Après la sortie du très inégal La Banquise, le Mc de Villeneuve-la-Garenne fait son retour avec un album sobrement intitulé C’est tout. Il faut dire que tous les regards sont tournés vers lui, depuis qu’il a annoncé sa volonté de vouloir pondre un album tous les 6 mois environ. La pression était d’autant plus grande, que son ex-crew L’Entourage et anciens amis d’1995 multiplient les concerts et connaissent une médiatisation certaine. C’est donc avec une attention toute particulière que nous avons entamé l’écoute de ce disque.
Plusieurs écoutes plus tard, nous voilà rassurés : C’est Tout semble vouloir faire la passerelle entre cet album-ci et son premier, confirmant par-là les reproches faits à La Banquise, qui paraissait plus être une mixtape qu’un véritable aboutissement. L’intro fait d’ailleurs directement écho à celle de Normal, et se veut même un brin supérieure à sa devancière. Guizmo a d’ailleurs eu la bonne idée de clipper le morceau très récemment (avec la présence inattendue d’Ekoué, de La Rumeur).
L’enchaînement se fait de manière très cohérente avec les morceaux phares de cet album, Le Bus et Le Café, écrits dans un registre dans lequel Guizmo ne s’était pas encore aventuré : le storytelling. Dans le premier, imbibé d’alcool, il nous conte son voyage dans le bus de nuit, où se mêlent rencontres, baston et mélancolie. L’auditeur devient passager de ce trajet dépeint avec tant de réalisme, qu’on aurait aimé continuer avec lui un peu plus longtemps. Peu après, ce bus s’arrête au troquet du coin, avec son odeur de tabac froid, ses gueules de bois, et ses tickets de Banco qui jonchent le sol. Immersif et touchant à la fois, Le café se révèle être l ‘un des meilleurs morceaux de C’est Tout. On passera rapidement sur Trop fraîche , titre rappelant sur de nombreux points T’es juste ma pote de son album précédent.
Paradoxalement, c’est là où l’on attendait le plus Guizmo qu’il déçoit. Ses égotrips, (Daffy Duck, Passé simple) n’étant pas forcément très percutants, ne laisserons pas un souvenir impérissable dans l’oreille des auditeurs. De même, les instrumentales tranchent trop vite avec les sons précédents, et viennent briser une homogénéité parfaite jusque là.
Pour le reste, il faut évidemment souligner l’unique featuring de l’album en la personne de Despo Rutti, même si le morceau n’est pas inoubliable. Mais il y a surtout l’irrésistible My gun reprenant la punchline de Big L «My guns go poom-poom, and yo’ guns go pow-pow». Détail amusant, le hasard fait si bien les choses que ces mêmes paroles ont servi pour l’intro et le refrain de Flingue dessus, extrait du nouvel abum à venir de 1995…
Mais pour pouvoir apprécier à sa juste valeur C’est Tout, il faut en réalité se laisser éclairer par le morceau Entre dans mon monde, avant-dernière piste, permettant de mieux comprendre le Mc. Pourtant loin d’être original, le thème de la schizophrénie ayant déjà été traité de diverses manières plus ou moins prononcées (de Fuzati à Swift Guad en passant par Eklips), ce morceau confronte Lamine Diakité à son alter égo Guizmo. Le premier, entraîné par le second, se perd dans la picole et le bédo, cocktail lui permettant alors d’écrire et de pouvoir vivre de sa passion. Guizmo serait donc uniquement une obscure facette de Lamine, qui lui serait sérieux et sobre. Il semble intéressant de souligner que cette dichotomie se retrouve alors tout au long de l’album. Schématiquement, on pourrait d’ailleurs regrouper les morceaux selon leurs intrus.
Les sons aux ambiances plus jazzy, laissent bien souvent place à l’introspection, mais de manière détournée. Lamine, en décrivant son Café, déplore ce qu’il est devenu (si tu vois Kery James dis-lui que le café m’a eu , ça commence par un paquet de clopes, quand t’y ajoutes l’alcool c’est un sacré chahut) ; quand il nous embarque dans le bus de nuit, un sentiment de honte se fait même ressentir à travers ses rencontres noctiliennes. Sa condition serait même l’inverse exacte de son pote Despo, qui clamait haut et fort : Quand je me regarde je m’inquiète, quand je me compare je me rassure.
C’est à travers ce qu’il voit qu’il s’inquiète de sa situation, l’inquiétude laissant même place au pessimisme ( j’ai appris à voir le verre à moitié vide – Guizmo 2) et au sentiment que tout est éphémère. Sentiment d’autant plus renforcé, que le champ lexical de la mort est omniprésent, comme si tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain. Le titre de l’album, C’est Tout, n’est-il pas l’expression de quelqu’un à bout de souffle?
Par ailleurs, à travers ses instrus plus dirty et saturées, Lamine semble vraiment laisser place à Guizmo et son côté obscur, sous 8.6 et amnésia, à qui son producteur Willy va enlever ses pompes et le déposer sur le sofa (Insomniak). C’est aussi lui qui, bourré de confiance fait kiffer un tas de meufs (Trop Fraîche) et a serré la femme d’un flic. Guizmo et Diakité paraissent interdépendants, quand l’un dort, l’autre se réveille, quand le second constate les méfaits de la boisson, l’autre en fait l’apanage.
C’est donc en cela que le personnage de Guizmo est plus profond qu’il n’en a l’air. Il fait preuve d’une maturité et d’un pessimisme rare pour ses 21ans. Reste au milieu de tout ça ce qui réunit les deux entités qui composent l’homme : le Hip-Hop, magistralement glorifié dans le morceau éponyme. Hip-Hop à qui il fait du bien, dans sa démonstration remarquable de flow et de technicité de 12mn dans l’outro.
Introspection, thèmes variés et talent, on peut affirmer sans crainte que le pari est remporté pour le 3ème album du Mc de Villeneuve-la-Garenne, et ce malgré quelques coups d’épée dans la tize. Comme quoi, qualité peut parfois rimer avec quantité. C’est tout.