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[Interview] Heskis : « Un point de ralliement entre l’ancienne et la nouvelle école »

On connaît tous Heskis avec 5 Majeur. Mais cette fois-ci, c’est tout seul qu’il revient avec son premier EP GG Allin et un style bien à lui. La semaine dernière, on se rendait chez Musicast pour qu’il nous parle de cette première expérience solo, de l’égocentrisme et de la violence de notre époque, et de plein d’autres choses ! Heskis, c’est un mélange de sensibilité et de force chargées à bloc, un beau combo qui donne envie de le voir continuer sur sa lancée…

Le premier extrait de ton EP se nomme Akira, pourquoi avoir choisi l’univers des dessins animés japonais ?

Je trouvais que ça collait très bien avec les couleurs de l’EP. Je ne sais pas si tu as vu le dessin animé, il date d’il y a vingt ans, mais c’est ultramoderne dans les couleurs. J’imaginais pas mal d’images avec des lumières néon, et « Akira » c’est en plein là-dedans. Aussi, quand on a fini le morceau et que l’on a cherché un nom, ça s’est imposé un peu tout seul étant donné que le texte traite de plein de trucs que tu retrouves dans le film, sans que ce soit ultra précis ou nominatif… « Akira » correspondait à l’univers que j’avais dans la tête. Je trouvais qu’il y avait un vrai parallèle avec l’ambiance du son.

Ça traite d’une bande de jeunes motards « désœuvrés », tu fais un parallèle avec toi et tes potes ?

Je ne l’ai pas fait dans cette intention là, mais je pense que tu peux l’interpréter de plein de manières différentes. J’ai vu des mecs écrire dans les commentaires qu’ils trouvaient beaucoup de ressemblances. On m’a demandé aussi s’il y avait une comparaison avec moi, mais pas du tout. C’est vraiment une référence à l’ambiance générale. Après, oui, si tu regardes, c’est une bande de jeunes qui vivent dans un monde un peu futuriste, complètement fucked-up, ou tout est niqué, bouché, assez noir. Ce sont des mecs qui baroudent, qui font des larcins, qui foutent un peu la merde. Mais ce sont des bons gars, avec un esprit de groupe et de famille. Donc si on regarde, ça pourrait complètement coller au truc. Sauf qu’on n’est pas des bandits, on braque le micro nous, pas les gens (rires).

Le film date de 1988, on retrouve pas mal de nostalgie dans tes textes ?

C’est une bonne question. C’est hyper cliché de dire ça mais c’est plus une critique globale du monde moderne qu’autre chose. C’est pas forcément nostalgique parce que le film, pour moi, est hyper futuriste. En 88, on pouvait imaginer que le film se passait dans un futur qui pourrait être 2017 ! Je trouvais justement qu’il y avait un truc actuel dans « Akira ».

Donc tu n’es pas adepte du fameux adage « le rap c’était mieux avant » ?

Absolument pas. Il y a pas mal de gens qui m’ont associé à ça. Je pense que ça vient du fait qu’on a fait 5 Majeur, et pour beaucoup de personnes c’est du rap boom bap à l’ancienne. Beaucoup l’ont pris comme un revival. Nous, on n’a jamais pensé que le rap c’était mieux avant. On s’est explosés à des trucs des années 90 qui nous ont énormément influencés à un moment donné, mais il n’y a pas que ça. Et je crois franchement qu’aujourd’hui on a des rappeurs encore plus forts qu’à l’époque.

Justement, dans tes morceaux, ce qui est assez surprenant c’est qu’à la fois il y a des instrus à l’ancienne et il y a des moments où tu rappes un peu plus avec des sonorités actuelles. Ça fait un mélange que l’on n’a pas l’habitude d’entendre … tu te situes où par rapport à cette cette nouvelle vague un peu trap ?

Je regrette les guerres intestines où les gars qui écoutent du boom bap vont cracher sur les gars qui font de la trap et vice versa. C’est tout le temps la même chose … Moi je suis pile entre les deux. J’écoute autant de boom bap que de rap qui tend vers la trap ou tout un tas d’autres trucs.

