Eric Bellamy est le patron de Yuma, la société de production de concert derrière les lives de Jul, Niska, Damso, Lacrim, Hamza… Grand passionné du rap et ses influences, Eric a lui aussi commencé par la création. C’est au sein de son groupe IPM qu’il fait ses armes dans les années 90 en tant que DJ, nourrissant alors son amour pour la scène et le milieu hip-hop. A l’occasion de la réédition des albums de son ancien groupe, nous avons pu rencontrer le dirigeant de l’unique boite de prod’ entièrement dédiée aux musiques urbaines.
Salut Eric, très heureux de t’avoir sur Le Rap en France, on te reçoit aujourd’hui pour différentes raisons : dans un premier temps tu es le patron de Yuma production, société derrière les concerts de Damso, Jul, Médine, mais tu es aussi un passionné de musique au passé créatif, et c’est pour ça que tu sors aujourd’hui une réédition des albums d’IPM, le groupe lyonnais qui t’as fait grandir et dont tu étais le beatmaker et DJ, c’est bien ça ?
Oui c’est ça, exactement !
Parfait, donc du coup comment tu t’es retrouvé à faire de ta passion, le rap, ton corps de métier ?
En fait j’ai démarré à l’époque, j’avais 16-17 ans, à Vénissieux. Il y avait ce qu’on appelle des « posse » tu sais, des groupes de jeunes multi-disciplinaires autour du hip-hop : danseurs, graffeurs, rappeurs, DJ’s etc. On a commencé à monter notre premier « posse » avec des copains de lycée, d’autres jeunes du quartier tout ça. On a voulu faire nos premiers morceaux sur des Faces B, on avait un local de répet’ que la mairie nous avait filé et je me suis placé en tant que DJ. Je me suis aperçu que j’étais plus attiré par cette discipline, même si j’avais testé un peu le rap et la danse. Je me suis retrouvé derrière les platines, à vouloir faire des projets, booster un peu le groupe, même si c’était pas forcément calculé au début je me suis vu un peu meneur du groupe. On a fait nos premiers morceaux, on a créé notre propre label, qui s’appelle Lyonnaise des Flow. Je me suis aussi retrouvé gérant de ce truc là du coup. Pour amorcer un peu le truc on a cherché à faire des concerts, j’ai fait le management du groupe pour nous trouver des salles pour se produire ou répondre aux demandes qu’on avait, pour la promo et les concerts justement. Et finalement c’est comme ça, petit à petit, que le métier que je fais aujourd’hui s’est dessiné à l’époque et sur plusieurs années.
Tu vois ça comme une suite logique ?
Pas vraiment, tu sais c’était il y a plus de 20 ans maintenant, il s’est passé beaucoup de choses entre-temps… Il y a eu tout un parcours qui m’a mené à ça aujourd’hui je pense. Tu vois c’était à la fois le côté beatmaker, l’expérience de label, de producteur, manager, un peu dans l’édition, le merchandising, le « street marketing »… C’était très varié, du coup on organisait des concerts pour nous et pour les autres, on a fini par avoir un catalogue d’artistes en fait ! C’était tout un parcours qui m’a mené à me recentrer sur la tournée, parce que finalement c’est parce que j’ai un peu « échoué » sur la partie musicale que je suis là maintenant. On a eu plein d’aventures c’est vrai mais on a pas eu de gros gros succès discographiques qui nous donnait envie de rester là-dedans. On est finalement allés vers ce qui nous paraissait le plus naturel et lucratif, la tournée.
Tu as vu ça comme une sorte d’échec ?
Je pense que oui parce qu’on démarrait vraiment avec une envie de réussir, de faire d’IPM un très grand groupe lyonnais au niveau de Marseille et Paris avec IAM et NTM à l’époque en fait. On voulait marquer l’histoire avec un groupe qui resterait des années mais c’est pas arrivé.
Et du coup tu peux nous présenter les autres membres de l’équipe ?
Au tout début on était une dizaine de mecs, des danseurs, graffeurs, un DJ et plusieurs MC’s. Après les graffeurs et danseurs on plus été attirés par le milieu contemporain avec les premières compagnies de danse qui se sont formées, surtout à Lyon en fait, il y a eu une grosse politique culturelle autour de la danse. Du coup on s’est retrouvés avec 2 danseurs, 3 MC’s, un DJ et moi. Un noyau dur qui était là depuis le début finalement.
Selon toi Lyon a beaucoup influencé votre musique et vos différents projets ?
