif américain exotisé et ultraviolent, est offensant pour les membres des Premières Nations, encore aujourd’hui opprimés par de nombreux gouvernements en Amérique.

Bonjour Quentin, merci d’avoir répondu à ma demande ! Au départ je ne savais trop vers qui me tourner, car je voulais parler de ce qui me gêne avec ce morceau et ce clip, mais comme je ne connais pas trop le sujet je ne souhaitais pas en parler directement, mais plutôt discuter avec quelqu’un qui soit directement touché.

Oui, j’ai vu la vidéo et j’étais pas mal choqué… Je comprends pas ce qui est passé dans la tête de ce gars pour faire une vidéo comme ça. Il a un gros manque d’éducation. J’ai vu dans ses lyrics qu’il parlait des Comanches et des Sioux, et Crazy Horse c’était un Lakota, ça montre que ce gars-là connaît rien du tout de la réalité autochtone, il pense qu’on est tous pareils, alors que les nations autochtones ont des croyances et des cultures très différentes. Et les images utilisées dans son clip, ça perpétue l’idée qu’on était des sauvages. On n’est pas des sauvages, mais on s’fâche pas mal des fois, quand quelque chose comme ça arrive. J’ai abordé le sujet avec plusieurs rappeurs autochtones, et on est plusieurs à vouloir donner du bon feed-back à ce gars-là !

En fait je le comprends pas, peut-être qu’il regarde pas l’actualité ou qu’il est ignorant, mais on a tellement de problèmes avec l’appropriation culturelle en ce moment. Il y a plusieurs non-autochtones qui essaient de vendre des choses qui sont sacrées à nos yeux. Ils font semblant d’être des autochtones et font des profits sur le dos de notre culture.

Ici on a beaucoup de problèmes avec le gouvernement canadien, tout comme il y a des problèmes avec le gouvernement des Etats-Unis. Et là on voit un gars de France sortir une vidéo et une chanson comme ça, un colon qui connaît rien du tout de notre culture, j’suis certain qu’il a jamais mis les pieds dans une communauté autochtone. On a beaucoup de communautés autochtones ici au Canada puis aux USA. Il y a des nations différentes, des langages différents, des croyances différentes. Et quand on voit une vidéo comme ça, avec ce manque d’éducation et ce manque de respect, c’est pas quelque chose qu’on va laisser passer.

Donc pour toi c’est un gros problème de connaissance des différentes cultures et des différentes nations autochtones ?

Oui, pour moi c’est un gros manque d’éducation de sa part, je suis certain qu’il a jamais mis les pieds dans une communauté autochtone, je sais même pas s’il est déjà venu ici en Amérique. Peut-être qu’il est venu faire un tour au Québec, mais rien qu’ici au Québec on est onze nations autochtones différentes. Si t’es pas autochtone et que tu fais une chanson comme ça, tu devrais connaître un peu l’Histoire. En fait même si tu connais l’Histoire c’est pas acceptable, nous on s’habille pas comme ce qu’il montre dans le clip à part pour des affaires cérémoniales. L’image de sauvage qu’il donne, c’est l’image que les non-autochtones ont utilisé pour justifier de nous tuer. Cette image de l’autochtone sauvage c’est ce que la Couronne a utilisé pour convaincre les gens en Europe qu’on était juste des animaux et qu’on pouvait nous tuer et voler nos territoires. Et là il a donné le pouvoir à cette image-là.

Je pense que c’est l’image qui est encore largement diffusée en Europe. Je pense que quand on fait des choses comme ça il faut s’éduquer comme tu dis, mais malheureusement le clip reflète une image qu’on a ici. Pour te préciser un peu son travail passé, Furax a déjà fait plusieurs clips où il se « déguise », en mafieux [dans Mona Lisa], en guerrier celtique [dans Le poids du mal]. Et là on a l’impression que c’est un nouveau « déguisement », mais qui là ne passe pas.

Non c’est pas acceptable. C’est vrai qu’en France y a encore beaucoup de gens qui pensent qu’on porte tout le temps des pantalons traditionnels et c’est pas vrai. J’ai fait une tournée en France en octobre passé, avec 4 Mohawks et une Française de Montréal. On a parlé avec beaucoup de Français, et il y avait encore beaucoup d’images dans leur tête qui ressemblent à ce que ce gars-là vient de faire.

Si vous voulez nous aider, aucun problème ! Mais parles donc du fait qu’il y a eu près de 4000 femmes autochtones assassinées ou disparues ici au Canada, c’est une crise nationale ! On n’a pas d’aides d’un gouvernement qui fait semblant que le Canada c’est un pays peacefulpeaceful si t’es pas autochtone. Il y a soixante communautés autochtones ici au Canada qui n’ont pas d’eau potable ou pour se laver !

Oui ce que tu dis c’est qu’il y a des choses dont on peut parler quand on n’est pas autochtone, mais il faut être renseigné, et peut-être parler des luttes actuelles en fait. Parce que dans le morceau il y a parfois un côté défense des autochtones dans l’Histoire, comme quand il dit « de quels droit ils repoussèrent nos terroirs ? », mais en fait ça reste dans le cliché.

