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[Interview] Alaclair Ensemble : « C’est un album dont vous êtes les héros ! »

Fin octobre, nous avons eu la chance de rencontrer le groupe de rap québécois Alaclair Ensemble, avant leur concert à la Bellevilloise. On a pris du temps pour vous présenter avec soin cette interview, parce qu’ils le méritent bien…

Alaclaire Ensemble est un groupe de rappeurs québécois, constitué de Vlooper, Ogden, KNLO, Eman, Maybe Watson, Claude Bégin et Mash. Ils ont à leur actif plusieurs mixtapes et EPs, ainsi que quatre albums, sans compter le dernier, sorti en septembre : Le sens des paroles (disponible ICI). Le crew, dont le premier album est sorti en 2010 (8 ans déjà ! ), se revendique post-rigodon, c’est-à-dire originaire du Bas-Canada. Ils ont beau remplir des grandes salles au Québec, ils sont venus régaler leurs fans français avec une tournée événement pour présenter leur nouvel album. On en a donc profité et bien nous en a pris ! Très belle rencontre couronnée par un live incroyable, qui a littéralement retourné la Bellevilloise, même les sceptiques et les dubitatifs (oui, on sait que certains sont circonspects quand on parle de rap québécois). Un show à leur image (qui d’autres que les chums d’Alaclair pour faire 50 pompes sur scène ? ), une énergie impressionnante, un live chorégraphié et drôle, bref un concentré de bonne humeur. Les minces (mecs) ne se prennent pas la tête et nous emmène dans leur univers : une bulle hors du temps qui donne le sourire et qui a ensoleillé notre mois d’octobre. Alaclair Ensemble, l’entreprise familiale venue du Bas-Canada, repris en coeur par un public conquis, c’est à voir sur notre Instagram ICI.

 

© Arthur Lacour
© Arthur Lacour

Votre nouvel album s’appelle le Sens des Paroles, comment vous le présenteriez en quelques mots ?

C’est notre album le plus récent.
C’est un album qui défourache de façon éco-responsable, malgré les métaux rares de nos ordis. Et nous n’avons pas pu éviter les CDs en plastique aussi.

Souvent, vos textes jouent pas mal sur l’absurde, l’humoristique, et vous n’aimez pas trop expliquer ce que vous avez écrit en interview, alors pourquoi appeler votre album le Sens des paroles ?

Nos textes sont très ouverts à l’interprétation. Par exemple, nous on ne pense pas qu’on raconte des choses drôles, on ne se voit pas comme ça. Mais, les gens donnent le sens qu’ils veulent à nos paroles, c’est comme ça que ça fonctionne pour nous.
Nos textes sont une invitation, une porte ouverte pour l’imagination des gens. C’est un peu comme les livres dont vous êtes le héros. C’est un album dont vous êtes les héros !

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Vous définiriez comment votre public ? Y-a-t-il plus de Français que de Québécois ?

On découvre qu’il y a beaucoup de français, de suisses et de belges qui nous écoutent. Et comme en terme de quantité, vous êtes plus nombreux que nous… Franchement on peut pas vraiment dire ! En terme de chiffres absolus, on en sait rien. Mais, c’est sûr que notre base est au Québec. Même quand on vient ici, on représente la maison, le Québec, on ne modifie pas nos accents. Donc évidement notre noyau de fans est au Québec. Cet été, on a fait un show en extérieur où 10 à 15 mille personnes sont venues nous écouter. Même si on faisait un show gratuit ici à Paris, il n’y aurait surement pas autant de monde.

Vous faites beaucoup de concerts, pourquoi ?

Déjà, on fait du rap de show. Notre rap est fait pour la scène, on est meilleur en show et les gens nous rappellent pour refaire des concerts.
Ensuite, au Québec, pour les artistes musiciens, il y a deux façons de gagner sa vie : en faisant des concerts ou en ayant des tubes qui passent à la radio. On ne passe pas vraiment à la radio commerciale, alors du coup pour nous c’est les shows !
Et c’est également une bonne méthode pour s’exporter…

© Arthur Lacour
© Arthur Lacour

Ce n’est pas trop dur d’être sur la route en tournée ? Vous êtes beaucoup, comment faites-vous pour tous vous entendre ?

C’est vrai que c’est assez magique, on s’entend encore super bien, tout en gardant le goût de faire de la musique ensemble. On est chanceux !
Pour ce qui est des tournées, il y a une forme de défi dans le fait de quitter le nid familial pour partir faire des concerts. Mais on sait qu’on est chanceux de faire ce métier, même quand on est mis à l’épreuve ou que nos familles nous manquent.
En groupe, on se met le moins de règles possibles, c’est carte blanche. L’entente entre nous, c’est une vraie attitude : il ne faut pas réprimer la toxicité, et même embrasser la toxicité des autres, sans se formaliser.

Pourquoi est-ce que c’est si important pour vous de préciser que vous venez du Bas-Canada ?

Parce que tout le monde semble croire qu’on vient du Canada !
Ogden : Si on me dit que je m’appelle Charles, alors que c’est Ogden, je vais rectifier parce que je préfère qu’on m’appelle par mon prénom. Eh bien, c’est pareil.
Et puis, c’est de l’information ! Pleins de gens ne savent pas qu’il y a eu une déclaration d’indépendance en 1938, même des gens du Bas-Canada. C’est un rappel factuel…


D’où vient le nom Alaclair Ensemble ?

Ensemble, ça veut dire plusieurs personnes together, groupés quoi [rires].
Sérieusement, il n’y a pas nécessairement de sens.
Mais ça vient de notre boy Mash qui a samplé un morceau qui s’appelle Claire et qui a invité les MCs qu’il avait désigné comme les meilleurs du monde. Il a choisi les best du best pour poser sur un titre qui s’appelait Alaclair All-starz et qui a donné naissance au groupe… Et depuis, on continue de faire de la musique ensemble…

© Arthur Lacour
© Arthur Lacour

Comment vous avez abordé la création de cet album ?