Ton style est très nouveau, c’est ce qui fait ton originalité.

Je suis ultra influencé par des flows 90bpm, donc des flows « à l’ancienne » avec des gros guillemets. Du rap de Sniper à la Roc Marciano, avec du gros placement de rimes, des trucs très américains, très « sciences » … Mais pas seulement. J’ai écouté pas mal de trip-hop et je suis assez fan d’artistes comme Bones ou Yung Lean. Alors c’était plutôt ça que je voulais faire, mélanger les différents styles. J’avais pas envie de faire juste du rap « pur et dur » avec  un piano et un violon derrière. Je voulais qu’il se passe un truc, que ça t’embarque dans quelque chose. Vu que je suis parti sur l’idée de faire un petit format, on s’est dits avec Sheldon (mon producteur) qu’on avait envie de faire une ambiance tranchée, un truc à nous, qui nous ressemble vraiment.

Oui je pense que c’est vraiment ça qui va faire la force de l’EP, c’est ce mélange.

(rires) C’est super bizarre de parler de sa propre musique et de dire « je pense que »… mais je pense que oui, en effet, ce que je fais peut-être un point de ralliement entre l’ancienne et la nouvelle école. C’est un peu un pont entre les deux.

Bientôt un mélange avec de l’auto-tune (rires) ?

La fameuse question ! (rires). Je n’arrive pas à comprendre l’enjeu autour de ça. C’est complètement français en fait, les américains ne se posent pas la question une seule fois. Moi je suis assez fanatique de Travis Scott par exemple, c’est un mec qui utilise beaucoup de vocodeur mais d’une manière que je trouve unique et hyper intéressante, vraiment. Sur GG Allin, il y a un morceau où il y en a, à un moment, mais très faiblement dosé. Je ne comprend juste pas que ça fasse toujours autant débat chez nous. Quand j’écoute du son, autotune ou pas je m’en branle, je veux juste que ça me fasse kiffer.

Pourquoi avoir voulu appeler ton EP GG Allin ?

GG Allin c’est le nom d’un punk.

Qui fait des trucs assez hardcores…

Oui, assez particuliers (rires). Quand j’ai trouvé le nom, j’en ai parlé à Hunam et Vidji. Ils m’ont tout de suite dit que ça déchirait comme nom, mais qu’il ne savaient pas qui c’était ou ce que que ça désignait. J’ai trouvé ça cool ce côté énigmatique. Au moment où j’ai choisi ce nom, je savais qu’il allait y avoir plein de personnes qui n’allaient pas le connaître.

Après, je ne me compare pas du tout à GG, il était complètement odieux et fou, il se battait sur scène et tous ses concerts se finissaient en émeute au bout de 30 minutes, il était couvert de sang et de merde, bref, tu me suis ? (rires)

En fait, c’est plus le côté provoc’ qui me plaît. Je trouve qu’il y avait un message derrière cette attitude, aussi bien sur la société de son temps que sur l’industrie musicale. C’était quelqu’un d’assez critique. GG Allin, c’est le mec qui personnalise la rébellion. Il allait jusqu’au bout du bout, il en avait rien à foutre des conventions, des codes. J’aimerais bien qu’il y ait plus de personnages comme lui en 2017, on en a besoin.

Et toi, tu as un côté provoc aussi ?

Sûrement. Dans mes textes il y a beaucoup de pics sur les rappeurs, sur Hey Men surtout :

« Les trois quarts des rappeurs du game
envoient des couplets de merde
ils aiment pas quand j’dis j’vais les graille
ils savent que j’pourrais l’faire »

Il y a un côté provoc’ dans ce sens là. Après qu’est-ce que l’on appelle « provocation » ? Je n’ai pas vraiment de réponse à ça mais j’ai quand même l’impression que c’est un terme très subjectif. Je « provoque » peut être un peu dans le sens où je lance beaucoup de piques sur les rappeurs ou sur les trucs qui m’entourent et qui me foutent en rogne, mais je ne cherche pas à être dans une posture pour « provoquer » ou « choquer », j’essaie surtout de dire ce que je pense. Et vu que j’en ai rien à foutre que tu sois d’accord ou pas, peut-être que des fois ça provoque un peu… Ou alors peut-être que c’est les autres qui sont trop lights ! T’en dis quoi ?