Oui mais il ne comprend pas ! Je garantis qu’il ne comprend rien à ce que sont les traités entre autochtones et colons. Les premiers traités signés avec les Mi’kmaq, ma nation, ou avec les Mohawks, on peut les comprendre avec de l’éducation. Le « vol des territoires », c’est tellement vague… Lui il ne connaît pas cette douleur-là. Mon père était dans des pensionnats, il était battu, violé, mes oncles et mes tantes, mes grands-parents, tous sont passés par là. Il y a une douleur intergénérationnelle. Faire quelque chose comme il a fait, ça nous blesse plus encore : on est en 2020, et on a encore des gens comme ça qui font ce genre de choses blessantes. Puis là on est fâchés, et si on se fâche ils vont dire regardez, ils réagissent comme des sauvages…

Donc il a pas le droit de faire ça, c’est un manque d’éducation. La seule voie où ça serait excusable, c’est d’enlever sa vidéo de Youtube, enlever cette chanson-là, et peut-être qu’on pourrait dire, parce qu’on est des humains : ok, les gens font des erreurs parfois, t’as fait ce qu’il fallait pour corriger ça. S’il est pas capable de faire ça, on est un groupe de rappeurs autochtones ici, et on va le couper en morceaux avec nos lyrics !

Ce qui m’énerve en plus, c’est qu’il a un bon flow, le morceau est bon, le beat est correct, s’il était autochtone, j’aimerais vraiment cette chanson là ! Mais il a fait une grosse erreur. Et en plus il fait de l’argent sur notre dos. Il rend les choses plus difficiles pour nous, pour notre image et en même temps il prend de l’argent. A côté nous on fait des concerts gratuitement dans nos communautés, pour donner de l’espoir. S’il est engagé et impliqué, il faut qu’il s’éduque. Il nous a mis en colère ; pas parce qu’on est jaloux, nos chansons sur nous-mêmes, on peut les faire mieux que n’importe quel blanc de France, mais parce qu’on est choqués et qu’on a de la peine. On peut l’excuser s’il reconnaît son erreur et retire sa vidéo. S’il veut faire une chanson avec les autochtones, je l’invite : je l’amène à mon studio à Montréal, on rentre dans le studio, puis on va corriger son problème. Je préfèrerais avoir l’opportunité de corriger ça et d’apprendre les bonnes choses à lui et à ses followers.  S’il est pas capable de faire la correction il va nous entendre !

Est-ce que c’est des choses qui ont déjà eu lieu au Québec, ce genre d’appropriation culturelle dans le milieu du rap ?

Dans le rap impossible ! On est trop présent, si quelqu’un tient ce genre de discours on va le croiser à un concert. On a grandi dans des endroits durs, on est pas des fake gangsta-rappers, on vient de réalités complètement différentes. Même les racistes ici au Québec, et y en a un tas, savent qu’il y a des limites à ne pas franchir. On doit se battre pour tout, même pour de l’eau potable, donc la bataille on n’a pas peur de ça.

Il y a de très bons rappeurs noirs ici au Québec, et des rappeurs non-autochtones qui sont vraiment bons et on a une bonne relation. D’habitude, les gens qui sont dans le rap ou le punk, il y a du respect entre nous, on a conscience de faire une musique qui veut produire du changement. Le Hip-Hop, c’est vouloir apporter du changement dans nos situations. Je sais pas si tu connais le rappeur Classified, de Nouvelle-Ecosse, mais c’est un rappeur blanc, et il a fait une très bonne chanson pour les femmes autochtones ; il y a des femmes autochtones dans le clip, il a vraiment rendu un hommage. C’est ça la façon de faire : invite des autochtones, ne t’habille pas comme nous.

Ou un rappeur francophone comme Souldia, qui est vraiment gangsta, tu le verras jamais faire quelque chose d’irrespectueux vis-à-vis des nations autochtones. Et je suis certain que s’il voulait travailler avec un autochtone, il frapperait à une porte et demanderait « est-ce qu’on peut faire une collab’ ? ». Et c’est comme ça que le Hip-Hop doit être.

Pour finir, j’aimerais qu’on parle un peu de toi. Je précise que tu rappes en anglais, et également que tu prends régulièrement part à des mobilisations pour les droits des communautés autochtones au Canada. Est-ce que tu as des projets, d’album ou d’engagement à venir ?

Oui je rappe en anglais, mais dans le groupe qui m’accompagne sur scène, plusieurs musiciens viennent de Marseille et ils sont reconnus en France ! Aussi, j’ai produit trois morceaux pour une rappeuse marseillaise qui s’appelle Sensei H, qui est vraiment très forte, avec des lyrics conscients.

Moi ma musique est toujours en rapport avec des situations autochtones, avec les problèmes qu’on a. On a tellement de problèmes au Canada que des fois, quelque chose arrive, devient une bataille pour les autochtones et je vais écrire une chanson dessus. Je vais au studio et je sors la chanson de suite, je fais pas de gros marketing. Les gens qui descendent dans la rue ils ont besoin de ce power tout de suite. Je le fais pas pour l’argent, j’ai deux entreprises de pêche, j’ai cinq garçons : mon plus vieux c’est mon guitariste, le plus jeune monte parfois sur scène avec moi, le rap c’est une histoire de famille et c’est vraiment pour éduquer du monde.

J’étais dans la politique aussi avant, j’étais élu dans ma communauté, par mon peuple, je bataillais contre le gouvernement au niveau national et provincial. Puis j’ai trouvé que j’avais plus de pouvoir pour parler à mon monde à travers la musique. Mais je suis quelqu’un de mobilisé, mes enfants sont des protesters aussi.

Merci beaucoup d’avoir pris le temps de discuter de tout ça, bonne continuation en bonne chance pour les luttes que vous menez !

C’était cool de parler avec toi. Hésitez pas à écouter ce que fait la rappeuse marseillaise Sensei H, elle est vraiment forte, intelligente, et elle a un nouvel album qui va sortir bientôt. Et merci de mettre ces sujets en avant ! La première étape pour régler un problème, c’est d’en parler.

1 commentaire

  1. salut,

    franchement je ne comprend pas le problème.
    je trouve que cette personne chipotte.
    ce son est légendaire tout comme l’artiste Mr FURAX BARBAROSSA.
    la technique la voix le flow et le texte.

    Merci monsieur

    cordialement.

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