Interviews Rappeurs

Interview – Lartizan

Parce que les acteurs les plus intéressants d’un milieu sont rarement ceux qui sont le plus mis en avant, on a eu envie de placer en première ligne un label au sens large, qui trouve sa définition dans non pas une mais deux entrées du dictionnaire. Structure aussi qualitative que musicale, LZO Records dispose déjà d’un catalogue impressionnant d’éclectisme et d’exigence, qui n’est voué qu’à s’étendre. Rencontre avec Lartizan, directeur artistique et beatmaker pas comme les autres, pour parler de lui et de sa maison musicale. Ce sera aussi l’occasion d’un retour sur sa collaboration avec Sept, et d’une discussion autour de l’album à venir d’un putain de poète, plastiqueur de verbe et exploseur de codes.

Le Rap en France : Est-ce que tu peux nous faire une petite présentation du label LZO et de ce que tu y fais, te présenter rapidement ?

Lartizan : LZO est un label qui vient du rap à la base, et qui s’est élargit via les évolutions de producteurs à d’autres musiques depuis quelques années. Pour ma part, je suis beatmaker donc, j’ai lancé ce label y’a bientôt dix ans, en 2003, pour sortir un CD avec Skeezo (ndlr : qui se fait aujourd’hui appeler Skeez’up) avec qui je faisais des remixes. C’est un label indépendant toutce qu’il y a de plus simple, basé sur la qualité de son catalogue, et j’en suis donc le directeur artistique.

On a le sentiment que c’est un label très porté sur la musicalité, c’est voulu au départ cette position ?

C’est naturel en fait, c’est le fait d’être qui je suis qui fait cette position là. J’écoute des trucs très musicaux depuis que je suis petit, plus que des musiques bruitistes ou à textes particulièrement. Je suis beaucoup dans tout ce qui est harmonieux et agréable, donc je pense que c’est naturel mais en effet c’est un point que l’on m’a déjà fait remarquer et maintenant que j’en suis conscient, j’en fait un point principal. Sortir des disques agréables à écouter, vraiment, qui ne soient pas juste des disques de posture.

Personnellement, quelles sont tes influences musicales, ce qui t’as poussé à faire ce métier ?

A la base, je pense que c’est ce que mon père me faisait écouter quand j’étais petit. C’est à dire d’un côté toute une partie chanson française : Gainsbourg, Brassens, Reggiani, tout ça…. Donc ça, ça m’a un peu apporté le côté amour de la langue. D’un autre côté beaucoup de soul, Marvin Gaye etc, et puis après moi en grandissant je me suis pas mal penché sur la pop anglaise, le rock, les seventies évidemment, c’est un peu ça les principales influences.

Comment tu en es arrivé au rap ?

(Il réfléchit un instant) Par le sampling je pense. En fait, au début j’aimais pas ça du tout. Et puis à force d’avoir des potes qui en écoutaient un petit peu, je me suis penché dessus. J’ai toujours trainé avec des musiciens en fait depuis que je suis petit, qui ne faisaient pas du tout du rap, qui étaient plus dans d’autres styles musicaux, et moi qui ne suis pas musicien à la base j’avais peut-être une frustration par rapport à ça. Quand j’ai commencé à redécouvrir des musiques que moi j’aimais, qui étaient mises ensemble dans du rap, ça m’a attiré et m’a fait écouter plus de rap, d’autres morceaux, ça m’a fait découvrir un maximum de choses jusqu’à finalement plonger dedans complètement. Pendant peut-être 8 ou 10 ans je n’ai écouté quasiment que ça, j’écoutais beaucoup moins les autres choses qui sortaient.

J’ai lu un truc qui m’a beaucoup plu sur ta mini-biographie, sur le site LZO : tu écoutes toujours un album du début à la fin. T’es conscient que c’est un truc qu’on voit plus beaucoup aujourd’hui, pourquoi c’est si important pour toi ?

J’en ai aucune idée, c’est peut-être un côté rituel, un petit peu le côté sacralisation de l’oeuvre. C’est moins vrai entre le moment où je l’ai écrit – ça devait être il y a quatre ou cinq ans – et maintenant.

Ca a changé depuis ?

