Interviews Rappeurs

[Interview] Hippocampe Fou : « L’album est construit comme une sorte de voyage céleste »

Et c’était voulu, ou c’est un truc qui est en toi, le fait de balancer des références ?
J’ai un gros sac plein de références et je pioche dedans. J’essaie de prendre des films que je trouve un peu noble et que je pourrai défendre, et que j’aime vraiment. Par exemple l’Histoire sans fin c’est un film que j’aime bien, un peu kitsch un peu rétro, qui a certes mal vieilli mais pour lequel j’éprouve une tendresse nostalgique ?

Si je ne me trompe pas au début d’Arbuste Généalogique c’est le Wilhelm Scream que l’on entend ?
Je ne sais pas c’est quoi le Wilhelm scream ?

C’est un cri que les ingés son s’amusent à placer dans les films au cinéma
Faut poser la question à Central Parks qui est le beatmaker. J’ai échangé peut être 20 mails avec lui sur Soundclound, donc je ne lui ai pas demandé d’où venait ça. Je lui ai demandé d’où venait les samples parce qu’on a fait tout un travail dessus, on a rejoué les samples parce que je ne voulais pas qu’il y ait de soucis de droits. Donc on a fait tout ça mais je ne lui ai pas demandé d’où venait le cri effectivement. En tout cas l’album je l’ai vraiment construit au niveau de la tracklist comme une sorte de départ, de voyage céleste. Pour détailler un peu, Las Etrellas c’est celui qui regarde les étoiles, qui a envie de partir. Celui qui connait des déceptions amoureuses c’est Mes échecs, un gros mangeur Obélix. Qui se pose des questions Si j’étais. Dans Pubis ennemi il fait l’amour avec une femme à barbe, il récolte un morpion qui se trouve être un morpion immortel qui lui raconte des trucs de ouf : « j’ai déjà été dans le pubis de Cléôpatre, d’Ulysse dans le cheval de Troie » et il lui donne envie de partir, du coup il fait son baluchon dans Presque rien et du coup dans La Grande évasion c’est parti, il se casse. Sauf que c’est le crash, il se retrouve à Rio avec des shemales, Bad Trip quoi. Il s’endort, et là vient le morceau Dream avec The Procussions. Chasse aux sorcières et la Chorale des orphelins à langue coupée qui est une sorte de prolongement du cauchemar, et le cri de l’Arbuste généalogique c’est à la fois le réveil et l’atterrissage. C’est le cri des gens qui tombent, donc pour moi c’était logique de le mettre là en dernier. Au même titre que Jour de fête qui était très sombre et très autobiographique, enfin basé sur des faits réels. Je trouve que ça boucle un peu mieux que l’album précédent où au début tout est joli et à la fin c’est super dark du coup tu as envie de repartir au début où c’est joli. Là ça commence mélancolique, ça finit mélancolique et du coup tu reviens un peu au premier morceau, c’est cyclique. Dans la précommande iTunes il y aura aussi 2 autres morceaux : le Freestyle céleste et La quarantaine, un peu rigolo, sur le fait que je sois de plus en plus chez moi comme un mec cloîtré et que la prochaine étape après mes 30 piges c’est la quarantaine.

J’ai eu l’impression aussi que c’était des morceaux un peu plus taillés pour la scène, est ce que c’est voulu ? Notamment le morceau avec Gaël Faye.
Je ne sais pas, il est vrai qu’il y a un truc différent par rapport à l’album précédent outre le fait d’avoir un réalisateur musical et de m’être un petit peu plus livré, il y a un travail sur la voix. Vu que j’ai fait la maquette de mes morceaux chez moi tout seul comme un grand, j’ai fait pas mal d’essais. Je me suis dit que je n’avais pas besoin de rapper avec cette voix nasillarde et que je pouvais rapper avec ma voix normale, que l’ingé son allait la faire ressortir. C’est aussi une déformation car en live plus ta voix est aiguë plus elle ressort. En outre c’est aussi parce que je kiffe Eminem, B-Real et qu’ils donnent l’impression d’avoir une voix plus aigüe. J’ai donc essayé une manière de rapper, plus naturelle, plus proche de ma voix réelle. J’ai aussi essayé de faire quelque chose d’un peu espacé et un peu plus aéré que sur l’album précédent. Par exemple un morceau comme Hymne au cinéma c’est très dense, de longs couplets, beaucoup de mots, ça fera plaisir à un fan de cinéma, mais un auditeur lambda ça va le saouler ; il ne va pas le réécouter. De plus il y a eu l’essor de la Trap, avec des mecs comme Kaaris, où on est dans quelque chose de vachement aéré, avec de gros trous. Dans le old shool on remplissait la mesure. J’ai fait quelque chose de plus aéré pour ne pas noyer les gens, pour qu’ils puissent prendre chaque image, chaque mot et se dire : « hmmm pas mal. » Après il y a quand même des morceaux comme Obélix, denses avec pas mal de débit et qu’il faut réécouter plusieurs fois pour tout saisir.

