Moins de deux ans après avoir sorti Frappe préventive, son premier projet solo, Jarod a sorti le mois dernier son nouvel opus « Caméléon ». A l’image de son alias, Jarod y montre la pleine étendue de son talent, diversifiant tant les flows que les inspirations, un réel touche à tout qui sait s’adapter quelle que soit la situation.
Lors de la séance d’écoute, tu as expliqué que tu ne pouvais plus écouter certains artistes, parce qu’ils s’étaient perdus dans un registre qui n’est pas le leur. Toi, au contraire, tu donnes dans plein de registres différents dans ton album. Alors, au contraire de ces artistes là, tu n’as pas peur de noyer tes auditeurs dans trop de choses différentes, voire même de te perdre toi-même dans un de ces registres ?
Je pense qu’à partir du moment où moi ça me plaît, tant que je reste fidèle à moi-même et que le truc me plaît, je le mets, c’est tout. Je reste le seul barème de ma création artistique. Et puis si ça ne marche pas, tant pis. Mais je pense qu’il faut garder cette intégrité artistique. Après, quand je disais cela concernant les autres artistes, ce n’était pas nécessairement une critique, c’est simplement qu’ils se sont éloignés de ce que j’ai connu d’eux au début. Bon, on ne va pas se cacher, souvent ils se sont dénaturés dans un but commercial…
En écoutant l’album, j’ai eu du mal à trouver une certaine cohérence, tant dans les thèmes abordés que dans les prods. Enfin j’ai eu l’impression que tu as pris des instrus qui te plaisaient, les unes après les autres, et tu les as juxtaposées à la suite sans chercher de cohérence.
Oui c’est vrai, et je ne l’ai jamais cherchée ! C’est peut-être une des raisons qui explique que je ne suis pas un artiste incroyable, qui vend 100 000 albums, tu vois ? Parce que je prends toujours des risques dans le sens où mon but principal c’est de me faire kiffer, de me surprendre, de surprendre les gens. Après, t’es pas le premier à le dire ça. Mais c’est tout à fait assumé, et j’ai toujours fonctionné comme cela. Si tu écoutes mon précédent album, ou mes mixtapes, tu en déduiras la même chose exactement. Même si au final les mixtapes contenaient moins de morceaux complètement décalés, mais il y en avait quand même un ou deux (rires). Je pense que je suis là pour surprendre, je ne veux pas m’enfermer dans une case… Je suis un caméléon !
Cependant, je comprends que cela puisse gêner au niveau de la cohérence musicale, mais je pense que pour aborder mes projets, il faut un minimum d’ouverture, sinon c’est pas possible. Les gens n’ont pas l’habitude d’entendre des morceaux autant décalés sur un seul album, qui n’ont rien à voir les uns avec les autres…
Sur le précédent album, tu es arrivé à faire de bons scores de vente, sans pour autant avoir aucune couverture médiatique. Pourquoi, à ton avis ? C’était une critique envers les médias ou pas du tout ?
Déjà parce que j’ai toutes les raisons d’être mis en avant ! J’ai un public, je remplis des salles de concert, je vends des albums, je tourne… Mais je ne le suis pas pour autant. Je ne sais pas pourquoi, je ne trouve pas ça logique. Si j’étais un média, je m’intéresserait à moi ! (rires). Quelques médias ont tout de même joué le jeu hein, je vais pas mentir ! Generations, OKLM… Pas tous, mais certains m’ont soutenu. Plein d’autres m’ont ignoré, j’ai eu cette impression. Pourquoi ? Justement, parce que je suis un peu bizarre je pense. Ça dérange, je suis en dehors des codes, dans plusieurs cases. Peut-être parce que je suis fort aussi, que je vais effacer les artistes qui leur font gagner de l’argent. C’est peut-être ça.
Tu viens de parler d’OKLM, du coup je voulais te parler de Booba. En novembre, tu lui avais écrit une lettre ouverte. Je n’ai pas suivi la suite de l’histoire, mais du coup que s’est-il passé après ? Il a répondu ?
Oui, il m’a remercié. Il m’a dit qu’il allait « changer les choses« . Il m’a dit que je n’étais pas forcément mis en avant mais que cela allait changer, c’est tout. Ça m’a fait kiffer qu’il la lise et qu’il reconnaisse le message. Il a conclut sur un truc comme « Ratpis reconnaissent ratpis » (rires). Ça m’a fait bien plaisir !
Rentrons maintenant dans le vif du sujet, avec ton album ! Combien de temps cela t’a pris pour l’élaborer ? Tu l’as commencé pendant la tournée de ton ancien album, c’est bien ça ?
En fait, il y a même quelques titres enregistrés avant que le premier album ne sorte. C’est-à-dire que Vibe était déjà prêt avant que le premier album ne sorte, Building également. En 2014, donc. Comme pour le précédent album, qui contient des titres vieux de 3 ans. Mais bon au final ils sont très actuels sans être dans la tendance. La plus grosse partie de l’album, je l’ai enregistrée ces 4 derniers mois là, parce que j’ai eu des revers assez chiants ces derniers temps: j’ai du changer d’équipe, je me suis séparé de mon ancienne production, je n’ai pas pu récupérer tous mes morceaux, j’ai eu quelques problèmes juridiques, j’ai du restructurer, ce qui m’a pris un certain temps… Enfin voilà, quelques galères qui m’ont obligé à speeder sur la fin.