C’est pas que ça a changé, mais c’est vrai que je me laisse plus prendre maintenant à mettre des modes shuffle sur un Iphone, ou à laisser tomber ce qui vient. Mais je pense que c’est juste un truc de sacralisation de l’oeuvre en fait. Quand je m’écoute un disque que j’aime depuis longtemps, j’aime bien mettre play, le morceau un, et écouter jusqu’à la fin. Bon souvent je suis arrêté avant la fin parce que  y’a des activités, des choses… Mais dans l’absolu oui, je ne me mets pas les trois morceaux que j’aime, et j’oublie le reste…

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« Je ne sais pas faire des instrus en fait, quelque part (…) Il faut que j’ai un appui avec une voix (…) »

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C’est quelque chose qu’on ressent dans ton album avec Sept (ndlr : Le Jeu du Pendu, 2008), qui s’écoute très bien de bout en bout. C’est plutôt rare un album rappeur/beatmaker en France, j’ai même pas le souvenir qu’il y en ai eu…

(Tout de suite) Si je pense quand même, pas mal. T’as D.Abuz System, c’était Mysta D et Abuz

Je veux dire comme Sept & Lartizan, avec les deux artistes présentés de façon indépendante.

Ah d’accord. Il y en a eu mais dans des petits trucs pas trop connus, tu vois DJ Tren & Rappeur Dezé ? Ils avaient fait un truc qui s’appelle Connoisseur où c’était un peu le même concept, un beatmaker qui faisait tous les sons et un rappeur qui faisait tous les titres. Mais sinon oui, c’est plutôt rare.

Et comment est venue cette volonté de vous mettre tous les deux sur un même plan ?

Moi, j’ai été trouver Sept pour lui proposer de lui produire un album entier, avec l’idée que c’était super pour moi d’avoir un mec qui rappe bien et de pouvoir concevoir tout, pas juste un morceau. De pouvoir réfléchir à différents morceaux, différentes ambiances, une intro, comment on finit les choses… Et en fait c’est plutôt lui qui, quand je lui ai proposé ça, m’a dit « ok mais alors on se mets tous les deux sur la pochette, tu mets ton nom » et tout. Moi j’étais pas trop… Enfin, c’était l’action de le faire qui me branchait plus que d’avoir écrit mon nom ou quoi. Je lui avais même proposé au début des premières pochettes où j’avais essayé de mettre mon nom rajouté en petit… Mais il tenait vraiment à ce que ce soit écrit pareil, donc ça s’est présenté comme ça en fait, voilà pourquoi c’est Sept & Lartizan.

Y’a une vraie osmose entre ses textes et tes productions… Comment vous avez travaillé ça ?

Ca, je pense que ça vient pas mal de moi pour le coup. Parce que lui avait sélectionné des boucles que j’avais, je lui avais proposé tout ce que j’avais en fait, je lui avais dit « fais toi plaisir ». La plupart des trucs qu’il a pris c’est des choses que j’avais pas l’intention de poursuivre plus loin, et en fait j’ai travaillé comme des remix la plupart de l’album, à un titre ou deux près, allez peut-être trois titres maximum qui ont été posés sur ces versions. Comme avant j’avais fait trois albums de remix avec Skeezo et qu’à cette époque j’arrêtais pas d’en faire, pour la plupart des morceaux j’ai recréé des musiques en repartant de zéro autour des A Capella qu’il avait posé. C’est un peu mon truc d’essayer de trouver des ambiances autour des voix, c’est ce que je préfère en fait… Tu vois par exemple, quand je fais des intrus… Je ne sais pas faire des instrus en fait quelque part, genre ça y est mon instru est fait et je passe. Il faut que j’ai un appui avec une voix, j’ai toujours travaillé comme ça. Ca m’a permis d’avoir dix-huit ou seize A Capella, de vraiment pouvoir choisir que ce morceau là allait être plus comme-ci, un autre plus comme ça…

Pour revenir sur la pochette, elle est particulièrement originale, d’autant que chez la plupart des duos rappeur/beatmaker, je pense à Pete Rock & CL Smooth ou Gangstarr par exemple, c’est toujours leurs têtes qu’on voit dessus. Tu peux nous dire d’où elle vient, et ce qu’elle symbolise ?

