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[Interview] Koma: « Le Scred Festival, la résistance par l’art » 

Pour fêter ses 18 ans d’existence, la Scred Connexion nous réunit en organisant un festival indépendant. Le Scred Festival c’est une expo sur le graffiti, une expo sur la Scred, trois dates de concerts et une programmation qui promet ! Samedi après midi, je rencontrais Koma entouré de ses potes, dans leur magasin de Barbès. C’est dans l’arrière boutique qu’on a pu discuter pendant que le showcase de Sear Lui-Même se déroulait au rez de chaussée.

Pourquoi fêter les 18 ans de la Scred ? En plus ça se passe dans le 18ème, à 18 heures, c’est 18 euros. Le 18 est emblématique pour toi?
Plein de choses sont parties du 18ème dans le hip-hop : le terrain de Stalingrad, les groupes de rap comme Assassin etc. Le 18 c’est notre quartier: on a grandi dans cette culture. Il y avait une sorte de navette qui se faisait entre le 93 et le 18ème ce qui fait que c’est beaucoup Saint Denis et Paris Nord qui ont été très actifs dans le hip-hop. Il y a aussi les salles de concerts comme La Cigale et l’Elysée Montmartre. Le hip-hop s’est beaucoup concentré ici. Le nord de Paris c’est la résistance par la culture.

Si tu devais te projeter dans les 18 mois et les 18 ans à venir?
C’est dur de faire la météo mais j’ai des projets. Si on est encore là parce que tu sais, il peut y avoir une comète qui s’écrase, un mec qui rentre ici avec sa kalash, aujourd’hui tout est possible. L’idée c’est de faire l’album de la Scred, de faire l’album solo Koma, de commencer à réfléchir à la deuxième édition du festival pour l’année prochaine avec des choses en plus que l’on va intégrer comme le cinéma indépendant, la danse, et continuer ce que l’on a déjà posé comme les concerts, les graffitis et donc avancer dans cette voie-là.

Donc le festival aura lieu tous les ans?
Là c’est notre anniversaire des 18 ans et on en profite pour lancer la première édition du festival. Une naissance et bientôt une retraite.

Pourquoi une retraite?
Une retraite parce qu’il y a un moment ou il faut arrêter non? Ahmed Koma il est plus prêt de la fin que du début. Par contre faire de la production, des festivals, organiser des concerts, s’occuper d’autres choses, c’est envisageable. Après ça n’empêche pas de continuer d’écrire, peut-être faire un scénario de film, écrire des bouquins, des poésies… Le rap n’est qu’un support et des supports il y en a plein.

Tu accordes beaucoup d’importance au fait que ce soit un festival indépendant. En quoi c’est différent?
Déjà les artistes invités ne sont pas habituellement en vitrine. Il y a des artistes dont on ne parle même pas sur certains sites alors qu’ils devraient être devant et pas derrière. Rap indépendant ça veut dire rap adulte : le rap qui a du texte, une identité française, qui utilise des samples, qui continue ce travail là qui a été fait dans les années 95-2000 et qui est un peu l’héritier de tout ça.
Indépendant ce n’est pas que financièrement, c’est indépendant aussi au niveau des choix, de ton éthique, au niveau de tous les organisateurs, des producteurs, au niveau des gens qui font la promo de ton disque. Ça veut dire voler de ses propres ailes!
Regarde aujourd’hui, on est dans aucune maison de disque, on n’a pas a pas de grosse structure derrière nous mais tout le monde est au courant que le festival existe. C’est ça être indépendant. C’est comment réussir à faire connaître nos projets autant que ceux qui ont des gros moyens.

Comment tu expliques le succès du festival ? En 24 heures tout était vendu.
J’explique depuis 4 ans aux gens qu’il y a un super rap qui est en train de se développer en France avec des Hugo TSR, des Davodka, des Demi Portion, des Kacem Wapaleck, etc. Une nouvelle génération. J’explique à tout le monde que c’est ça le nouveau rap et tout le monde continue à aller sur Youtube regarder de la merde. Il n’y a pas que le Rap Game, il y a le rap comme celui-là, adulte indépendant. Et il y a des gens qui sont intéressés donc c’est aussi un message aux radios et aux maisons de disques qui ne le diffusent pas.

