S’étant fait connaître notamment via le 5 Majeur, les deux compères du Fixpen Sill (Keroué et Vidji) s’apprêtent à sortir prochainement leur premier album, répondant au doux nom de « Edelweiss ». Un premier album attendu au tournant et pour cause, les deux rappeurs ont une très fine plume et ont su le prouver à travers plusieurs projets dont deux Ep gratuits (Le sens de la formule / On verra plus tard). C’est dans le cadre de la promotion de leur album que nous les avons rencontré à L’Atelier 110, Boulevard Sébastopol.
Depuis quand est-ce que vous rappez, et comment vous êtes vous rencontrés ?
Vidji : Je rappe depuis moins longtemps que Keroué, ça doit faire 5 ans maintenant, peut être un peu plus si on prend en compte les premiers essais, les brouillons, les moments où l’on se cherche. On s’est rencontré à Rennes vers 2009 ou 2010, c’est le cousin de Kéroué qui nous a mis en relation. On était en soirée, je l’ai écouté rapper, je faisais déjà du beatmaking à l’époque, le courant est bien passé et on s’est dit qu’on devait faire un truc ensemble : c’était instinctif, ça s’est fait vite et naturellement en fait
Keroué : J’écrivais depuis environ 2 ans avant que Vidji ne commence à gratter ses premiers textes. J’avais déjà sorti un premier projet, pas vraiment « fantôme » puisqu’il n’est plus disponible sur le net, même si je l’ai coffré sur un ordi et que ce n’est pas impossible qu’il ressurgisse sur le net. Ce n’est pas un projet que j’occulte, c’est un truc dont je suis fier et que j’ai fait moi même, avec des faces B que j’ai raccommodé moi-même aussi (rires), mais après dès que j’ai rencontré Vidji c’est tout de suite devenu plus professionnel, il a charbonné pour devenir archi-fort en prod et archi-fort en rap. On s’est boosté mutuellement dès notre rencontre.
Et ça a matché directement, vous vous êtes dit « on va faire un truc ensemble » ?
Vidji : Ouais depuis ce moment nous on y croyait même sans avoir forcément un engouement autour de nous. On a commencé à faire des petites scènes de façon locale, des MJC, des assos du coin qui nous programmaient…
Keroué : Des tremplins…
Vidji : On faisait des concerts devant 10 personnes mais ce n’est pas ça qui nous a démotivé, on a continué et c’est à peu près à partir du moment où on a commencé à faire notre formation 5 Majeur qu’on a eu un peu plus d’exposition sur internet, ce qui nous a un peu boosté notre visibilité en tant que Fixpen Sill.
Pourquoi Fixpen Sill ? C’est un jeu de mot ?
Keroué : Non ce n’est même pas un jeu de mot, c’est le nom exact d’un stylo suisse qui s’appelle pareillement sauf qu’à la place du « S » il y a un « C » et un seul « L ».
Vidji : C’est le premier porte plume.
Keroué : On voulait vachement axer notre truc sur l’écriture, on s’est dit que c’était le nom d’un stylo, que ça pouvait être réduit en « Fixpen », avec plus d’impact et plus énigmatique qu’un nom basique.
Vidji tu me disais à l’instant que vous vous êtes fait connaître en partie grâce à la formation 5 Majeur, mais vous avez fait aussi une formation Fixpen Singe avec Lomepal et Caballero. D’où est venu cette idée, et pourquoi ne pas avoir poussé le délire un peu plus ?
Vidji : L’histoire de Fixpen Singe est un truc qui nous a plu à tous les 5, puisque Meyso faisait part entière de la formation. On n’a pas poussé le délire plus parce qu’on s’est, je pense, emmêlé les pinceaux dans l’ordre des étapes. On voulait faire un projet live, et c’est compliqué de communiquer sur un projet live car il n’est pas destiné à faire des clips, et même si on en a fait c’était confus, et puis entre 5 Majeur, Fixpen Sill, en s’appelant Fixpen Singe on a du embrouiller les gens ce qui fait qu’on a fait une série de concerts avec moins de dates que prévu, même si c’était chaud et que j’ai passé des vrais moments avec eux sur la route. Cela n’a peut être pas eu les répercussions que l’on espérait et les projets individuels sont vite revenus sur le devant des priorités. De toutes façons, cela n’avait pas vocation à durer plus qu’une tournée, un peu comme les projets 5 Majeur qui n’avaient pas vocation à être plus qu’un album ou un Ep, là c’était quelque chose de vraiment éphémère et il fallait se déplacer en concert pour se prendre le truc pleinement, on avait travaillé un show avec une scénographie, un ingé lumière…
Tu es beatmaker sous le nom Stratega, depuis combien de temps ? Et toi Keroué as-tu des talents cachés ?
