A l’occasion de la sortie de l’album de Davodka intitulé Accusé de réflexion et disponible dans les bacs depuis le 3 novembre dernier, nous sommes allés rencontrer l’artiste dans les bureaux de Musicast histoire d’en savoir un peu plus…
Quand tu te présentes aux médias et aussi dans tes textes, tu parles beaucoup du fait que tu es originaire du 18ème arrondissement de Paris. En quoi c’est si important pour toi ?
Berceau d’enfance représentatif de la culture Hip-Hop, puis je suis fier du terroir comme les anciens disent. C’est un quartier très Hip-Hop avec le graffiti, le rap, et il y a eu des belles têtes : Assassin, la Scred Connexion et beaucoup d’autres…
Tu y habites toujours aujourd’hui ?
J’ai déjà habité à Stalingrad dans le 19ème puis j’ai déménagé à Pantin puis dans l’est, à Strasbourg. J’ai abandonné la vie parisienne et le stress parisien pour des contrées lointaines. Je remonte souvent quand même, le week-end je suis là, j’ai mes potes et mes repères ici. Mais en ce moment j’ai besoin de mener ma petite vie de famille tranquille.
Quand tu as commencé la musique, c’était en crew avec « Paris Pôle Nord Crew » et « Mentalité Son Dangereux » pour ensuite te diriger vers une carrière solo. Cette formule est la bonne ou tu te reverrais éventuellement rapper à nouveau en groupe ?
Je suis parti en solo, mais dans un sens j’ai toujours des personnes qui sont avec moi. J’ai un label qui s’appelle « Le verre 2 trop », à l’intérieur il y a un crew de Suisses, il y a Aslan qui est un beatmaker Belge, Anka, qui est à la tête du booking et manager, il y a aussi Mano et des potes d’enfance comme Nico L’Salop… Beaucoup de monde !
La passion est là, l’entourage est là, le partage aussi. C’est juste que le titre et quelques personnes ont changées. Travailler tout seul c’est un peu emm****** et puis il y a beaucoup de périodes de doutes et à ce moment-là c’est important d’avoir les potes.
Et il y a aussi cette notion de « fait-maison » qui est très importante ?
Oui, c’est ça aussi. On a tous appris sur le tard et en autodidacte. Être polyvalent sur les instrumentales, sur les textes, se lancer aussi dans les clips, les montages, on a touché à tout même si chacun a son domaine. Mais au moins on sait de quoi on parle quand on se dirige vers d’autres personnes.
Toi-même tu fais un peu de tout dans tes projets, le mixage, les intrus, … Tu as ce besoin, cette envie de tout contrôler ? Tu arrives quand même à déléguer ?
J’arrive de plus en plus à déléguer, mais la vérité c’est que j’ai toujours voulu être au contrôle de ce que je dégage dans la musicalité en tout cas. C’est important d’avoir sa propre couleur. Et puis je suis un passionné, les instrus je kiffe ça, ça fait des années que j’en fait. C’est artisanale, ça me plait. Par exemple j’ai monté les clip Le couteau dans la paix, Le verre 2 trop ou encore La guerre du condamné et Coup de poker qui est franchement horrible à regarder…
Pourquoi tu dis ça ?
Il est super mal monté, ça se voit que ce n’est pas un pro qui l’a fait. Je me suis lancé, j’ai voulu essayer. Au moins j’ai touché à tout, je sais de quoi je parle mais c’est pas mon domaine. On ne peut pas exceller dans tout.
Tout ça en indépendant
Bien sur, tout ce que je viens de te citer. À cette époque là, c’était une seule et même personne : moi. Un poing c’est tout, c’est moi qui l’ai mixé en entier, L’art tisan aussi, La Mise au poing j’avais délégué à un pote du groupe l’Uzine et pour le quatrième j’ai délégué au Studio planète en Belgique qui mixe aussi Caballero & Jeanjass pour la référence.
La notion « d’indépendance » signifie quoi pour toi concrètement ?
Maîtriser tout sans suivre de directives, faire ce que toi tu aimes. C’est là où ta couleur ressort le plus. À partir du moment où c’est toi qui gères la façon dont ça va être amené, exposé, créé, c’est bien, c’est important. C’est ma vision. Après s’il y en a qui aiment être un peu plus maternés, c’est leur choix. Chacun dans son style.
Donc dans ton projet Accusé de réflexion sorti le 3 novembre dernier, il y a un featuring avec Melan…
Oui du groupe Omerta Musik de Toulouse. On s’était déjà croisés à La Dynamo à l’époque, puis on a eu l’occasion de se retrouver sur des freestyles genre Machine à écrire, remix de Lacraps, et on s’était revu sur une scène en Bretagne si je me rappelle bien; et c’est là où le feeling est vraiment passé. Je savais que nos musiques se correspondaient, mais j’aime bien connaître l’humain avant d’entamer un feat, et je suis très content de l’avoir sur le projet.
