Peux-tu m’expliquer en quelques mots, pour ceux qui ne connaîtraient pas, qu’est ce qui se cache derrière « La Canaille » ?
Moi, je définis la Canaille comme un projet artistique où j’écris les textes et où je m’entoure aussi de musiciens. Du coup, la formation musicale qui est derrière moi à chaque album peut changer. Moi, je m’entoure de musiciens qui peuvent être touchés par ce que j’écris et qui se disent « Voilà, moi j’ai envie de défendre ce propos-là ». C’est ce qui en fait un projet artistique collectif, dans lequel je suis le référent. Je l’ai monté en 2003 et il n’y a qu’une seule garantie, c’est que j’écrive tous les textes.
Justement, le processus de création d’un morceau, c’est une impulsion de groupe, ou l’étincelle vient de toi, à la base ?
Le texte, c’est vraiment ma partie. C’est-à-dire que personne n’a droit de regard dessus. C’est ce que je dis, ce que je ressens, ce que j’ai envie d’exprimer. Après forcement, on débat entre nous. Ce n’est pas une dictature. Ce n’est jamais arrivé que j’écrive un texte et que les gars viennent me dire « Ouais, Marc, j’me reconnais pas dans ce que tu dis… » donc on tombe vite assez d’accord sur le texte. Et après la musique, ça fonctionne en deux temps. C’est-à-dire que j’ai besoin d’une petite atmosphère, d’un petit thème musical qui va m’aider à développer un imaginaire, qui renforce la thématique que j’ai envie de traiter. Je vais commencer à élaborer la pensée et une fois que j’ai fini, on peut passer à la deuxième phase musicale, c’est-à-dire l’arrangement. On se dit « Okay, on a ça comme matière au niveau des mots, comment on va trouver le meilleur moyen pour que ces mots résonnent ».
Donc le morceau se construit vraiment autour de ton écriture ?
C’est ça, d’abord il y a une petite boucle musicale, un petit climat qui va me permettre d’écrire, parce que je n’écris jamais sans son. Après, on rentre dans le lard de la musique, on rentre dans les arrangements et là, ça peut prendre plus ou moins longtemps. Il y a des morceaux, on fait 3 instrus avant d’être contents, puis y’en a d’autres d’entrée de jeu, dès la première ébauche, ça nous convient , on garde ça et on explore un peu plus loin pour finir le titre, quoi.
D’où tires-tu ce goût pour le réel ? D’où te vient cette inspiration ?
Je pense que ce sont aussi les influences artistiques qui m’ont vraiment touché quand j’étais plus jeune et qui me parlent toujours d’ailleurs. Moi, les plumes et les artistes qui vont me toucher, je vais pouvoir me reconnaître dans ce qu’ils décrivent, dans leurs pensées, dans leurs coups de gueules, leurs histoires. En gros, ce sont des clefs de lecture sur le monde et moi c’est ça que j’attends de la poésie. C’est-à-dire que j’aime la poésie quand elle a les pieds collés dans la réalité. Elle peut être plus ou moins métaphorique mais il faut que ça me parle d’ici et maintenant, tu vois ? Moi, mon énergie quand j’écris, c’est une énergie qui est contre. Contre l’industrie du divertissement, contre ce capitalisme exacerbé, contre la facilité… J’essaye d’être le plus exigeant possible. Et d’abord par rapport à moi. Quand j’écris, c’est d’abord une torture. Je suis sans-pitié avec moi-même. Avant de finaliser un texte et de me dire « Ok, ça me représente », ça peut mettre plus ou moins longtemps. Mais au final, c’est ce que je dis dans un morceau qui s’appelle Décalé, le temps que tu mets à écrire, il importe peu, ce qui importe, c’est le rendu final. Alors après, qu’il ait été écrit en deux/trois jours ou trois mois, on s’en fout.
Pourquoi t’exprimer par le biais du rap ?