Vidji : Je fais de la MAO (Musique Assistée par Ordinateur) depuis que j’ai 10 ans, cela fait de nombreuses années. A l’époque c’était sur un jeu Playstation qui s’appelait « Music », le tout premier séquenceur que j’ai utilisé pour faire de la musique ! Ensuite je suis passé sur Fruity Loops. Des prods rap à proprement parler j’en ai toujours fait même si je naviguais entre plusieurs styles, mais ça s’est confirmé quand on a commencé à bosser ensemble avec Keroué.
Keroué : Moi j’ai essayé, mais je n’ai toujours pas de talent de beatmaker malheureusement (rires), c’est quelque chose que j’aimerai pouvoir ajouter à ma palette de compétences, après ce n’est pas facile de reprendre tout depuis le début, ça arrivera peut être un jour lorsque je payerai des cours à Vidji…
Vidji : Je pense qu’il va plutôt lancer une ligne de vêtements, un truc comme ça (rires)…
Keroué : Mais sinon si j’ai un talent caché, c’est celui de battre Vidji à Fifa de temps en temps.
Vidji : Soit disant.
On va passer à l’album maintenant. Pourquoi l’avoir appelé Edelweiss ? J’ai fait mes recherches, c’est une fleur blanche et son nom veut littéralement dire « fleur noble », un rapport ?
Vidji : En fait on fonctionne beaucoup par assimilation d’idées plus que par explication claire, nette et précise, tout comme quand tu nous demandes le nom du groupe, c’est l’esthétique qui nous plait et on trouve ça assez unique, ça nous identifie bien. Pareil pour Edelweiss, ça faisait un moment qu’on était sur la conception de l’album, on est passé par plusieurs étapes et on a taffé plusieurs styles différents. L’Edelweiss pourrait faire assez générique aux premiers abords, après c’était une façon pour nous de symboliser quelque chose d’inatteignable et que tu veux justement atteindre. Avec tout ce que ça peut inclure : les moments où tu te sens en confiance, les moments où t’y crois un peu moins, et toutes les différentes étapes par lesquelles tu peux passer. C’est le fil conducteur de l’album.
Keroué : Il y a un petit speech d’ailleurs à la fin du deuxième morceau qui explique cela.
Oui, à la fin de Laisse tourner, c’est une sorte d’outro où vous expliquez que c’est la fleur des conquérants.
Keroué : C’est James Lega ! Shout out a lui, il a enregistré le « feat caché » (rires). C’est une définition qu’on a trouvé…
Vidji : Non, non, non…
Keroué : Ouai, bon on l’a écrite (rires). On l’a écrite partiellement, c’est un truc épique qu’on ne pouvait pas voir autrement que de manière très théâtrale !
Peut-être que je divague mais elle m’a fait penser à des mangas styles Chevaliers du Zodiaque ?
Keroué : Ouais carrément, la voix très grave et caverneuse, avec du vent ! Comme si c’était un vieux au fond d’une caverne qui allumait une bougie pour te raconter une histoire. Un ermite !
Vidji : C’est une mise en situation.
Keroué : On trouvait ça marrant. Mais en fait, il y en a certains qui se seraient posés la question de savoir s’il faut la mettre en tout début d’album, histoire de plonger dans une atmosphère d’emblée, et on s’est dit qu’on allait plutôt la mettre à la fin du deuxième pour que les auditeurs puissent digérer les deux morceaux précédents qui sont assez lourds et personnels.
En combien de temps avez vous réalisé votre album ?
Keroué : Entre les moments où j’ai écris les premiers textes de l’album et sa sortie prochaine, il y a environ 3 ans. Il faut prendre en compte le fait qu’on a dû gérer la sortie du 5 Majeur déjà, puis un EP de 4 titres en 2014, et deux ou trois inédits. On n’a jamais totalement quitté le paysage, on a continué à faire des concerts avec un set un peu dépassé maintenant mais qui vient se faire gonfler par un réassort de 16 nouveaux sons.