Alors d’où elle vient c’est hyper simple, c’est Sept qui était en vacances aux Philippines et qui est tombé sur une carte postale. Il me l’a envoyé en ayant écrit dessus « ce serait cool pour la pochette non ? ». A ce moment là on devait être à la moitié de l’album, même si on pensait qu’on en était bientôt à la fin. C’était vachement bien parce que sans le dire, ça représentait plein de trucs qui nous plaisaient. Moi j’adore le côté enfant déjà, à savoir que LZO par exemple, je vois ça comme un truc où on essaie de garder un esprit d’enfant dans un monde d’adulte. Il y avait aussi ce côté  « notoriété et musique », vue comme une course, comme des gamins qui veulent aller plus haut que les autres, où tout le monde regarde celui qui monte. Après c’était plus des trucs sous-jacents que ça nous a évoqué l’un et l’autre. Lui te répondrait sûrement des trucs totalement différents, moi par exemple ça m’a évoqué le fait que quand tu montes, t’as tendance à ne plus être avec tes copains, c’est un peu un classique dans l’industrie du disque, dans la vie. Et même si tu montes pas, t’évolues et c’est la même

Quant à savoir pourquoi on a pas mis nos gueules dessus, et bien écoute moi j’ai jamais été dans une optique de mettre des gueules sur des pochettes. Ca nous est déjà arrivé, Dreyf par exemple le voulait pour sa mixtape, pour Taipan c’était une photo bien particulière ou on le voit, mais à part ça Soklak ne montre pas sa gueule sur ses pochettes, Sept ne l’a jamais fait non plus. Puis j’aime bien développer un catalogue d’images un peu originales, quand tu regardes la pochette de Maow Airlines, des Courants Fort, du Jeu du Pendu, ça dénote par rapport à ce qui se fait en rap français quoi. Une pochette avec juste l’artiste dans une pose, tu en as des milliers. Celle-là elle est très colorée, l’agencement des couleurs est super beau, tu ne l’oublies pas tu vois. Si un jour on fait un poster des covers de notre catalogue, j’aimerais qu’il soit magnifique.

En parlant d’enfants, qui est celui qu’on entend à la fin de ‘Memento Mori’ ?

C’est mon premier fils, Basile, quand il avait trois ans et qu’il commençait à parler. On lui a donné la liste de tous les prénoms d’enfants qui sont nés dans notre entourage entre le moment ou on a commencé l’album et le moment où il est sorti. C’est un petit clin d’oeil privé, sur une très bonne idée de Sept. Comme on aimait bien la petite musique derrière et sa manière de parler, on l’a fait.

Il y a une suite de prévue à cet album ?

Pas du tout. Ca a toujours été prévu comme un one-shot. Pour Sept, c’était censé être un petit intermède dans ses projets persos. On devait faire ça en six mois au début, et faire huit ou dix titres. Finalement on l’a fait en trois ans et demi et il fait dix-huit titres, donc ça a pris beaucoup d’espace sur ce qu’il avait envie de faire, et je pense que si il fait d’autres choses ce sera pas avec moi sur un projet complet. D’ailleurs je ne sais pas s’il a envie vraiment de faire d’autres projets. Des morceaux ça oui j’en suis sûr. Mais nous en tout cas on a pas du tout de suite de prévue, et je ne pense pas qu’on en fera une parce qu’on a vraiment vraiment beaucoup morflé quand on l’a fait.

Morflé, à quel niveau ?

C’est vachement engageant de faire un album entier avec quelqu’un. On a tous les deux des caractères forts donc on s’est pas mal pris la tête sur plein de points artistiques. En plus de ça, on a investi dans un studio et ça s’est très mal passé avec l’ingénieur du son et le studio, on arrivait pas du tout à ce qu’on voulait, donc on a été démotivés et on est reparti à zéro. Finalement, j’ai décidé de le mixer moi-même, chez moi. Et puis c’était la première fois que je mixais un vrai album de mon côté, donc c’était beaucoup de pression et de galère, j’ai mis vraiment du temps à trouver ce que je voulais, d’autant que c’était un album consistant avec beaucoup de choix à faire. C’était surtout ça quoi, le mélange de nos deux caractères, et les caractéristiques techniques d’un projet indé vraiment auto-prod, où t’as pas de facilités avec un studio, un ingénieur, où tout ce passe bien et où il n’y a plus qu’à enregistrer.

Sept a réalisé un petit couplet récemment (ndlr : ‘Edito‘), ça n’annonçait donc rien ?