Trois dates de concerts, deux expos dont une de graffs. Les graffitis dans une galerie, donc enlevés de leur contexte, tu n’as pas peur que ça perde de son sens?
Ce n’est pas une expo d’art, c’est une expo d’histoire. Ce ne sont pas des tableaux, ce sont des photos. Des photos de graffs qui ont été faits dans des rues ou dans des métros. Des photos inédites, des photos d’il y a 25 ans, 20 ans ou 10 ans. Il y a une histoire. C’est plus un reportage, un documentaire photo. Pour moi les graffitis doivent être dans la rue et les photos que je montre sont des photos de rue, de toutes les époques. Avec des thèmes: la genèse de 82 à 85, la génération Stalingrad de 85 à 92, la guerre du métro avec un zoom sur le Louvre et sur les nouvelles équipes comme les UV TPK, une période sur Paris sous les bombes avec toutes les nouvelles équipes qui ont fait les stores, les camions, qui ont exploré des nouvelles voix. Un historique chronologique avec des zooms sur des personnages, des crews ou des endroits.

 

Centre Barbara

 

Si je comprends bien, tu es très attaché à cette culture des années 90.
Oui je suis un conservateur, une sorte d’Indiana Jones. J’aime bien l’histoire qu’on m’as appris à l’école et je pense qu’aujourd’hui il devrait y avoir le musée du graffiti qui retracerait l’histoire et des légendes urbaines comme Boxer dont je n’entends jamais parler. C’est pour ça que j’expose, pour mettre en lumière certains mecs qui ne l’ont pas assez été comme des Chaze, les CKC, un tas de crews qui sont peut-être oubliés. Aujourd’hui, il y a une poignée de mecs, une dizaine que j’aime beaucoup et qui prennent beaucoup la lumière et j’essaye juste de la redistribuer un peu.

Le choix des noms s’est fait comment?
J’ai essayé de prendre un mec de chaque crew, un graff symbolique de chaque équipe, un peu de tout le monde. On a vraiment essayé d’être larges, il n’y a pas de douanes. On essaye d’être juste dans les choses qui ont marqué Paris, par rapport à des événements, des lieux. Il y a eu des graffs célèbres, des spots qui ont marqué plus que d’autres, des événements comme la station Louvre. Il y a eu des événements sociaux comme l’abolition de la première classe qui est un impact direct du graffiti. Donc c’est aussi l’impact social, c’est aussi montrer l’histoire avec les archives de journaux; montrer le traitement médiatique de chaque époque. A Un moment ils ont aimé, ils ont validé et puis à un autre, ils ont fait de la répression, il y a eu des amendes. Aujourd’hui c’est du Street Art, ils n’arrêtent pas de changer de pied tous les 10 ans.

Actuellement comment sont vus les graffitis ?
Quand tu appelles ça « street art » ils aiment bien mais quand tu appelles ça comme ça doit s’appeler: vandalisme ou graffiti… Pour moi, c’est la branche la plus extrême de la peinture et pour l’instant ils essayent de trouver des noms pour rentrer en galerie dans le 6ème arrondissement. Le street art et le graffiti sont deux choses différentes. Le pochoir, le collage c’est encore un autre art.

Tu as commencé par le graff ?
Oui, j’ai commencé dans les années 88, c’était l’époque ou y avait déjà des grands avant nous comme Boxer, Bando, Mode2, toute cette vague là. Nous on a vu ça, on était petits, ça suivait le mouvement, on y allait.

Avant c’était plus compliqué ?
C’était déjà chaud, c’est un acte illégal à la base le graffiti. Mais il n’y avait pas les caméras, il n’y avait pas eu les attentats dans le RER. Maintenant il y a le plan Vigipirate et c’est chaud le métro. C’était un peu plus facile quand même. Les flics couraient moins vite, leurs bagnoles allaient moins vite. Aujourd’hui tout va plus vite, tu es filmé.