On a fait la même chose que d’habitude, on y a mis les mêmes choses. On a juste changé quelques habits et des sous-vêtements. Des poils blancs sont apparus et on a fait les mises à jour de nos logiciels, qui ont pleins de nouveaux features…
On est restés sur notre envie de récolter notre nouvelle énergie, donc ce sont des petits changements imperceptibles pour nous.

C’est un peu comme avoir plusieurs enfants : chaque album vient au monde dans un contexte particulier, avec son propre concept, mais finalement c’est la même équipe, la même famille. C’est pas comme si c’était notre deuxième album, on sait que ce sont nos enfants, on les a mis au monde et maintenant ils vieillissent tout seuls, vont travailler, vont à l’école par eux-mêmes…

Mais celui-là vraiment c’est notre meilleur album. C’est le meilleur album de rap francophone de cette année pour le moment. On a pas vraiment de concurrents [rires].
Sauf si Fabe ressortait de l’ombre, ou alors un album de Dany Dan.

Est-ce que vous avez été surpris du succès de ça qu’cétait ?

Oui ! [unanime]
C’est de loin notre moins bonne chanson sur la centaine de chansons que nous avons produit ces dernières années, donc que ce soit celle-là spécifiquement qui ait du succès, c’est une leçon de vie incroyable !
Les gens aiment la médiocrité…
Mais surtout, on doit remercier le youtuber Madiba, qui nous a mis sur la map et The Backpackerz qui ont beaucoup fait pour la visibilité du titre.
S/O aussi à Passi qui a relayé sur ses réseaux et à GED, le réalisateur du clip, qui à fait de la magie.

En parlant de ça, comment vous abordez la création de vos clips ?

On travaille principalement avec GED et Vincent Ruel. C’est des extensions du groupe, mais ils ne font que les vidéos, c’est la mif.
Pour ce qui est de la création, on brainstorm juste entre nous, c’est très libre, on discute avec eux et on part comme ça, c’est génial.

Comment vous choisissez les morceaux que vous clippez ?

Pareil, c’est hyper libre. Si quelqu’un à une vision particulière, on en discute. On fonctionne pas comme un groupe stratégique qui choisit ses singles avec un vrai calcul commercial. Si on clippe, ça devient un single, mais au départ, ce n’est pas calculé, c’est comme on le sent… D’ailleurs quand on nous demande un single pour le passer à la radio on leur dit mettez votre son préféré !
Par exemple, pour Ca que c’tait, c’était unanime, on voulait tous faire un truc avec. Comme dans beaucoup d’endroits, au Québec, ton single, ce n’est pas un single radio en fait, c’est un single Youtube. C’est la seule façon de faire des vues, de se faire connaitre. Du coup, on choisit le titre qui nous inspire le plus d’un point de vue audiovisuel.

© Arthur Lacour
© Arthur Lacour

Si vous deviez citer quelques noms pour faire découvrir le rap québécois, la musique québécoise à nos lecteurs, ce serait qui ?

Obia Le Chef, Brown… D’ailleurs tout le monde devrait aller checker Brown, sinon ils vont passer à côté de la fraîcheur du produit. On peut aussi citer Les Louanges, Nomadic Massive, Kaytranada bien sûr ! Ainsi que Soldia, qui est d’ailleurs le seul feat sur cet album.

Est-ce que vous suivez le rap Français ? Vous avez un avis sur la scène francophone actuelle ?

On découvre toujours des trucs…
Caballero et Jean Jass, ils font des gros beats, c’est très nice. Les gars de l’Or du Commun aussi, ils sont très cools. Donc, beaucoup de belges déjà !
On a capté Grems aussi, à Montréal, et il est très lourd.
Mais sinon, on est loin d’être des connaisseurs.
KNLO  : Moi, je me suis pris l’afrotrap de plein fouet durant la dernière tournée. J’écoute pas mal de Naza, Mhd, Keblack,
Et bien sûr, nous on a découvert le rap français avec l’ancienne école, Iam tout ça…
Avant qu’on soit en âge de savoir si on aime ce qu’on écoute ou pas, j’écoutais déjà Passi, donc on aime beaucoup Passi aussi. Et Mauvais Œil de Lunatic est toujours un classique.

On écoute aussi bien la variété française que le rap d’ailleurs. On aime beaucoup Jacques Brel, on l’a beaucoup « échantillonné » [samplé]. On écoute toujours les trucs que nos parents avaient en vinyls : Brel, Aznavour, Michel Legrand, …
Oh, et il y a le musicien Cortex ! C’est un mec incroyable ! Il a fait de la musique, c’est l’un des meilleurs trucs à sampler au monde, il y a pleins d’américains qui l’ont samplé d’ailleurs : Wiz Khalifa, Rick Ross, Madlib, etc. Il y a un documentaire sur youtube : Hunting for rappers (ICI), qui parle de ça, où le mec cherche qui l’a déjà samplé et qui le paye bien. Genre Rick Ross paye bien, Currensy, j’ai pas de réponse… C’est juste incroyable.

Petite question bonus :
Si vous deviez composer une équipe de basket all stars d’artistes québécois, vous sélectionneriez qui ?

Win Butler, d’Arcade Fire (il a même été MVP). Mike Shabb, Chris Boucher aussi.
Mitch Todorovitch serait notre porteur d’eau, les Blood Brothers pour annoncer les five starting avec de la fumée et des effets spéciaux. Et le Roi Heenok, comme coach, non, comme propriétaire de l’équipe !

© Arthur Lacour
© Arthur Lacour

 

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