J’espère que ça ne se sentira pas, en tout cas j’ai fait en sorte que non.
La différence dans le laps de temps ?
Oui ça, peut-être également les différents studios dans lesquels j’ai enregistré, mixé et masterisé mes sons. Je suis tout de même content de l’album. Mais je pense qu’on peut faire mieux…
Quel message tenais-tu à faire passer avec cet opus ?
Je voulais raconter ma vie. Cet album c’est une séance de psychanalyse.
Une petite thérapie ?
Ouais exactement, c’est ça. Du début à la fin, c’est ma petite thérapie finalement. Chaque fois que quelqu’un l’écoutera, ça m’enlèvera un petit poids (rires). Je voulais parler de ma vision du monde, tout en apportant une vision un peu alternative de ce que l’on propose aujourd’hui, plus ouverte. L’ouverture, c’est mon but actuel: s’instruire, s’ouvrir. On manque beaucoup de ça, on vit dans un monde de robots. Il y a des cases partout. Mon but est d’apporter un peu de réconfort en leur montrant qu’ils ne sont pas les seuls à le vivre. J’ai envie de leur dire d’arrêter de juger, d’arrêter d’avoir la haine, ou en tout cas de l’assumer et de la canaliser. J’aimerai que cela pousse les gens à réfléchir sur eux-mêmes.
Tu nous as dit que tu voulais innover ne serait-ce qu’au niveau des instrus, comme En Forme, qui se rapproche de la trap sans réellement en être. Et sur ce genre d’instru, à ton sens, seuls deux rappeurs peuvent rivaliser avec toi, ce sont Hayce Lemsi et Gim’s.
Exactement. Et même eux, faut qu’ils s’accrochent sur ce morceau (rires).
Et du coup je couple ma question en abordant la pochette. Tu m’avais dit qu’elle serait complètement unique (on ne la connaissait pas encore au moment de l’interview). Est-ce que c’est que tu voulais vraiment marquer un grand coup, tant au niveau des prods que de la pochette ?
Bien sûr ! On est indépendants, donc on est obligés de se faire entendre par nos propres moyens, et on va y arriver. Et cela passe par de l’innovation, par une pochette originale, et un contenu inédit. Les gens verront le caméléon, ils vont entendre parler de nous, réellement. Par tous les moyens possibles ! Cet album fera parler de lui. J’ai totalement confiance en nous.
Au niveau des prods et des instrus, comment l’album s’est-il construit ?
J’ai bossé en grande partie avec des beatmakers avec lesquels j’ai travaillé précédemment: BBP, Blixx, Mich Buckanon, Batpiste Herman, Bugati Beats. Bugati Beats c’est quelqu’un que je connais depuis quelque temps mais on n’avait jamais eu l’occasion de travailler ensemble, et c’est un tueur. Il m’a fait deux prods là, Boy Boy et John Wayne. Ce n’est pas vraiment de la trap, c’est plus vif, ça ambiance plus. Blixx il a une seule prod, mais c’est mon préféré je crois, le morceau Has Been.
C’est marrant que ce soit Has Been ton préféré ! Il est très introspectif c’est sûr, mais carrément lent par rapport aux autres, non ? Je pensais que tu t’enjaillerais plus sur des sons percutants.
Il y en a dans mon album !
Oui, c’est ce que je dis ! C’est pour cela que ça m’étonne que tu apprécies plus Has Been.
Il y a de tout en fait, c’est un album pour caméléon ! Il y a du texte, de l’énervé, du calme… Mais j’aurai voulu mettre encore plus de titres, mais je n’ai pas pu. Je trouve que c’est un album complet, j’espère que les gens s’y retrouveront.
Qu’as-tu prévu pour la suite ?
On est entrain de déployer tout un tas de stratégies qui viendront en temps et en heure, un peu après la sortie. Surtout grâce à l’aide des média, on espère qu’ils joueront le jeu. On va faire fort, on a quelques surprises (rires).
Sur certains sons, à mon sens il y a des sonorités africaines…
Ah ouais ?! C’est marrant que tu dises cela parce qu’à mon sens, je trouve qu’il en manquait au contraire ! En y réfléchissant à deux fois, tu as peut-être raison en fait, sur Ah ouais mon ami, non ?
Yes c’est ça !
Parce que le morceau est très deep, j’ai une manière de poser avec des calages un peu africains.
Est-ce que ce sont des sons qui sont calés pour la radio ?
Oui, il nous fallait des titres pour être diffusés à la radio, à grande échelle. Après, ils n’ont pas été forcément faits pour ça, mais on les a faits. C’est toujours délicat de faire des titres grand public, et j’avais peur qu’on n’arrive pas à toucher cela sur cet album. Par hasard en plus ! J’ai pris une prod, j’ai écrit, ça a matché, je l’ai structuré de manière à ce que ce soit ce format précis, et ça a fonctionné.
Un petit mot de la fin pour clôturer ça ?
Mieux vaut mourir incompris que passer sa vie à s’expliquer.
Raphaël Brami / Léo Chaix