Non, c’était une façon de…(hésitant) En fait, pendant deux ans il n’a rien fait du tout, il s’est complètement retiré et on n’a pas entendu parlé de lui, même nous ses potes on ne savait pas trop ce qu’il devenait, plus ou moins… Puis en discutant après on s’est dit que le meilleur moyen de réessayer de faire des choses, au lieu de se mettre sur un projet et tout, c’était d’écouter des petits sons, de voir ce qu’il avait envie de faire puis il s’est retrouvé à écrire ça parce que c’était la période des élections, c’était un peu relié. Donc c’était un peu spontané.

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« En France, il n’y a pas grand chose qui me motive »

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Est-ce qu’il y a d’autres rappeurs avec lesquels t’aimerais bosser ? T’as sûrement lu l’interview de Ill sur l’Abcdrduson. Quand il dit qu’il recherche des productions, ça te donne pas envie d’en faire ?

Oui et non. En fait j’avais proposé à Daphné – la manageuse de Cassidy en fait vu que X-Men n’existe plus mais qui s’occupe un peu de lui aussi apparemment, de lui proposer des choses. Apparemment il cherche des instrus oui, mais ça ne m’a pas plus motivé que ça, ce qui m’étonne moi-même finalement. Donc non aujourd’hui, au moment où je te parle, j’ai pas d’envies spéciales. J’ai envie de réaliser un super album pour Ahmad, pas forcément de faire les sons moi-même mais de co-réaliser le tout avec lui, l’oeuvre au sens propre. Sinon à part ça, en France il n’y a pas grand chose qui me motive.

Ce manque de motivation, c’est la raison pour laquelle on te voit très peu à droite à gauche ? Je sais que tu as produit un morceau pour Nakk…

Oui, c’était un hasard total. Ce ne sont que des hasards en fait, je n’ai jamais vraiment démarché. C’est en rapport avec ce que je te disais, je ne sais pas faire des sons finis moi-même à partir de zéro en fait, limite il faudrait que je fasse des remix, que j’enlève les voix et que je les propose aux gens pour qu’ils voient ce que j’ai envie de faire parce que sinon je ne sais proposer que des petites ébauches, des petites boucles. A l’époque j’avais essayé deux ou trois fois avec des gens, mais ils ne rentraient pas dans le délire d’avoir la vision d’un tout petit truc qui tourne et qui pourrait devenir bien en morceau. Ca m’avait un peu démotivé et depuis, ben en parallèle je m’intéresse plus tant que ça au rap français donc bon…

Tout ça concourt à expliquer ta passion pour les remix. Qu’est-ce qui te plait dans cet exercice ?

C’est que tu peux faire ce que tu veux en fait, tout en ayant une sorte de grille qui est l’A Capella du mec que tu utilises, que ce soit du chant ou du rap, tu peux faire un truc super sombre et lent, ou doubler le tempo et faire un truc jovial… Commencer un remix pour moi c’est la promesse de ne pas savoir à quoi ça va ressembler à la fin, mais de faire un truc nouveau que je n’avais pas fait jusque là. C’est comme un jeu pour un enfant, comme si tu avais un nouveau jeu à finir, c’est fun (sourire).

Pour en venir à Ahmad, quand tu fais le remix de ‘Big Ben’, quel est ton but ?

En fait mon but à la base c’était de faire un morceau avec Ahmad. A la toute base j’avais vraiment envie de faire un morceau avec ce gars que je kiffe depuis longtemps. Celui-là il l’avait posé sur une face B de Pusha-T, donc il avait pas vraiment de morceau fait, d’habitude il arrive avec des morceaux déjà faits. En fait moi ce que je voulais faire, c’était que ce truc là ne soit même pas diffusé, juste qu’il pose une face B pour avoir un A Capella, pour avoir un support et faire un morceau, tu vois. Il se trouve que son label à l’époque (ndlr : Noy-Lab) l’a diffusé directement et a fait une vidéo, après ils ont diffusé l’A Capella à d’autres gens qui ont fait des remix aussi… Donc c’était un peu… Je l’ai fait quand même mais c’était un peu par défaut en fait. Pour moi c’était pas un remix à la base, plus une façon de travailler un morceau.

Il est devenu plus ou moins la version officielle…

Oui. Ce qui était mon but à la base. Et le fait que Steve Lejeune ait choisi de le clipper et de faire ça bien, ça a terminé de l’officialiser sous cette forme finale.