Quelles sont vos influences en général ?
Keroué : J’aime bien tout ce qui est artistique, la musique, les œuvres d’art… J’aime bien Alkpote et j’aime bien Andy Warhol, tu vois ? En art je me prends pas mal de trucs.
Vidji : Je suis ultra sélectif dans ce que j’écoute et un peu intolérant, ce qui fait que j’écoute très rarement des albums en entier, même si j’ai pris le temps d’en faire un que j’estime cohérent de A à Z, je zappe rapidement et en général je vais trouver une ou deux chansons par artiste que je vais extraire du projet et l’écouter en rotation jusqu’à en être dégouté. J’écoute beaucoup de rap cainri en ce moment. Après j’ai une formation de musicien, je suis multi instrumentiste, c’est pour ça notamment que je fais mes prods. Je vais aussi bien m’inspirer de la Soul, du Jazz, du Reggae, de tout ce que tu veux. Par exemple « Tel quel » c’est un sample d’un morceau de Fat Freddy’s Drop qui est un groupe de reggae Néozélandais. Je n’ai pas de limite, je ne me cantonne pas à un style en particulier, mes inspirations vont vraiment partout du plus débile au plus profond.
J’ai eu un peu de mal à dégager une ligne directrice de votre album, au niveau de l’ordre des morceaux notamment ?
Vidji : La ligne directrice qu’il y a d’un morceau à l’autre ce n’est pas tant l’atmosphère musicale que l’intention. Cela fait assez longtemps qu’on rappe avec Keroué pour avoir, je pense et qu’on le veuille ou non, une identité et une façon de faire qui nous sont propres, c’est ça la cohérence. On avait envie d’essayer d’autres styles, s’aventurer ailleurs. Pour moi les albums où les artistes restent sur un seul style qui est dans leur zone de confort, je trouve ça dommage. On ne s’est pas mis de limites et on est capable de faire des choses différentes donc on ne s’est pas privé. La cohérence est aussi dans les thèmes, dans les discours qu’on peut avoir même si on met un point nommé à ne parfois rien raconter. D’une règle générale on ne se ment jamais à nous même, on parle sincèrement il n’y a pas d’anguille sous roche. Tu as du remarquer qu’il y a très peu de refrains, c’est un parti pris pour faire la part belle à la musique, tout en essayant de performer au maximum sur nos couplets sans surcharger nos morceaux de paroles, ce qu’on a pu nous reprocher par le passé.
Keroué : C’est vrai qu’on s’écarte un petit peu à des moments pour aller sur des sonorités comme « Hobo » mais ça arrive au milieu de l’album, et si on réfléchit en terme de montée et de descente, je trouve qu’on atteint clairement un pic avec « Hobo » justement. Il y a « Ma fête » avec un refrain totalement bizarre et « Hobo » à la suite avec en plus une interlude un peu barrée entre les deux… On redescend vers la fin de l’album avec des morceaux un peu plus sérieux, dont le dernier avec Nekfeu qui est un peu plus personnel.
J’ai eu l’impression en écoutant l’album que vous aviez deux personnages totalement différent : Vidji tu es plus sombre et mature, et toi Keroué t’es le mec plus enjoué, notamment au travers de sons tels que Hobo ou Ma Fête ?
Keroué : Totalement, ce sont deux personnalités qu’on a eu, c’est à dire Vidji qui est un peu plus « l’homme de l’ombre » mais il charbonne et les gens qui nous connaissent savent que c’est non seulement un rappeur émérite mais aussi un fin déconneur. Je suis monté sur Paris plus tôt que lui et j’ai été exposé un peu plus en allant à des freestyles où il ne pouvait pas être présent, ce qui fait que mon image est peut-être un peu plus développé. Les gens me connaissent avec ce coté déconneur mais ils savent que lorsqu’il est question de faire un son plus personnel, on sait être professionnels et sérieux.
Vidji : Heureusement qu’on n’a pas fusionné en une sorte de chimère avec une pensée unique…
Keroué : Il y a déjà des gens qui pensent qu’on est frères ou que Fixpen Sill c’est un seul artiste.
