Propageant sa dernière salve estampillée Salem City Rockers, La Gale – de son vrai nom Karine Guignard – était de passage à Paris à l’occasion d’un concert au O’Sullivan, Boulevard Clichy. Alors forcément, nous aussi, nous sommes passés par le XVIIIème, pour rencontrer celle que beaucoup ont découvert à l’écran, en 2011, dans la série De l’Encre. Rendez-vous pris, rue des Abesses, pour échanger quelques mots avec une artiste multi-talents, dont le dernier projet contamine les bacs depuis le 2 octobre. Une interview marquée par la présence de plusieurs invités réunis sur l’album (Rynox, Eagle…) et à laquelle s’est joint INCH, l’un des deux beatmakers avec lesquels la rappeuse lausannoise a choisi de collaborer.
Après un premier album plutôt engagé, tu viens de sortir Salem City Rockers, qui présente un peu la même tonalité. Qu’est ce qui as nourri la préparation de ce nouvel opus ?
Selon moi, il n’a pas vraiment la même tonalité ! Il y a des choix plus empiriques dans cet album d’une certaine manière. J’ai sauté un peu moins à pieds joints dans le premier degré ! Concernant la préparation, elle a été radicalement différente. Géographiquement parlant déjà, je n’ai pas travaillé à Lausanne, avec un beatmaker de Lausanne mais avec Inch et Al’Tarba. Du coup, on a travaillé par salves, c’est à dire qu’on faisait des sessions de cinq ou six jours pour bosser les compos et on maquettait en fin de session. Au final, sur une année, on a dû se voir sept fois ! On a bossé en dehors de Lausanne et en dehors de Paris, histoire de ne pas trop être dérangé, en se donnant une trame de travail à la base, mais la collaboration s’est faite assez naturellement.
Justement, cette collaboration avec Inch et Al’Tarba, c’est plus le fruit d’une rencontre spontanée entre vous ou un véritable choix artistique ?
La Gale : Les deux en fait ! On s’est rencontré, on a eu l’occasion de passer pas mal de soirées ensemble, d’échanger sur notre taf. Après, c’est moi qui suis allée les chercher !
INCH : C’est vrai que vu le contexte de la proposition de travail, ça pouvait ressembler à trois mecs bourrés qui se disent, « Allez, on fait un album ensemble ! », mais en fait c’était beaucoup plus concret que ça ! Ensuite, il restait à nous synchroniser au niveau de nos agendas respectifs.
La collaboration s’est-elle faite naturellement entre vous par la suite ?
INCH : Oui, et beaucoup mieux que je n’aurais pensé d’ailleurs ! Dans le sens où moi aussi, c’était la première fois que je travaillais avec Al’Tarba. On avait déjà fait quelques instrus ensemble, mais de là à ce que ça fonctionne aussi bien… Pour preuve, il n’y a que trois instrus que nous n’avons pas utilisé pendant la préparation de l’album. On savait où l’autre voulait aller et on a tapé juste à chaque fois, alors que ce n’est pas toujours évident quand tu travailles avec un beatmaker. Généralement, quand tu fais une instru, tu sais toujours où tu vas et il ne faut pas que l’autre interfère et court-circuite ton idée ! Là, on voyait où chacun voulait aller et on s’est laissé le temps d’aller au bout de nos idées.
Et pareil avec la partie « voix », tu as pu te greffer au travail facilement ?
La Gale : Oui, ça s’est mis assez naturellement en place ! Quand ils préparaient une instru, parallèlement, moi, je me mettais au texte et on s’est souvent retrouvé dans la même pièce sans se parler. Ils avançaient sur leur truc, j’avançais sur le mien, et c’est quelque chose qui est commun à la manière dont j’ai travaillé sur le premier disque. De longues sessions où tu ne te parles pas mais, finalement, mises à part une ou deux fois, on a crée les morceaux assez vite et assez naturellement.
Mêler et respecter vos univers propres n’a pas posé de problèmes sur la durée ?
INCH : La création du premier morceau, Qui m’aime me suive a été assez révélateur de la suite de l’album. A partir de ce morceau, on a vu qu’on allait dans la même direction. Il n’y a pas eu de bug et le titre n’a pas mis du temps à partir. Le premier jour, on a fait l’instru, Karine avait déjà une partie du texte en place et ça nous a donné la foi pour les morceaux qui ont suivis. A la base, Karine nous avait parlé d’un univers assez blues et rock malsain. Est-ce qu’on a respecté cette volonté du début à la fin ? Je ne pense pas mais au final, on a trouvé un bon compromis pour que chacun s’y retrouve.