C’est vrai que l’on entend de moins en moins de rappeurs s’impliquer dans leurs propos…

Moi, je ne me revendique absolument pas rappeur « engagé », c’est un terme qui me donne des plaques. Je ne mène pas de combat politique, mais même sans être un rappeur porte-drapeau, j’essaie de parler de certaines choses dans l’EP. Les violences policières, la culture nivelée vers le bas, les attentats, la merde partout sur des écrans H24 autour de toi… ce sont des choses qui existent et que tu ne peux pas nier. Et c’est vrai que ça me surprend souvent qu’on ne soit pas plus à avoir envie d’en parler.

Le rap avec lequel on a grandi parlait justement de ces choses-là ! Quand j’étais petit, je me rappelle de morceaux où tu avais 30 rappeurs qui se réunissaient pour faire un morceau pour les sans-abri ; ou encore le morceau 11’30 contre les lois racistes en 96… et il y a eu plein de trucs dans ce genre. Alors peut-être que tout ça témoigne surtout d’un changement d’époque, on est à fond dans le divertissement et l’apparence maintenant, pas dans le contenu en tout cas. On dirait parfois presque que les mecs n’osent plus se mouiller, mais pourtant ils vivent dans le même monde que nous et ce sont bien des sujets qui doivent les toucher, non ? On nous a beaucoup trop répété que « les gens ont besoin de s’amuser, pas de se prendre la tête » et on dirait que ça a fini par prendre. C’est pas forcément dramatique ou une fin en soi mais je trouve ça quand même dommage qu’on ait perdu ce truc-là.

GG Allin était un punk, tu fais un rapprochement avec le rap ?

Oui, dans le sens où à la base ce sont deux musiques assez contestataires, on peut y voir un point commun. Après, ce sont quand même deux mouvements bien différents. Mais ils ont ce point commun d’avoir bousculé les codes de l’État, de la police, de l’ordre moral etc.

 

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Que s’est il passé au « Gas station » pour que tu décides d’appeler un de tes morceaux comme ça ?

C’était un sombre bar à New-York dans lequel il y avait parfois des concerts de punk et de rock. C’est la dernière salle dans laquelle GG Allin a joué avant de mourir, le soir où il a fait une overdose. Donc c’était logique, à partir du moment où j’ai choisi d’appeler l’EP GG Allin, de faire un morceau là-dessus. Ça fait un rappel, c’est surtout emblématique. Il y a aussi d’autres morceaux où l’on entend des bouts d’interview de lui. Je voulais qu’il y ait une sorte de fil rouge sur le EP, et GG était tellement magique en interview que ça a été du pain béni pour nous avec Sheldon !

Je crois que les vidéos sont censurées !

Je devrais peut-être pas te dire ça vu que tu es une fille (rires), quoique ça secourrait n’importe quel individu homme ou femme je pense, mais il y a un reportage d’une heure sur lui qui parle de sa vie et de sa folie, c’est assez intéressant. La vidéo s’appelle « GG Allin Hated – vostfr » , c’est dispo sur Youtube. On a pris pas mal de sons là-dedans.

« Frérot j’ai la tête dans l’vide
Le monde peut s’éteindre en fait j’m’en fiche
J’tiens les commandes j’reste en vie
Et j’prie pour que mes démons m’laissent tranquille» ?

Cette phase résume tout l’EP pour moi. Je pourrais donner de longues explications mais en fait j’avoue que je déteste expliquer mes phases. Ce que j’écris est très explicite à mon sens. Et si toutefois ça ne l’est pas assez, j’aime assez l’idée que chacun puisse l’interpréter comme il le souhaite.

