Dans ce cas précis, le sens des mots a son importance. Lorsqu’on dit beatmaker, on pense à un mec qui va collaborer avec un rappeur. Il va juste chercher à placer ces sons alors qu’un producteur va plus chercher à diriger.
Ce n’est pas aussi tranché parce que tu as plusieurs façons de travailler. Il m’est arrivé de filer une prod à un mec et de lui dire « allez vas-y fais ce que tu veux». L’autre façon de faire, c’est de bien choisir la production que tu donnes parce que tu connais bien le gars avec qui tu collabores. Ensuite, et c’est le plus important, tu récupères les voix une fois que le gars a terminé. Ça te donne la possibilité de reconstruire le morceau avec les voix. Crois-moi, ça fait une énorme différence.
Entre le mec qui va juste poser sa voix sur le morceau que je lui ai filé et le mec qui prend la peine de me renvoyer sa voix. Moi derrière, je vais pouvoir travailler sur toute la structure. En fonction du morceau, je peux changer le ton. Je peux mettre des breaks. En bref, je m’adapte à la voix. Mais tout dépend de la relation que t’as avec le gars et s’il te laisse la liberté de le faire.
Un morceau, c’est une rencontre donc il y a forcément un aspect humain qui rentre en compte.
Là où je veux en venir, c’est par exemple un mec comme toi qui fait désormais de l’abstract hip hop – au passage je ne suis pas très fan de l’étiquette.
(il coupe) Ouais tu peux dire « hip hop instrumental » aussi. Après ce qui est bien avec l’abstract hip hop, c’est que le nom suggère les envolées un peu bizarres qui collent au genre. Tu n’es pas simplement dans les morceaux bien lourds. Après, ça reste une étiquette.
C’est peut-être une vision réductrice mais est ce que ce n’est pas plus difficile de s’exprimer quand tu travailles avec un rappeur ? Dans le rap, la voix et le rappeur prennent toute la place aux yeux du public. Difficile de s’imposer dans ces conditions non ?
Je suis d’accord avec toi mais regarde j’ai fait un album récemment avec un rappeur US qui s’appelle Lord Lhus. On s’est bien mis d’accord sur le fait que les idées seraient partagées. Par exemple, je lui présentais un beat et je lui disais j’aimerais que tu parles de ça dessus. C’était un beat avec une vielle trompette, des samples qui montent où on dirait des mecs qui se font percer les tympans donc je lui ai dit on parle de ça sur le morceau.
En l’occurrence, c’était un album commun donc c’est normal que chacun apporte sa patte. D’ailleurs, on sent bien l’alchimie entre vous deux sur cet album.
Moi, c’est ça qui m’intéresse. C’est aussi pour ça que je fais moins de collaborations.
D’où ma question… Je l’ai surement mal posé donc je vais la résumer. Une fois que t’es passé dans l’abstract hip hop, tu es dans la composition pure. Par composition pure, on veut dire que ce sont tes idées, tes sentiments que tu retranscris dans tes morceaux. Est-ce que ça ne va pas être difficile de revenir à une production classique où tu bosses avec voire même pour un rappeur ?
Comme je te disais, je prépare un album avec mon groupe Droogz Brigade. C’est un album avec des morceaux assez conceptuels. On a 17 titres mais je peux te donner des exemples de sons. Il y a un morceau qui s’appelle L’œil d’Alex où on parle du côté malveillant. C’est une référence directe à Alex d’Orange mécanique. J’ai fait une instru qui part dans ce délire-là. On a un autre son qui s’appelle Les Feux De La Bourre où t’as des jeux de mots bien dégueulasse. Pour ça, j’ai été samplé directement dans le porno des années 80. Des gros sons discos avec des respirations et d’autres trucs qui font la rythmique… (il mime le bruit de chair qui claque et se marre) C’est ce qui est cool avec mon groupe, c’est qu’on partage des idées et ce ne sont pas les derniers à en avoir. On va donc plus loin que dans la simple relation où tu places un beat et vas-y démerde-toi.
En même temps, c’est ton groupe. C’est un peu la maison.
Je vais faire pareil avec un rappeur US bientôt. Là où je te rejoins, c’est que maintenant mes beats ne sont plus assez efficaces pour un rappeur. Je ne sais pas si tu captes pourquoi plein de rappeur m’en demandent. Un moment, je voulais faire le beat lourd qui va te faire hocher la tête et qui va être parfait pour un rappeur.