Vidji : Il y a même eu un commentaire sur Youtube une fois, « chaud le couplet de Fixpen Sill, regardez la tête du mec en rouge à coté »… Sauf que le mec en rouge c’était moi. Le plus grand « disrespect » je crois, j’en rigole encore (rires).
Keroué : Et il y aussi les gens qui pensent que je suis Vidji et que Vidji est moi.
Edelweiss FM, c’est un son à part entière ou une interlude, et si tel est le cas pourquoi juste avant le dernier son ?
Vidji : Il faut s’imaginer qu’on a notre propre studio et que parfois nous sommes fatigués (rires), on rigole pour un rien et du coup on enregistre des trucs complètement loufoques de temps en temps. Il y a par exemple Heskis qui imite un présentateur radio…
Keroué : Une excellente interprétation de « Dodo l’enfant do » par Doums ! Il y a aussi une ou deux phases de mon projet solo qui sont mises subrepticement dedans. C’est un patchwork, des petits bouts de nous, c’est marrant et ça fait un petit pont avant le dernier morceau qui est plus sérieux et profond. On s’est dit que ça ne serait pas plus mal, c’est une fin avant la fin en fait.
Vidji : Et je suis particulièrement fier de mon chant grégorien (rires) !
On parlait tout à l’heure de la formation 5 Majeur. Tous les membres sont présents (Hunam / Heskis / Nekfeu) mais dispersés sur deux morceaux différents, alors qu’on pourrait s’attendre à une réunification sur un seul et même son. C’est un choix perso ?
Vidji : En fait, on aime vraiment prendre les gens à contrepied.
Keroué : Heskis et Hunam avaient déjà enregistré sur un morceau très freestyle, on en avait besoin d’un comme ça pour contrebalancer tous les morceaux où on est en mode pensif. Ils ont apporté un truc frais : Hunam a balancé son couplet, on a senti l’ambiance freestyle direct sans se poser de question. Nekfeu n’était pas là à ce moment et on s’est posé la question quand on a enregistré avec lui de savoir s’il fallait lui faire poser un 5e couplet freestyle sur le morceau, qui était déjà assez long et sans refrain ni véritable sens, ou alors exploiter sa vraie personnalité et on sait qu’il sait se révéler quand on lui parle de ce genre de projet où il prend le truc à cœur. Et finalement, les membres sont tout de même tous réunis sur notre album. Même dans nos autres projets il y a des sons où il n’y a par exemple que Nekfeu et moi, ou encore Heskis et Hunam.
Et toujours à propos de 5 Majeur, rien d’autre de prévu pour l’instant ?
Vidji : On avait des aspirations de groupe avec Keroué, c’est quelque chose qu’on avait avant le 5 Maj’ et qu’on ne voulait pas laisser tomber et du coup on voulait mettre de l’énergie dans notre groupe. Alors là je vais peut être me jeter des fleurs mais sachant que c’est moi qui fait les prods, moi qui enregistre et mixe les morceaux…
Keroué : Et c’est lui qui prémasterise les morceaux aussi, dans « Variations » (album du 5 Majeur) par exemple !
Vidji : Cela me donne une charge de travail assez importante. Un album du 5 Majeur peut facilement mettre 6 mois de retard à un projet Fixpen Sill, sachant que je suis légèrement perfectionniste sur les bords. Il y a aussi le fait que Nekfeu a explosé de son coté, il avait déjà beaucoup de choses à gérer avant et maintenant une carrière solo. Sachant qu’en plus on était géographiquement dispersés c’était compliqué. Nous ne sommes pas contre l’idée d’un futur projet 5 Majeur mais ce n’est pas pour tout de suite.
Quelque chose à ajouter ?
Vidji : On a une équipe qui nous entoure dont on aime parler car ce sont des gens de confiance avec qui on taff depuis un moment déjà. Bigup à notre graphiste Pierre Thomas qui a fait un travail colossal sur notre pochette et tout le CD, on compte d’ailleurs sortir quelques vinyles pour mettre en avant son travail. Shout out à Matthieu R qui a fait le clip de Edelweiss et le prochain qui va sortir.
Keroué : Shout out à Piotr Lebryk qui a fait le clip de Tel Quel. S/o Claudie
Il y a un concert gratuit le 23 janvier à Rennes, et le 28 janvier à Paris au Centre Barbara FGO !