S’il devait se présenter, il se définirait comme « un bricoleur sonore, un modeste bricoleur » et si on lui demandait d’expliquer la genèse de son dernier projet, il affirmerait que « rien n’était prévu » et que « même le visuel », il l’a « fait en une heure ». Bref, l’énigmatique fabricant musical du nom d’Haymaker est un artiste assez singulier : un genre de boxeur-musicien fantasque et ingénieux, hors-catégorie. Pour ceux qui le découvrent, son projet solo précédent s’intitulait Opium Hill mais il a aussi collaboré – et montré son talent à un public plus large -avec son compère Lucio Bukowski pour le savoureux EP Golgotha.
Son univers, obsédé par quelques grands thèmes, garde sa teneur et sa puissance singulière dans cet ouvrage au final très cohérent. En effet, les extraits cinématographiques ainsi que les références à la littérature et à la boxe sont très abondantes pour un album instrumental où les paroles se font forcément plus rares. Concernant la littérature, en tout cas, nous pouvons indiquer le morceau Théâtre de la cruauté, expression d’Antonin Artaud, ou encore L’amour est un chien de l’enfer, recueil de poème saisissant de l’inimitable Charles Bukowski. Sur ce sujet, le beat-maker confie d’ailleurs l’amour qu’il porte pour la littérature et en particulier pour les « écrivains américains : Fante, Bukowski, Selby, Hemingway, Dos Passos, Henri Miller, Faulkner » avant d’expliquer qu’il « aime la liberté d’âme qu’on trouve dans leurs œuvres. Leur manière d’échapper au monde. De vivre pleinement ce qu’ils sentent qu’ils doivent vivre. » Cette fureur de vie et de vitalité dessinant bien les contours de l’œuvre d’Haymaker, on apprécie donc tout particulièrement la richesse culturelle de ce musicien inspiré dans tous les sens du terme.
Musicalement, la frontière entre la sensualité et l’intellect reste assez floue tant se croisent les références samplées et les évocations silencieuses, les émotions sublimés et les sentiments noués. C’est une musique qui travaille au corps, comme le boxeur, et qui cherche sans cesse à garder le tempo de la lucidité. Car oui, si le monde de la boxe transpire de chaque référence (le pseudo Haymaker, le morceau Vaisselle brisée avec un sample du morceau-schizophrène 15ème round de Bernard Lavilliers et, enfin, le titre Kinshasa, 30 Octobre 1974) c’est avant tout qu’il s’agit d’une réelle passion de spectateur nourrie par les prouesses de ce jeu. Admiratif « des hommes qui ont fait l’histoire de ce sport, et plus particulièrement de l’âme qui traverse cet « art noble ». » il certifie que « monter sur un ring en sachant que l’on va souffrir physiquement et psychologiquement et aux vues de tout le monde, c’est l’une des choses les plus courageuses qui soit. Ce sont les « chevaliers » du monde contemporain, des héros. » L’imaginaire du combat est d’ailleurs célébré par la dimension revitalisante des rythmes et des percussions. Souplesse électrique et détermination cadencée du beat animent aussi et surtout le génial morceau Kinshasa, 30 Octobre 1974 qui rend hommage au célèbre combat de Mohamed Ali. Terriblement énergique et vivant, ce titre porte à lui seul la fougue et la fureur créatrice de l’artiste.
Mais « le thème de ce projet est quand même celui de la déprime » confie-t-il en riant. En effet, le titre de l’opuscule comme les thèmes sonores évoquent un goût subtil et coloré pour la mélancolie. Le pavot somnifère et le morceau éponyme traînent d’ailleurs cette langueur solitaire et nostalgique qui donne une dimension presque romantique – au sens littéraire du terme – à cette vision musicalisée du monde. En ce sens, l’idée de l’évasion prend une place centrale dans l’œuvre que ce soit par les évocations à l’alcool, aux « drogues » ou à l’art dans son ensemble.
Spirituelle confection d’un artisan mélancolique, cet EP porte en lui une mystique à l’image du Nautilus qui symbolise selon l’artiste « l’isolement, la mise à l’écart volontaire, le silence créateur. » C’est cette tristesse, étrangement attirante, qui soutient donc cette construction méthodiquement délabrée. Compositions ivres et ruminantes, les morceaux Valium ou encore L’amour est un chien de l’enfer peuvent témoigner d’une richesse intérieure que les mots ne suffisent peut-être pas à rendre avec assez de justesse et de saveur. C’est donc une lente fabrication de l’émotion et du ressenti. Un combat dans l’ombre, une lutte silencieuse. Et quand on demande à Haymaker à quoi sert la musique, il répond qu’elle est « une échappée. Quelque chose d’essentiel à l’esprit. Une expression de l’âme universelle. » Tout est là. Poing final.