Beatmakers Interviews

[Interview] Al’Tarba : « Empiler les samples, c’est ma façon de travailler. »

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Genre l’Amen Break

Ouais par exemple. Celui-là est beaucoup utilisé en breakcore, c’est même un classique.
T’as des breakcoreux qui ont passé 10 ans à retourner dans tous les sens l’Amen Break. Sur deux morceaux dans Let The Ghost SIng, j’ai moi aussi trituré l’Amen Break façon breakcore. Je ne prétends pas être un breakcoreux pour autant parce que c’est un truc qui se taffe sur des années. Mais pour revenir à Venitian Snare, il a fait un album au nom imprononçable parce que c’est dans sa langue mais il va te prendre des samples de classiques ou de vieux jazz qui sont superposés à du breakcore. Il arrive à mélanger ces ambiances super tristes à l’énergie du break et ça donne ce truc un super étrange. Après, tu as plusieurs types de breakcore. Tu as la version un peu barbare avec des gros synthés et t’as le délire à la Venitian Snare avec un côté plus soft.

Il y avait déjà des passages un peu Jungle sur Lullabies.

Ouais mais là j’ai été beaucoup plus loin dans la démarche. Sur Lullabies, j’avais fais ça en fin de morceau pour me marrer. Très clairement à ce moment-là, l’influence c’était Chinese Man et RJD2
J’essaye un peu de me détacher de cette influence-là. Chinese Man, beaucoup les cantonnent à ces voix de cartoon pitchés mais ils ont fait beaucoup de bons trucs. Ils m’énervent tous ces gens qui écoutaient Chinese Man et qui maintenant les dénigrent en disant « c’est trop facile. »

La musique a toujours fonctionné comme ça. On brule aujourd’hui ce qu’on a adoré hier.

Je ne comprends pas ça. La phrase « j’écoutais ça quand j’étais jeune » par exemple.
C’est pas de la merde cette phrase?! Perso ce que j’écoutais il y a 5 ans, je l’écoute toujours. Je l’écoute peut-être différemment mais j’écoute toujours. A part la dance, je n’ai pas peur d’assumer mes gouts d’avant.

Qu’est-ce que tu penses d’un mec comme Wax Tailor ?

J’aime beaucoup. De ce que j’ai écouté, ces deux derniers albums sont un peu plus gentils mais ça reste une influence que je ne peux pas renier. Ces deux premiers albums m’ont mis une grosse baffe. Surtout le premier. Comment il s’appelle déjà ?

Tales of the forgotten melodies

Ouais c’est ça ! Rien que le nom déjà, c’est magnifique.

C’est un peu le même mode de carrière que toi non ? A savoir un démarrage dans le hip-hop puis une émancipation vers une musique plus instrumentale. Tout cela avec un certain succès dans les deux domaines.

J’ai un côté un peu plus vicelard quand même. Après en termes de carrière, je pense qu’on n’est clairement pas du même level. On ne doit pas avoir les mêmes comptes en banque non plus (rires).
Même au niveau de la reconnaissance, il est loin devant et c’est mérité. Il a quand même ouvert une porte à tout un tas de beatmaker comme moi, Chinese Man, Hugo Kant ou Kognitif. On est beaucoup sur ce terrain-là.

Justement, tu ne trouves pas qu’il y a un manque de culture beat ? Est-ce qu’il n’y a pas un manque de reconnaissance flagrant du producteur dans le rap ?

Dans le rap peut-être. Après tu as des labels comme Jarring Effects qui sortent des producteurs abstract depuis des années donc manque de reconnaissance non. C’est vrai que ce n’est pas un public rap mais les deux peuvent se rejoindre. Moi ce que j’aime par-dessus tout en live, c’est quand t’as les quinze mecs en capuche devant qui sautent partout et qui foutent le bordel en réclamant le beat de La Tête Dans La Baignoire ou Piége à Loups

D’où vient ce manque de reconnaissance qu’on peut constater dans le public français autour des producteurs ? Si tu regardes aux US, ils ont un culte du producteur. Là-bas, DJ Premier ou Alchemist font vendre des disques. Parfois plus que les rappeurs pour lesquels ils produisent. En France, on en est encore loin.

T’as toujours un décalage entre les US et la France. Rien ne dit que ça ne viendra pas. En France, t’entends de plus en plus parler des beatmakers. Regarde un gars comme Mani Deiz. Maintenant, tu peux voir en gros son blaze et ça va attirer des mecs. Avant, si le nom du producteur était écrit dans les crédits, c’était limite un exploit. Je pense que ça change dans le bon sens.

Ce n’est pas faux ce que tu dis mais au Rap en France, on est persuadé qu’il y a un manque de visibilité certain autour des producteurs. Dans les chroniques d’albums par exemple, les chroniqueurs vont se focaliser sur le rappeur et négliger le producteur alors que le mec fait 50% du taf.