La Gale : Il y a des choses qui se sont faites tout naturellement, d’autres où on a exploré différentes pistes en fonction de la couleur que je voulais donné à l’album. A un moment donné, il y avait une instru de country que je voulais intégrer et je n’arrivais pas du tout à rentrer dedans. Comme j’écoute plein de choses différentes musicalement, le challenge était donc de savoir si on pouvait être à même de synthétiser ces univers pour en faire vraiment du « peu-ra ». Et eux, ils ont super bien joué leur rôle en s’efforçant d’aller toujours chercher de la chair à ces idées là.
« On va continuer à faire des choses ensemble, c’est sûr ! »
Diriez-vous que cette expérience sur cet album vous a fait évoluer mutuellement au niveau artistique ?
La Gale : Tout ce que tu fais te fait évoluer, mais c’est vrai que collaborer avec des gens est toujours une évolution supplémentaire. Chacun n’est pas strictement cantonné dans son rôle, c’est à dire qu’à un moment donné, eux, ils ont été amenés à se mettre en danger sur certaines instrus en proposant des choses différentes de ce qu’ils ont l’habitude de faire, tout en ayant leur avis, et ça te fait avancer.
INCH : Par exemple, pour l’outro on a regardé tous les bpm qu’on avait utilisé et on s’est aperçu qu’on avait pas de tempo super lents ou super rapides. Et si on regarde bien, je pense qu’on a vraiment abouti les trucs au maximum. Je n’ai pas l’impression qu’on ait découvert de nouvelles techniques de beatmaking mais ce projet nous a vraiment poussé à aller au bout des choses pour avoir un produit le plus abouti possible.
Du coup, envisagez-vous déjà d’autres projets ensemble ?
La Gale : L’album vient à peine de sortir, donc on va prendre le temps de le faire vivre, et on verra par la suite. Mais oui, effectivement, on va continuer à faire des choses ensemble, c’est sûr !
« Tout n’est jamais parfait, sinon tu peux passer ta vie à écrire des textes et ne jamais rien sortir ! »
Parlons un peu du titre de l’album, « Salem City rockers », comment l’as-tu choisi ? A son évocation, on pense bien entendu au procès de Salem et à la « Chasse aux sorcières » qui s’y sont déroulés.
La Gale : Et il y a un album des Clash qui s’appelle Clash City rockers ! C’est un clin d’oeil à ce groupe et cet album que j’aime vraiment bien. Après, je pense que « la chasse aux sorcières », ça reste un thème d’actualité…
Au niveau de l’écriture, on ressent une certaine spontanéité tout au long de l’album, comme un grand cri sorti des tripes. Comment as-tu travaillé cette partie ?
La Gale : Je vais rejoindre un peu ce que je te disais par rapport à notre travail en studio, j’avais déjà quelques corps de texte préparés, un peu pêle-mêle sur 50 feuilles volantes et partagés dans différents dossiers. J’avais aussi une petite sélection de trucs que j’avais fait assez récemment et pour le reste, ça a été pas mal d’écriture sur les instrus.
Tu as eu beaucoup de recul sur cette écriture ou est-ce quelque chose que tu as jeté spontanément sur le papier ?
La Gale : C’est toujours difficile de dire si on a suffisamment de recul, mais le fait d’avoir maquetté au fur et à mesure le travail, ça te permet d’écouter ce que tu as fait et d’avoir justement un peu de recul. Ensuite, quand tu passes en studio, tu sais quels passages il va falloir changer. Après tout n’est jamais parfait, sinon tu peux passer ta vie à écrire des textes et ne jamais rien sortir !
Évoquons les invités sur cet album, et en particulier le featuring avec Vîrus (Sous une rafale de pierres). Comment s’est faite la rencontre entre vous ?
La Gale : Vîrus, je l’ai rencontré à Genève, début 2013. Je bossais dans une salle de concert où je l’avais programmé et je lui ai vaguement parlé de la préparation de mon disque en lui disant que ça m’aurait fait plaisir de l’inviter dessus. Je dois dire qu’il n’est pas toujours démonstratif donc, sur le moment, je me suis dit que ça n’avait pas vraiment l’air de l’intéresser (sourires). Finalement on s’est recontacté au moment où on bouclait les derniers séquençages, je l’ai relancé et il m’a dit « OK, c’est parti ! ». J’avais déjà écrit et posé mon texte, et je lui ai passé la maquette. Du coup il n’avait plus qu’à rentrer dedans, c’était un peu quitte ou double ! Il a planché sur le truc de son côté, on s’est vu à Paris dans le studio du Gouffre et on a kické ça !
