C’était la fête de la musique à Genève. J’étais fatigué, sans aucune énergie, aucune envie d’aller un concert. A 20h, je reçois le message d’un pote, rempli d’enthousiasme et d’un peu de cette nostalgie bien connue des années 90. « Busta Flex est à Genève ce soir !». L’énergie est revenue d’un coup. J’ai enfilé ma veste et foncé au Parc des Bastions. J’allais avoir l’occasion de voir en concert un des artistes que j’estimais le plus dans le rap, et même si je ne le savais pas encore, l’occasion de l’interviewer. Busta Flex fait partie pour moi de ces artistes intemporels. J’ai l’impression que quoi qu’il fasse musicalement parlant, je cautionne. Dieu sait que je suis critique en rap, assez fermé même et très attaché à la formule beat-basse-sample : le boom-bap. Est-ce une nostalgie trop présente ou un critère artistique auquel j’attache vraiment de l’importance ? Probablement un peu des deux.
Ce qui est sûr, c’est que Busta est l’exception qui confirme la règle. A chaque nouveau projet, j’appuie impatiemment sur play et je ressors, c’est vrai, souvent un peu déçu mais toujours plein d’espoir, comme si je savais qu’il allait revenir nous surprendre à un moment ou à un autre. Si l’artiste aime les sonorités à la mode (un peu dirty il y a quelques années et plutôt trap maintenant), ses lyrics sont la plupart du temps à la hauteur. Sans prétentions puisqu’il n’a pas vraiment un rap engagé ou conscient, mais à la hauteur dans le genre égotrip.
Celui qui a été considéré un temps par les médias comme le freestyleur et le flow le plus puissant de la scène française n’a pas perdu de son panache. Malgré cette énergie évidente, il sort régulièrement des projets qui nous laissent sur notre faim, mais, au dernier moment, quand on finit par penser qu’il ne fera plus que de la musique dans la tendance actuelle, il nous pond un « C’est nous les reustas » qui cloue le bec à tout le monde, une performance technique fidèle à l’esprit originel qui m’est si cher. C’est aussi sans doute une manière de prouver qu’il reste à la hauteur malgré les apparences.
A 22h donc, je suis arrivé devant la scène. La moyenne d’âge englobait plutôt des personnes qui ne connaissaient probablement pas le Busta du début. Peu importe, ils ont tout donné, comme moi. Il a fait défiler les morceaux des albums les plus récents, et soyons honnêtes, indépendamment du fait qu’on aime ou pas, il était efficace. Le concert avançait et je restais sur cette même sensation, « même quand c’est pas mon style, je kiffe ». Seul point noir du concert, Hornet Lafrappe.
Son nouveau protégé, soit la trap musique du ghetto français à son paroxysme, qui est monté sur scène pour deux morceaux, d’après moi, de trop. Je ne m’attarderai pas sur lui, d’autant que le public dans son ensemble a aimé. Après cette parenthèse, Busta a repris le concert et là, il a posé la question que j’attendais : « est-ce qu’il y en a qui aiment les sons à l’ancienne ici » ? Tous les mecs dans la fosse on répondu d’une même voix. Une bonne vingtaine de minutes de classiques, voire plus, se sont écoulées. « Pourquoi », « Sexe, violence, rap et flooze », « le ze-dou » et surtout « Hip hop forever » ont été repris en cœur par des vieux de la vieille, des mecs de ma génération et à ma grande surprise par d’autres beaucoup plus jeunes.
Le concert s’est tu après le vacarme, ma voix aussi. C’est là que j’ai réussi à m’infiltrer dans le backstage pour discuter avec celui qui fait son job à plein temps. Crevé mais disponible, il m’a accordé une quinzaine de minutes. C’est court pour une interview mais assez long quand on n’a rien préparé. Je lui ai posé quelques questions, dont une qui me tenait particulièrement à cœur. A quoi allait ressembler son prochain projet ? Est-ce qu’on devait s’attendre à un retour aux sources ? Il m’a confié qu’il ne pouvait rien promettre, qu’il faisait ce qu’il aimait sans se poser de questions, qu’il avait mûri et qu’il cherchait à retranscrire les influences musicales diverses dont il était empreint sur ses morceaux.
Non sans m’assurer que son nouvel album, prévu pour mars 2016, serait éclectique et qu’il y aurait donc des morceaux plus old school. Celui qui était « à vingt-deux printemps, mc, dj, producteur en même temps » n’est désormais plus aux platines mais continue de produire, entre autre pour des artistes qu’il découvre (Hornet Lafrappe en est un…). Fidèle à moi-même, je l’ai ramené sur mon terrain préféré, l’underground. Ses participations récentes aux projets du Gouffre étaient de qualité et j’ai voulu savoir s’il y avait des choses en préparation avec toute cette scène parisienne. Il est resté un peu vague mais m’a livré une info croustillante : il voit souvent Sëar Lui-même, notamment en studio, et quelque chose se concrétisera peut-être prochainement.
Je me rends compte aujourd’hui que j’ai été frappé par les mots que Busta a employés : « je fais ce que j’aime». Je respecte doublement l’artiste pour cela. Je m’en doutais mais il me l’a confirmé : il fait la musique qui lui plaît, sans réfléchir à ce que peuvent penser les gens (même ceux comme moi qui n’accrochent, on l’a compris, pas à la tendance). J’ai senti qu’il était sincère en le disant. Il n’y a pas spécialement d’appât du gain derrière les choix musicaux de l’artiste, juste une volonté de faire bouger et de faire du « bon son » comme il l’a lui-même dit.
Il considérait que le rap avançait et que tout un tas de jeunes étaient en train de prendre la relève. Tout style confondus, « trap entre autres, car c’est un style qui fait partie intégrante du hip hop aujourd’hui ». Cela m’a fait réfléchir, remettre en question mes critères musicaux et me dire que l’essentiel est d’intégrer une véritable réflexion à son hip hop. D’avoir un but autre que de faire du copié-collé et de l’argent. Être dans la recherche, qu’elle soit musicale, lyricale ou les deux en même temps, même si le résultat déplaît à certains, même s’il me déplaît à moi… C’est pourquoi, en dépit des styles qu’il s’approprie dans son rap, du parcours qu’il suit et de mon avis sur ses choix artistiques, Busta Flex est et restera, au moins à mes yeux, Hip Hop forever.
Merci. C’est bien d’avoir des nouvelles de Busta.
Même si je n’ai pas du tout apprécié les titres trap qu’il a fait dernièrement. Comme tu l’as souligné le duo avec Zoxea (C’est nous les reustas) et les deux morceaux qu’il a fait avec Le Gouffre sont là pour montrer qu’il sait encore kicker comme il faut.