En tant que rappeur engagé, tu penses quoi du fait que le festival prenne vie dans le contexte actuel des attentats et de l’état d’urgence?
Oui je suis engagé mais j’aime bien faire la différence entre les militants qui sont sur le terrain et les gens comme nous qui ne sommes pas sur le terrain mais qui écrivons. Nous faisons de la résistance par l’art.Notre réponse a toujours été artistique. La vie continue. Après les événements qu’il y a eu la meilleure réponse à donner, c’est la vie. C’est de faire des choses, de continuer. Tu meurs quand tu meurs, tu ne choisis pas. Des gens qui meurent, il y en a tous les jours partout dans le monde. Les vivants se doivent d’avancer, de regarder devant, de ne pas être dans une parano, une psychose. On est des artistes, on continue par le hip-hop. On va réussir à mettre les gens ensemble, solidaires. Des blancs, des noirs, des arabes, des juifs, des chinois, des yougos, ce que tu veux. On est unis par une musique, par un art. On est plein de gens qui ne se connaissent pas. On se retrouve dans un lieu parce qu’on aime les mêmes choses et c’est ça le message qu’on passe. On le faisait avant et on le fera après.

Et pourquoi faire un musée sur la Scred maintenant?
Il y a plein de gens qui nous demandent des choses qu’on a pas envie de mettre sur Facebook, sur youtube. On a des trucs marrants, des archives pas mal, on a un tas de toiles qu’on nous a offertes. On les a dans le salon. J’aimerais bien que les gens les voient. Les photos à l’ancienne quand on a démarré le rap, les photos du quartier comme c’était à l’époque. C’est l’histoire d’un quartier aussi. Et puis Jean Marc de l’Ecomusée ça fait des années qu’il nous le demande. Ça fait des années qu’il nous suit, depuis qu’on est petits. Je lui ai dit que c’était l’occasion. On fait un festival, on intègre l’Ecomusée avec un truc autour de la Scred.

L’Ecomusée c’est dans le 18ème aussi ?
Oui à la Goutte d’Or, au square Léon, c’est un musée indépendant qui existe depuis 25 ans qui fait défiler les artistes, les peintres, les photographes. C’est un super lieu d’exposition. On a voulu créer un spot, un espèce de circuit : Centre Barbara, Ecomusée, un spot de graffitis le dimanche. J’attends de savoir si on pourra travailler avec le Louxor pour le cinéma.

Pour les concerts ça se passe au New Morning, pourquoi?
Pour moi la salle mythique à Paris c’est l’Elysée Montmartre. Ça a brulé, c’est fermé et je voulais rester sur une salle pas loin de Barbès pour rester dans cette idée de circuit. Puis le New Morning c’est aussi une boîte de jazz, de funk, c’est aussi les discours d’Assemblée. C’est le lieu culte de la groove musique à Paris. Tout ce qui est Black Music.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour le Scred Festival?
J’espère que les gens vont kiffer, qu’ils seront là l’année prochaine pour la deuxième édition. C’est un bébé qui naît. Pour tous ceux qui n’ont pas pu avoir de places, on va en remettre en Janvier, genre 20-30 par jour pendant 5 jours pour que tout le monde puisse en avoir. Au départ quand on a organisé ce festival c’était sans prétention, on ne savait pas si ça allait prendre ou pas et là je vois qu’il y a du monde qui a vraiment envie d’y être, on est coincés. Mais pour l’année prochaine, on va réfléchir à comment faire pour ramener tout le monde.

C’est l’affiche qui a créé cet engouement aussi je pense
Tous les ans ce sera comme ça, chaque année la barre va monter. Là c’est la margarita, la pizza de base. Chaque année on va ajouter des pepperonis, des olives, des oignons, du boeuf, des rillettes, ce que tu veux. Au goût des gens.

 

Eleonore Santoro

À proposEleonore Santoro

"Si vous ne vous levez pas pour quelque chose, vous tomberez pour n'importe quoi." Malcom X

2 commentaires

  1. Franchement la scred juste respect. En tant qu’artiste ou producteurs vous faites tjrs les choses avec classe et respect du hip hop, sans promo de ouf mais la qualité est tjrs tjrs la. Merci de me faire garder espoir en notre music parce que cest pas tous les jours facile. Respect a vs et j’espère réussir à choper des places pour les festival, parce que « la scred en live, cest d’la balle et les vrais le savent.. »

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