On retrouve également Demi Portion sur le projet
Oui c’est vraiment un honneur pour moi de l’avoir sur le projet. Il a donné beaucoup d’amour avec son Demi-festival… Comme je le dis à chaque fois, les personnes que j’invite sont les personnes que j’aurais voulu connaître même en dehors du son.
Il est lui aussi très représentatif de cette scène indépendante…
C’est pour cela aussi que je suis très fier de l’avoir sur l’album. C’est un des indépendants qui a perduré pendant des années, juste avec sa passion. C’est un peu l’image que j’aimerais aussi avoir. Cette envie de perdurer dans le temps, juste en faisant ce qui me plait.
Tu dis dans un de tes morceaux, Fusée de détresse : « J’nique les médias car je n’les apprécie guère, ce ne sont que des vipères », « Ici un SDF qui meurt dans le froid n’est qu’un fait divers ». Quel rapport as-tu avec les médias en général et plus particulièrement avec les médias spécialisés en musique ?
Je ne suis pas très télé, pas très radio à la base. Cette surexposition promotionnelle sur un projet, de me montrer et tout, c’est quelque chose d’assez gênant pour moi parce que je suis quelqu’un de très discret. Là je fais un effort pour donner un peu des ailes à mon projet mais c’est vrai que c’est quelque chose que je tente sans savoir encore si ça me correspond totalement…
Je suis un peu comme un gosse qui ne sait pas où il va, mais je ne peux pas dire que je n’aime pas tant que je n’ai pas goûté.
Tu as déjà un peu un avis ou pas encore ?
Pour le moment ça va, j’ai été bien accueilli. Les ambiances étaient bonnes. De toute façon si ça se passe mal ça sort pas. Ça dépend de plein de trucs, si c’est trop perso, si on me parle de musique ou pas…
L’instru de ce morceau dont on parlait, Fusée de détresse, a été très appréciée sur les réseaux sociaux.
Mitigé… C’est moi qui suis à la tête de cette instru, c’est un genre d’hybride entre le boom-bap dans un sample, mais c’est aussi une rythmique plus moderne comme ce qui se fait dans la trap. Ce que j’aime bien dans le sample c’est qu’il y a déjà une âme…
Et dans les prods tu es très inspiré par la musique classique, ça te vient d’où ?
La musique, c’est pouvoir faire passer des émotions sans parler. La musique classique c’est piano, violon… C’est très mélancolique. Je me retrouve beaucoup chez les pianistes comme Chopin, tout ce qui est époque baroque aussi, Vivaldi… Je peux en écouter même sans faire d’instrus avec. J’en écoute beaucoup.
Tu es aussi très fan de cinéma il me semble, des films t’ont inspirés sur ce projet ?
Assez fans de cinéma français oui, les années 50-60. V pour Vendetta m’a beaucoup inspiré sur Accusé de réflexion. Par rapport au clip, tout le monde a dit qu’il s’agissait des masque d’Anonymous, mais non, la référence c’est V pou Vendetta. À la base c’est même la représentation théâtrale des masque de Fawkes qui avait fait un coup d’état en Angleterre.
Toi qui manie très bien la langue, tu accroches avec ce qui ce fait actuellement ? Ou les textes ne sont plus tellement importants ?
Je n’accroche pas du tout avec ce qui est diffusé en masse actuellement. Je ne m’y reconnais pas. Je trouve qu’il y a peu de sentiments, que l’on s’enjaille beaucoup plus et qu’il n’y a pas de fond. Après voila chacun ses goûts, j’ai plein de potes qui écoutent et ce n’est pas pour cela qu’on se fout sur la g***** tout le temps (rires). Moi j’aime quand il y a du fond et de la forme, ça me marque plus.
Après un Fianso sur Je suis passé chez So c’est actuel dans la musicalité et ça me plait. Caballero & JeanJass aussi ça me fait kiffer… Double Hélice 2 c’est assez actuel. Comme quoi il y a quand même des barrières qui se cassent. Je suis quand même assez ouvert même si j’ai toujours du mal à franchir la ligne de l’auto-tune qui est trop synthétique pour moi.
Et l’image ça passe vraiment après pour toi, ce n’est pas quelque chose sur laquelle tu souhaites t’étendre ?
Oui ça passait beaucoup après et je me suis toujours caché. Avec mon groupe MSD on avait un rituel, chacun se cachait. Un avait une capuche, l’autre un casquette et le troisième un masque. J’ai gardé ça au fil du temps en faite. Je m’en suis séparé juste pour cet album et depuis le feat avec Swift Guad qui s’appelait Ma gueule où le thème s’était de montrer sa gueule… Je me souviens que le jour où je l’ai tourné je suis arrivé avec capuche/casquette, on m’a demandé d’enlever et je l’ai fait. J’ai beaucoup aimé le rendu. Du coup au final, bas les masques. Je suis à l’aise et j’arrive plus à exprimer des sentiments au final.