Il y a une vraie montée en puissance sur cet instru, une évolution, chose qu’on retrouve pas souvent en France…

C’est bien possible, d’autant plus que je ne l’aurais pas fait moi-même. C’est Ahmad qui m’a amené à ça. Au début je lui avais donné un truc assez droit finalement. Et c’est lui qui m’a dit « j’aimerai vraiment que ça démarre pas quand je commence, qu’il y ait un temps où je me pose, que les instruments arrivent petit à petit ». C’est même lui qui m’a proposé par exemple de ne laisser qu’une caisse claire dans quatre mesures et de ne rien mettre d’autre. Donc je me suis laissé porté, lui a vraiment une vision réalisation de morceau qui est hyper intéressante. Et ça fonctionne à fond.

Oui il fait beaucoup d’instrus aussi.

Il fait des instrus aussi, et en général, et je ne sais pas si tu as remarqué mais souvent ses instrus, il ne fait pas vraiment de réalisation dessus justement. T’as une boucle, t’as un couplet, t’as des scratchs au refrain, d’autres couplets, mais tu n’as pas ce côté évolution musicale. Donc là il s’est plus fait plaisir avec quelqu’un qui pouvait le faire pour lui j’imagine, et à qui il proposait. Et je testais des choses, je lui proposais, jusqu’à ce qu’on tombe d’accord sur une version.

En revanche, l’instru de ‘Mon Polo’ était d’Ahmad. Pourquoi avoir choisi de le remixer ? Le rendre meilleur ? Lui donner une nouvelle dimension ?

Je vais te répondre la même chose, je voulais juste faire un remix d’Ahmad, parce que je suis fan du mec. J’aime bien le son de ‘Mon Polo’ dans sa version originale, mais quand j’ai eu l’opportunité de me faire plaisir avec son A Capella qu’il m’a passé lui-même, j’ai foncé. Et puis c’était une occasion pour Steve, qui avait envie de faire une vidéo de beatmaking, de tester en direct, de me filmer chercher des sons, ça s’est combiné comme ça. Je suis fan de remix comme je te l’ai dit, je fais ça depuis toujours. Je ne voulais pas vraiment apporter quelque chose en particulier, juste le faire, prendre ma petite dose de plaisir égoïste, puis ensuite partager le résultat et le plaisir.

Ce making-of dont tu parles est assez drôle justement. Ca rejoint ce que tu disais, cette volonté de garder une âme d’enfant.

Ben au début il n’était pas drôle en fait, même un peu austère, voir poseur. Puis en le postant sur Youtube j’ai vu qu’on pouvait mettre des petits vignettes dont les gens se servent pour faire des liens promo. Moi j’ai préféré en faire des petites légendes marrantes, en effet, pour enlever un peu le côté « ouais t’as vu je fais de la production, filme-moi ».

Je sais que tu as entièrement remixé le EP d’Ahmad, Justin Herman Plaza. Tu comptes en faire quelque chose ?

Je ne sais pas du tout. Je ne suis pas satisfait de la moitié en fait, il y a plein de trucs à finir, j’ai pas le temps, et on a un super album en cours qui me motive dix fois plus. Peut-être que j’en diffuserai un ou deux autres dans les semaines ou mois qui viennent, mais je ne vais pas faire ce que j’avais un moment envie de faire, qui était de sortir un remix total du EP.

Il y a des titres où je n’ai pas réussi à apporter vraiment un truc, et dans ceux qui me plaisent vraiment il y en a un où il va récupérer l’instru pour lui du coup, pour faire un morceau. Je ne trouve pas que ces instrus étaient dingues, mais je trouvais que ça lui collait tellement bien que c’est vraiment dur de… Enfin tu vois des morceaux comme ‘Il neige éternellement’ ou ‘Défaite d’estime’, c’est vraiment son son à lui, qui est collé à lui à ce moment là, au moment où il l’a fait. C’est comme des blocs, c’est des morceaux qui sont plus durs à remixer que d’autres.

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« …(Avec Ahmad) on se focalise vraiment sur faire un petit bijou de dix titres, affiné »

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Tu peux en dire un peu plus sur cet album d’Ahmad en préparation ? Tu y fais quoi ?