Ouais carrément, une puissance dans le beat qui me fait penser à Alchemist. D’ailleurs je suis surpris que tu ne le cites pas comme une référence.
C’est un maitre et une influence mais il a un groove que je n’arrive pas à reproduire. Tu devrais écouter I.N.C.H. Pour moi, c’est son digne héritier. Alchemist, il a ce côté décalé et lourd à la fois. Je ne sais pas comment il fait ça. En plus dès qu’il sort un morceau, tu sais que c’est lui. Pourtant le mec n’a cessé d’évoluer mais il a toujours sa patte. Impressionnant. Pour revenir à ta question, qui tu mettrais dans la catégorie producteur et qui tu mettrais dans la catégorie un beat-maker ?
Maintenant que tu poses la question, c’est vrai que c’est assez chaud de répondre…
Comme je te disais, je ne connais pas un producteur qui n’est pas tenté de s’exprimer par lui-même un jour. D’ailleurs, je vais taffer sur pas mal de collabs avec des beatmakers cette année
Ce n’est pas un peu compliqué de faire des beats à deux ?
Ben écoute avec Alex [I.N.C.H], on y arrive super bien. C’est pour cela qu’on bosse ensemble.
Pour en revenir à l’album, j’ai lu une interview avec les mecs de Reaphit où tu évoquais Let The Ghosts sing. L’album n’était pas encore sorti et tu disais rechercher un son plus organique dessus. Tu penses avoir réussi ?
Je ne sais pas. A toi de me le dire. C’est clairement ce que je voulais faire. Prends un morceau comme Stop crying où tu as plein de bruitages assez étranges (il mime). C’est vraiment viscéral. Le but était d’aller un peu plus profond dans mon colon. (rires)
Si je te dis que la conception d’un son, c’est avoir l’idée, la création et par création j’entends la recherche de sample et sa composition et enfin le mixage. Ça te parait correct ?
C’est clair ! Le mixage fait partie intégrante de la création. Même quand je vends un son et que j’envoie les pistes séparées, je laisse les effets que j’y ai mis. En faisant ça, je laisse volontairement moins de marge de manœuvre à l’ingé son. Vraiment, la façon dont tu compresses tes batteries, la façon dont tu filtres tes samples ou comment tu agences tes sons, tout cela n’est pas nécessairement fait pour que ça sonne bien. Parfois, j’ai des sons qui sonnent crades et pas dans le bon sens du terme mais ça définit clairement les textures du son et donc par extension, ça définit mon son. Les textures, c’est une grande partie de l’identité d’un morceau. Avec les textures, tu peux faire sonner un morceau de pleins de manières différentes. C’est là que ta manière de voir la musique va s’exprimer.
Quand tu parles un peu avec des beatmaker, c’est généralement la partie du mixage qu’ils craignent le plus…
Le mixage demande un lieu neutre au niveau acoustique. Ce qui sort des enceintes ne doit pas être altérés par son environnement. Cela veut dire que cela se fait dans des bons studios avec des grosses enceintes monitoring. C’est des gros moyens Aujourd’hui avec les moyens modernes, tu as des gens qui font ça dans leur chambre et qui font ça super bien. Je ne pense pas en faire partie. Ma façon de mixer n’est pas très académique et pourrait passer pour du mauvais mixage. Parfois, le côté un peu maladroit du mixage me fait plus kiffer que des productions hyper léchées. Par exemple, Insomniac Olympic de Blockhead, c’est un morceau bizzare aux yeux de plein de gens. C’est pour ça que j’adore ce mec. Ces sons sont déglingués et pas très propres mais au final ils transpirent d’émotions.
D’ailleurs tu parles souvent d’un mec comme Venitian Snare comme d’une influence majeure.
On a écouté et on a bien apprécié. A l’image de ce que tu disais pour Blockhead, c’est assez spéciale au niveau des rythmiques notamment…
(il coupe) C’est le breakcore. Ils sont perchés les mecs !
Ça s’entend clairement… Du coup, comment ce mec-là t’influence concrètement pour tes morceaux. Je crois que tu as pris une partie de Venitian Snare sur un des tes morceaux sur Let The Ghosts Sing ?
Pas exactement. En fait, Venitian Snare fait ce que l’on appelle du breakcore. C’est entre la Jungle vénère et la musique breakbeat. En hip hop, tu as des breakbeats qui sont classiques.