Tu peux nous dire un mot sur les autres personnes présentes sur l’album, même si quelques-unes sont avec nous aujourd’hui ?
La Gale : Ok ! Donc Il y a déjà Rynox, Obaké et Abstral, qui sont des vieux potes de Lausanne avec qui je bosse depuis longtemps. Les deux personnes qui font les instrus et qui bossent sur les samplers sont nos deux « ingé-sons », du coup cet album, c’est une histoire familiale ! Il y a également DJ Chicano et Eagle que j’ai connu lors de soirées à Lausanne. Chicano nous a ensuite rejoint sur l’un de nos projet, en 2011, et Eagle, qui vient du crew SWC, un super label indé lausannois, nous a rejoint fin 2012.
Une tournée est prévue pour accompagner la sortie de l’album ?
La Gale : Oui et on est en plein dedans ! On descend dans le sud-ouest prochainement et on va enchaîner pas mal de dates dans toute la France à partir de fin octobre..
Une partie du public français t’as découvert en 2011, via De l’Encre. Peux-tu nous dire ce que cette expérience t’a apporté en tant qu’artiste ?
La Gale : Forcément, quand tu n’as jamais joué dans un film et qu’on te propose un premier rôle, ça t’apporte quelque chose. Le lot d’insécurité inévitable au début c’est certain, mais j’étais très bien entourée et ça m’a appris à jouer et à être généreuse dans tout ce que tu fais parce que si tu ne rentres pas dans le personnage que tu incarnes, ça ne va jamais marcher ! Ça t’apprend une rigueur et surtout à fermer ta gueule dans un univers qui n’est pas forcément le tien !
Envisages-tu d’autres projets derrière l’écran dans un futur proche ?
La Gale : J’en ai quelques-uns mais je n’en parle pas pour l’instant ! Ça n’a pas d’intérêt tant que rien n’est lancé.
Sur le clip Pétrodollars, il y a la présence de Slimane Dazi, tu peux nous dire quelques mots sur votre connexion ?
La Gale : Slimane, c’est un pur acteur et un ami donc quoi de plus normal de l’avoir invité. D’ailleurs il était parfait pour incarner le personnage de ce type là. Il est venu de manière spontanée, il avait le son, le scénar’ que j’avais écrit, et il a dit « OK » directement.
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EPILOGUE…
Le hasard faisant parfois bien les choses, les minutes précédant le début de cette interview nous ont offert l’occasion d’une balade improvisée rue des Abesses, et d’une rencontre inattendue avec… Slimane Dazi (Un Prophète, Les hommes libres, 96 heures…) ! Contact pris avec l’acteur, venu nous rejoindre à l’issue de l’interview et acceptant de nous confier quelques mots sur sa rencontre avec Karine Guignard et sa participation au clip Petrodollars :
SLIMANE DAZI : « CETTE FILLE EST UNE ÉTOILE ! »
« Karine, c’est une artiste que je connais par le biais du collectif La Rumeur qui a écrit la série De L’Encre. A l’époque, je ne la connaissais pas vraiment bien comme musicienne. Moi, à la base, j’ai plutôt des influences musicales provenant des sons « crado » des années 70. Je n’ai pas une grande culture hip-hop français mis à part quelques références comme La Rumeur justement, Rocé, ou NTM. Mais j’ai été agréablement surpris par ce qu’elle fait et la découvrir a été une rencontre forte, simple, sincère, avec une artiste qui n’hésite pas à prendre des risques, à se mettre en danger… Bref, cette fille est une étoile, le genre d’artiste qui a du talent à l’état brut ! Après De l’Encre, on est resté en contact et on s’est recroisé plusieurs fois. Pour le clip, elle m’a envoyé un texte, je l’ai lu et j’ai écouté le morceau. Une idée géniale, épurée, poétique qui m’a plus tout de suite. J’ai répondu directement. On a tourné le clip vers Bordeaux, au mois de juin, et ça n’a été que du kif’ durant les deux jours de tournage ! ».