C’est au producteur de savoir se mettre en avant aussi. A un moment donné, j’ai fait le choix de sortir un album sous mon blaze. Je n’étais pas le premier à le faire en France mais on n’était pas nombreux à l’avoir fait à ce moment-là. C’est une question de volonté et je pense que les producteurs l’ont bien compris. Ce n’est pas pour rien si tu as pas mal d’albums de producteurs qui sortent où tu vois les rappeurs apparaitre en featuring. L’autre chose c’est qu’avec Internet, tu peux vite savoir qui fait quoi sur un album ce qui n’était pas le cas avant. Par exemple, un mec qui poste une vidéo Youtube et qui ne met pas mon nom, je vais lui demander de le mettre gentiment, sans le matraquer (rires).

C’est marrant, je ne m’attendais pas trop à cette réponse. De l’extérieur, on a vraiment l’impression d’un effacement du producteur. On a peut-être une vision faussée.

Franchement, je ne fais plus trop de rap mais si je devais y revenir ce serait vraiment sous mon nom propre. Ce n’est pas juste une question d’égo ou de narcissisme. J’insiste là-dessus mais ça doit vraiment venir d’une prise de conscience des beatmakers. Comme tu dis le producteur fait 50 % du taf donc s’il veut être reconnu pour ça, il faut qu’il fasse les efforts au bout. Faire des collaborations avec plein de rappeurs c’est bien mais si ton nom n’apparait pas, à quoi ça sert ? Si ton nom apparaît à chaque fois, les gens pourront te suivre et t’identifier avec les featurings. C’est un peu comme suivre une rivière. C’est ça qui crée une œuvre aussi. Après quand je dis œuvre, ça peut paraître présomptueux. Personnellement, j’adore suivre les artistes via leurs œuvres. Voir la cohérence ou l’évolution d’un mec dans le temps plutôt qu’écouter un morceau à gauche à droite. Dans le rap, les albums que je kiffe en général  sont ceux où tu ne vas trouver qu’un seul beatmaker.

Question de cohérence?

C’est ça ! L’album devient un peu comme un livre. Tu as un univers qui se dégage. En même temps, je dis des conneries parce que t’as des albums avec plein de beatmaker mais qui sont aussi de pures tueries. C’est une question d’alchimie. Ce genre d’album, soit c’est des gros classiques soit c’est des trucs bien pourris.

Pour en revenir à l’album, tu disais que tu le voulais plus organique. Il y a effectivement des passages où on le ressent. Ces passages sont d’ailleurs bien trippants. Du coup, la question qu’on se pose c’est comment tu défends l’album en live ?

Je t’invite à venir voir par toi-même (rires). En live, la formule c’est moi qui envoie mes instrus et qui rejoue les samples par-dessus. Je suis aussi aux effets. Tu as Dj Nix’on qui envoie les scratchs et qui fait un gros taf. Je lui passe un Big Up d’ailleurs. Pour te donner une idée, on a un morceau qui s’appelle The Maliniant où tu as une chanteuse qui s’appelle Camille Sefiya qui a posé. Ce qu’on a fait pour le live, j’ai pris des piste séparées de Maliniant que je retriture. On a pris l’acapella de Camille et Nico va scratcher à tous les moments clés de la chanson. Il y a une part d’improvisation comme il a les voix sous les mains ce qui fait que n’entendras jamais deux fois le même morceau. En plus de ça, tu as un Vjay qui s’appelle DJ Tom’s. Il va balancer des images qui vont raconter une histoire. Notre but dans ce set, c’est vraiment de raconter une histoire. On a sélectionné quinze morceaux dans ma discographie. Ça commence dans le dark puis ça part vers vers le cartoon pour replonge dans le dark. Contrairement à de l’électro ou de la techno, il y a un vrai fil conducteur.

Cela suppose une vraie préparation. Est-ce que tu as pensé au live quand tu as composé l’album et si oui est ce que cela t’a influencé dans ta manière de le composer ?

J’ai fais ça un moment surtout à l’époque de Lullabies. Je le fais moins maintenant. J’ai assez de choix dans ma discographie pour ne pas penser à ça. Le but de ce set, c’était effectivement de mettre le maximum de morceaux du nouvel album. Ça donne un set moins dansant mais un bon live ce n’est pas forcément celui qui fait danser les gens. Le but c’est vraiment de raconter une histoire. Soit les personnes rentrent dedans, soit ça leur casse les couilles. On essaye de faire ça suffisamment sérieusement pour que même ceux qui n’entrent pas dedans apprécient l’effort. L’important, c’est de nous faire jouer à la bonne heure. Si on passe après un groupe de dubstep énervé, c’est un peu compliqué.

À proposZayyad

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