Le morceau Si j’étais c’est clairement un questionnaire de Proust, un genre de portrait chinois. Quelle est l’idée derrière ce morceau ?

Eh bien Aociz m’a envoyé une première ébauche, ça fait très années 80 ou début 90, un peu dancefloor et ça me faisait tripper. Je ne sais plus exactement quel a été le déclic, il me semble que j’avais tout simplement noté dans un coin « faire un morceau portrait chinois.» J’ai une certaine affection pour le morceau car c’est une sorte d’autoportrait déguisé. J’avais déjà fait + ou – sur la Net Tape Aquatique, qui était une manière de se livrer. L’autoportrait chinois c’est une autre de manière de me livrer sans trop me dévoiler. Il y a des jeux de mots « si j’étais vampire ou prêtre je ne serai pas très pieux » ou des moyens de me dévoiler indirectement « si j’étais un tableau je serai au Louvre ». C’est une manière de dire que je suis plus art figuratif qu’art abstrait. Enfin je me l’explique comme ça, pour moi il faut que chacune de mes paroles ait du sens. Sinon je trouve ça malhonnête.

Qu’est-ce que tu attends de cet album ?
Que les gens qui connaissent Hippocampe Fou et le rap aquatique adhèrent, et j’espère aussi, comme sur l’album précédent, que ça amène de nouvelles personnes, des gens qui ne connaissent pas le rap ou qui l’ont lâché depuis longtemps. Ma mère a aimé alors pourquoi pas d’autres ? J’aime bien quand les gens plus âgés avec plus de bagages, plus d’expériences approuvent mon travail. C’est une forme de reconnaissance.

Si t’es invité chez Inter c’est que ça plait à une certaine tranche d’âge
Quand j’ai rencontré Marie (ndrl : son attachée de presse), je lui ai clairement dit « j’ai un public qui me suit depuis pas mal d’années, le bouche à oreille fonctionne bien mais c’est surtout un public internet. »  Il y a toute une partie de la population que je ne peux pas toucher parce que les médias traditionnels ne me diffusent pas. Le noyau de fan vient d’internet et le but c’est d’étendre ça à un public qui n’utilise pas forcément internet, et forcément France inter m’aide dans ce sens.

En plus, ils sont peut-être plus à même de capter tes références
Je n’ai pas forcément envie de faire le rappeur intello, mais j’ai essayé de simplifier le propos sans galvauder la qualité globale. Je trouve ça intéressant d’avoir des phrases accessibles à tous et parfois une petite référence qui demandera plus de recherche. Maintenant je sais que je suis observé par Rap Genius donc il faut que je soigne chaque ligne. Par exemple le mec qui a analysé Hymne au cinéma il m’a bluffé, il a tout trouvé, même des trucs auxquels je n’avais pas pensé.

Après le rap céleste on aura quoi ? On est allé dans l’eau dans le ciel. Et après ? Tu seras où dans deux ans ?
Je bosse sur un nouveau projet, je ne vais pas en dire plus parce que ça peut changer. Mais on est toujours dans un esprit de voyage parce que c’est ce qui m’anime, de toute façon je l’ai toujours dit, la musique, le cinéma et le voyage sont les seuls trucs dont je peux parler en ayant des choses intéressantes à dire.

 

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.