Les visuels de ton EP sont très travaillés, très recherchés. Comment s’est faite la connexion avec Tade, ton graphiste ?

C’est un artiste graphiste nantais qui collaborait jusqu’à présent avec un rappeur qui s’appelle West Smith qui est un ami à moi. J’adorais son style, or je suis très exigeant là-dessus. J’ai tout de suite eu un coup de cœur pour le taff de Tade. Un jour, j’étais à une soirée et je parlais avec un mec. Au moment où je m’en vais, il me dit « Au fait, Tade c’est moi »… je lui ai montré ma première version de visuel que j’avais fait tout seul, et il a été chaud pour la retravailler. Quelques semaines après, c’est lui qui a réalisé la superbe pochette de l’EP. En ce moment, on est entrain de faire le livret pour faire une version physique du disque qui sortira milieu mars.

Pourquoi avoir attendu maintenant pour rapper tout seul ? Jusqu’à présent tu as été en collectif.

Parce que je voulais me laisser le temps. Pendant quelques années, après la sortie de 5 Majeur, pour diverses raisons je n’arrivais pas à écrire. J’étais actif mais plus en impro, en compet’, en freestyles, en open mics. J’avais envie de me réfugier un peu là-dedans. Rapper avec des potes, chez des potes, dans la street, j’avais surtout envie de ça. Je n’étais pas hyper en forme, je n’avais pas beaucoup d’idées pour écrire, j’ai préféré passer plus derrière. J’étais avec Fixpen très souvent, on a fait beaucoup de concerts ensemble. J’étais avec Vidji aussi, j’avais envie de me sentir utile avec eux plus que de faire de la musique tout seul à ce moment là. Mais ça me travaillait quand même et plein de gens me balançaient des petites piques… À partir de 2015, j’ai eu de nouveau cette envie, ça a pris du temps pour savoir ce que je voulais faire exactement et définir un univers précis. Comme je te le disais, je suis très exigeant avec moi même, je jette quasiment tout ce que j’écris. J’étais assez lent pour produire de la musique, ça me prenait énormément de temps, c’était un long processus. Et puis je voulais arriver avec un style à moi, pas un truc réchauffé du 5 Majeur. J’ai commencé par un premier morceau, Cluedo, que j’ai fait avec Vidji à Nantes. Un jour, j’ai été invité au Dojo à Saint-Denis pour faire un morceau quelques mois plus tard, on a fait le morceau GG Allin avec Sheldon. Là, je me suis dit que c’était ça que je voulais faire depuis 4 ans. J’y suis retourné pour faire d’autres morceaux et tourner autour de cette ambiance-là. Ça prend du temps de faire de la musique si tu veux bien la faire.

C’est ton activité principale maintenant la musique ?

Oui complètement. Pendant 5 Majeur, j’étais dans les études. J’ai fait une licence puis un master de com’, mais j’étais très peu souvent en cours vu que j’étais tout le temps avec Vidji en train de bosser sur le projet Variations à l’époque. Ce qui m’a valu de me faire saquer un peu, j’ai quand même eu mon année de Master 1, mais je me suis arrêté la. Après ça, j’ai fait des petits jobs à droite, à gauche, pour remplir le frigo. J’ai mis des thunes de coté et, il y a un an, j’ai tout arrêté pour me concentrer sur la musique.

Un album après l’EP ?

Je me pose encore la question mais je crois que pour le moment je préfère rester sur des petits formats. Actuellement, les gens consomment du single et du clip, je me dis qu’un album à mon stade de notoriété c’est encore précoce. Je préfère qu’ils écoutent bien tous les morceaux que je fais plutôt que d’en faire le double juste histoire de dire que j’ai un album et pas un EP.  Aujourd’hui les gens vont surtout mater les clips qui vont sortir. Donc pour l’instant je préfère bosser des 6 titres et en clipper 4 avec une identité bien tranchée. Et pour être franc, je considère GG Allin bien plus comme un mini-album qu’autre chose.

Eleonore Santoro

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