Lors de ton passage dans « Le Cercle » tu t’es quand même un peu caché
Oui parce que c’est une grosse visibilité, mais au final on voit ma tête quand même. Comme quoi on ne se refait pas (rires) !
Quand on parle de ton nouveau projet, on parle de « prise de maturité ». Ça te plait ? Tu penses que c’est juste ?
C’est une chronologie, on grandit mine de rien. J’approche la trentaine, c’est quand même bien !
Et il y a des sujets abordés qui ne l’étaient pas avant
Il y en a beaucoup. J’ai même fait un titre presque enfantin, plus marrant, Flemme olympique, dans lequel je me fou littéralement de ma g*****. Je parle des journées au cours desquelles j’étais chez moi entrain de galérer et de ne rien faire. Mon petit sens de l’auto-critique et quelques rictus. On retrouve aussi de l’égotrip parce que j’adore faire ça. Des thèmes aussi. On parlera d’alcool parce que c’est toujours là.
Je ne voulais pas faire comme ce que j’avais déjà fait avant. Du coup je me suis élargi au niveau du panel de prods. Il y a même de la trap à l’intérieur, notamment avec le son Egotrap qui est un morceau anti-clichés sur la trap mais sur une prod trap qui a été faite par mes soins. C’est un des morceaux sur lequel je kiffe le plus rapper sur scène.
Il y a aussi le morceau Amour, gloire et beauté dans lequel tu dis « L’amour n’est plus d’actualité », et à la fin de ce clip on voit un petit garçon qui zappe à la télé et il tombe que sur des programmes très superficiels. Tu dis aussi dans le texte « Je pense donc je gène ». Tu crois qu’actuellement aller au-delà du superficiel, penser réellement, ça ne fonctionne plus ?
La société et les rapports sont superficiels oui. Les rapports durent très peu de temps, on juge très vite. Toutes ces choses qui sont véhiculés par les médias incitent les jeunes à inscrire dans leur têtes que c’est comme cela qu’il faut être. L’argent et le superficiel priment sur tout, donc j’en ai fait un titre.
Ça m’a fait penser à une phase de Falco : « Surveille ta sœur, s’il faut, habille la, si demain ça devient une pute, ce sera la faute d’Ayem et Nabila ».
Il y a effectivement beaucoup de rappeurs qui s’intéressent à ça. Ce n’est pas un sujet inédit de Davodka, ça a été traité par plusieurs déjà auparavant. Moi je l’ai fait à ma sauce mais c’est un sujet qui revient souvent dans le rap, et je voulais mettre mon poing d’honneur avec mes mots sur ce titre là.
Je sais qu’actuellement, lorsque l’on dit rappeur « engagé » ou encore « conscient », ça ne passe pas. Pourrait-on dire que toi tu es dans la contestation ?
C’est parce que ce ne sont pas les rappeurs mais les musiques qui sont engagées. Mais il y a en effet beaucoup de révolte, beaucoup de choses remises en question. Toutes mes pensées sont là. C’est selon les morceaux. Après mettre une étiquette à un rappeur c’est très embêtant parce que cela voudrait dire qu’il ne sait faire que ça et c’est faux.
Je me suis bien éclaté à faire ce projet. En toute honnêteté j’en suis assez fier, il est plus diversifié justement. Même le jour du mixe, le jour où j’ai du me l’écouter une fois d’affilé, je ne me suis pas embêté comme ça avait déjà pu m’arriver avant. J’ai vraiment du mal à m’écouter, je me connais trop bien pour ça.
Tu as arrêté les cours assez tôt, aurais-tu pu finalement tomber dans des choses illégales s’il n’y avait pas eu la musique ?
Le rap c’est une sorte de mur porteur. J’ai arrêté les cours en seconde. Pour la petite anecdote pas très glorieuse, j’ai même arrêté à cause d’un texte de rap. J’étais à l’arrière de la classe en cours d’allemand en train d’écrire, et la prof est arrivée, l’a pris et l’a lu devant toute la classe. Elle voulait m’afficher. Elle est arrivé à la fin et elle l’a déchiré… Du coup j’ai pris mes clics et mes clacs, je suis parti en courant, j’ai quitté le lycée alors qu’il y avait encore cours après et je ne suis jamais revenu.
Après j’ai essayé un BEP quand même, ça a duré trois mois. Puis j’ai préféré rester dans le son sans vraiment avoir d’objectifs. J’ai travaillé avec les enfants à la mairie de Paris, dans le bâtiment, j’ai été serveur aussi, et maintenant je tente de savoir si je peux survire grâce à la musique.
Beaucoup d’expériences qui nourrissent tes textes
C’est ça, et beaucoup d’erreurs. Mais je ne changerais rien. J’avais juste peur de faire du mal un peu à ma famille au départ, mais au final ils sont fiers de moi donc je suis content.
On retrouvera Davodka à La Cigale le 14 avril prochain aux côtés de Dooz Kawa, une scène emblématique de son quartier pour découvrir Accusé de Réflexion en live. Une date à ne pas louper !