Le rap, c’est mon entrée dans la musique. Parce que je devais avoir treize ans quand je suis rentré dans le rap. Dans la cité dans laquelle j’habitais, c’était la musique des grands frères, tu vois ? Puis moi, ça m’a tout de suite touché parce que ça décrivait ce que je vivais. Les conditions de vie, les états d’âme, les colères, les peines, les joies, cette ambiance de quartier… Je me reconnaissais pleinement dans ce que cette plume du bitume décrivait. A tel point qu’à un moment donné t’en as gros sur la patate donc tu commences à écrire quelques textes juste comme un exutoire, parce que t’as un trop plein et que t’as envie de le poser. Puis après, Il y avait des MJC, on nous avait mis des platines, on a commencé à mettre ces textes-là en musique, sans trop d’ambitions mais juste pour le kif. Et de fil en aiguille on s’est professionnalisé et on en arrive à ce troisième album de la Canaille. Voilà. Mais ce n’était pas un choix d’entrée de jeu. Je ne me suis pas dit à un moment donné « Okay, j’vais en vivre. » d’abord c’était avant tout un besoin de lâcher les choses sur papier. Ça fait du bien de les cracher, ton fardeau s’allège
Et le rap est le meilleur moyen d’expression pour ça ?
Moi, ce que j’aime dans le rap, c’est que c’est quelque chose qui est propre aux quartiers populaires. C’est propre à nous. Quand je dis nous, ce sont tous ceux qui sont issus des quartiers populaires. Et j’aime bien ça. J’attends du MC qu’il me redonne de la dignité. C’est-à-dire que quand il monte sur scène, je veux me reconnaître dans ce qu’il dit, dans ce qu’il fait. Et puis j’aime le texte, forcément, c’est la raison pour laquelle je suis rentré dans le rap, mais j’aime aussi le groove. Cette rythmique, tu vois [Il claque des doigts] cette façon de bouger de danser, le côté un peu crade, le côté « on a jamais fait de solfège, mais on fait du bruit quand même avec des machines, on se démerde. » Je pense que je serais né dix ans avant, j’aurais été punk. Pour moi, le keupon et le peura, c’est la même énergie de base, c’est « Fuck ! ».
Dans une interview pour Rue89 avec le guitariste Serge Teyssot-Gay , tu disais ne plus te reconnaître dans la musique engagée actuelle car elle avait perdu cette notion revendicatrice.
Ça c’est la retranscription des journalistes, je n’ai pas dit ça. Ce que je pense c’est qu’effectivement, dans le rap ce qui est mis en avant, mais ça c’est propre à toutes les musiques, ce n’est pas la qualité. Si tu veux de la qualité, si tu veux du contenu et de la forme, c’est les projets que tu dois chercher, tu dois être curieux.
Mais elle existe encore, cette scène subversive et révoltée ?
Ah bien sûr ! Simplement, ce n’est pas du tout celle qui est mise en avant. Là où est le problème, c’est que l’on est dans l’hégémonie de la culture du divertissement. Moi ça ne me dérange pas qu’il y ait du divertissement bête et méchant mais ce qui me casse les couilles c’est que ce divertissement écrase tous les autres styles de musique, toutes les autres propositions artistiques. Et du coup, tu n’as plus de moyen de t’exprimer. Et ça c’est une dictature. Je m’élève contre ça ! Après, qu’il y ait une proposition artistique pour ceux qui ont fini leur journée de travail et qui ont envie de se détendre, sans souci ! De toute façon, la musique est là pour ça. Il y a plein de styles, c’est fait pour plein d’oreilles différentes. Mais là, en ce moment, on est vraiment dans une dictature de ce divertissement-là. Si tu ne te places pas comme ça, putain c’est la guerre pour avoir de la visibilité. C’est ça qui est insupportable.
C’est ce que tu dis dans des morceaux comme Salle Des Fêtes ou Décalé.
Ouais exactement ! Ce que je dis, c’est que je n’en ai rien à foutre. Je suis décalé, entièrement, sans réserve. Vous avez beau continuer à faire vos saloperies, je ne vais pas craquer, je ne veux pas rentrer dans cette direction-là. Alors que je sais que ça aurait pu être beaucoup plus facile de défendre un projet quand t’es dans un truc consensuel. Forcément, quand tu as un projet subversif, il ne faut pas t’attendre à ce qu’on te déroule le tapis rouge.