Oui oui clairement. On voulait donner à notre premier album une sorte de particularité, tu vois on avait pas d’accent du sud (rires). Il fallait qu’on trouve notre style, et on l’a trouvé à travers une sorte d’émulation. On était nombreux en studio, ça bougeait, c’était une époque.
A l’époque vous aviez quoi comme visée artistique? Vous étiez dans une optique de rap poétique, dénonciateur, conscient ?
C’était un peu un mélange de tout ça ouais. On était boostés par Venom, le MC leader de l’époque qui était tout jeune, 18 ans à peine ! Et c’est lui qui donnait toutes les thématiques des albums, avec La galerie des glaces, un album assez poétique et qui dénonçait aussi les travers de la société. Le titre de l’album faisait penser à Versailles aussi du coup il y avait des morceaux un peu classiques, avec des samples de violons et pianos.
Pourquoi ressortir ces albums aujourd’hui ?
En fait c’était surtout pour qu’ils soient disponibles aussi,. C’est des albums qu’on ne retrouvait plus du tout, il n’existaient que chez certains disquaires ou passionnés au milieu de leurs albums poussiéreux (rires). Du coup on a rendu ça disponible en digital parce qu’on est quand même fiers de notre travail, et il y a toute une génération de jeunes qui n’ont pas connu qui vont pouvoir re-découvrir ça. Et puis après il y a une toute une vague d’artistes derrière, comme les gars de L‘Animalerie... Mais oui je fais parti des premiers entrepreneurs lyonnais à miser sur ce milieu dans notre ville, à croire qu’on était capables de monter nos propres structures etc. Après je t’avoue que j’ai co-produit la tournée de L’Age d’Or du Rap Français, et puis ensuite celle de Secteur Ä, et ça m’a replongé dans cette époque là forcément. Du coup j’ai eu envie de ressortir ces disques, parce que ça fait parti de mon histoire et parce que c’est aussi ce qui a marqué ma carrière.
Aujourd’hui tu es le patron de Yuma Production, la société de concerts qui produit des artistes confirmés et encore en développement. Est-ce que la mise en avant de cette diversité des profils c’est un objectif chez Yuma ? Pour illustrer ça on pourrait parler de la différence entre Moha la Squale et Slimka par exemple.
Oui bien sûr, le rap français n’a jamais été aussi varié. Nous, on est la seule société qui ne fait que de l’urbain, à 100%. Donc forcément pour nous c’est important de refléter l’ensemble du spectre. Après il faut aussi faire tourner la boutique, donc forcément on va aussi produire des gros artistes comme Jul, Damso, Niska mais le but c’est aussi de dénicher les futurs grands.
Et comment vous repérez ces futurs grands ?
Tous les salariés de chez Yuma ont comme mission de dénicher les nouveaux artistes, on se tient au courant chaque semaine, on décide un peu tous ensemble sur les artistes qu’on aurait envie de développer. Pour leur permettre de monter sur scène on organise des soirées horizons, un plateau qu’on monte à La Boule Noire avec 3 ou 4 artistes qui font leur scène pour la première fois. Ça nous permet de repérer des groupes et de leur permettre de s’habituer à l’univers de la scène.
Aujourd’hui tu restes toujours attaché à la scène lyonnaise et ses artistes émergents du coup ?
Oui bien sûr. Je reste pas mal focus sur ce qui se passe à Lyon, après souvent c’est des artistes qui font ça dans leur chambre et puis d’un coup ils explosent. Tu entends qu’ils sont signés à droite à gauche, ils partent tout de suite pour Paris et finalement il y a très peu d’appartenance à la ville de Lyon. Du coup oui ça arrive de passer à côté de pas mal d’artistes lyonnais comme Chilla finalement, qui venait de Lyon mais personne ne le savait vraiment au départ. Il y a des structures qui vont commencer, à Lyon, à revenir à cette émulation autour de la scène rap de la ville. Et ça forcément c’est un projet que je soutiendrai, pour essayer de reformer ce qu’on avait pu connaître à l’époque finalement. Les mecs de Lyonzon sont assez prometteurs là-dedans d’ailleurs, il revendiquent bien leur ville avec leur studio etc. C’est plutôt cool.
N’hésitez pas à partager cette interview si vous l’avez aimé et à aller écouter les différentes projets d’IPM, disponibles sur les plateformes de streaming en cliquant ici.
Crédit Photo : Julien Vachon