Moi je fais la réalisation, la direction artistique. On prend des sons de plein de monde, d’un maximum de monde. J’espère quand même placer un titre ou deux, mais ce n’est pas du tout l’objectif.

Pas forcément des sons de proches de LZO ?

Non pas du tout, le but c’est juste de faire le meilleur album possible, donc tout est ouvert. Il fait des sons lui-même, il récupère des sons de plein de gars qu’il connait lui de son côté, je lui propose des sons de notre côté que ce soit de Skeez’up, des ébauches que je fais moi ou des gens autour. Là il est en grosse phase d’écriture qui devrait se finir d’ici fin 2012, après on passe à une vraie phase de réalisation, c’est à dire qu’on voit ce qu’il a posé, sur quelle maquette, et comment faire aboutir tout ça.

Il va sortir des sons avant l’album ?

Je ne sais pas, on se focalise vraiment sur faire un petit bijou de dix titres, affiné, le reste c’est du plus quoi tu vois. On ne se pose pas trop la question pour l’instant. Au début on s’est posé ces questions et en fait ça nous détournait de la vraie question qu’est cet album.

Qu’est-ce que tu entends par « vraie question » ?

Concrètement, ce que je propose aux artistes avec qui on bosse, c’est d’essayer de faire le meilleur disque possible, qui puisse rester dans le temps. C’est l’album qui reste, pas autre chose. Ahmad n’est pas quelqu’un de très productif à la base, il prend le temps pour chaque titre, pour chaque chose. Il a lui aussi une vie chargée à côté de la musique. Si on commençait à prendre du temps pour des petits objets promo, des vidéos ou des inédits il faudrait qu’il s’y implique vraiment. Il fait pas comme la nouvelle génération qui te sort cinq vidéos par semaine. Il pourrait sûrement, mais c’est pas son état d’esprit actuellement. Donc quitte à se qu’il se prenne vraiment la tête pour écrire des trucs bien et qu’on cherche des bons sons, autant que ça fasse l’album directement. Et quand on aura le tracklist final, on verra ce qu’il a envie de faire en plus, s’il y a des sons ou des textes non utilisés pour animer autour de la sortie.

Mais dans le fond de l’histoire, ce qui m’intéresse en tant que label, c’est de développer un catalogue qui défonce, sortir le meilleur album possible de tel artiste à tel moment. Après, à eux de voir ce qu’ils veulent faire autour, s’ils veulent être le profil de l’artiste moderne « entrepreneur » qui se prend en main, qui fait des vidéos, qui est présent sur internet pour répondre aux gens et qui gère ses pages, son business ou s’ils veulent être le profil du poète à l’ancienne. Je veux absolument que notre label garde la possibilité d’accueillir  des gens qui n’ont pas du tout envie de jouer le jeu qu’on nous oblige à jouer aujourd’hui, qui peuvent passer six ans dans leur coin à faire leur vie, écrire un morceau par an et à la fin se contenter de faire un dix titres. S’ils n’ont pas envie de faire de live, de répondre à des interviews ou autres, je veux leur fournir une maison où ce profil là est apprécié et où les sorties sont adaptées aux volontés de chacun. On ne va pas leur dire « ok c’est bien ce que tu fais, on peut sortir un album mais est-ce que t’es prêt à faire ceci, cela… », on ne veut mettre aucune condition qui finalement empêcherait de vivre plein de disques supers. Par exemple Fred Yaddaden, ce n’est pas un mec qui a envie de penser matin et soir à sa carrière, son développement ou sa notoriété, c’est un mec qui a envie de penser au disque qu’il va faire et à ce qu’il va laisser, et de vivre à côté, comme tout le monde.

De nos jours on dirait que si tu n’es pas prêt à te fondre dans le costume de l’artiste-entrepreneur, tu n’aurais pratiquement plus le droit de sortir un disque. En général, ça se traduit par des gens qui pensent leur disque comme un produit en amont, ou qui n’ont plus le temps d’être vraiment créatifs. Entre tous les réseaux à entretenir et satisfaire, la pression de ne pas être dans la course, le discours insupportable de l’industrie du disque, il y a de quoi se détruire mentalement à ce petit jeu. Et je pense que plus on est talentueux et différent dans son art, plus on est fragile à ce niveau. Il faut préserver la magie. OK, ce n’est pas le rôle du label, qui fait plutôt du commerce, mais ça fait partie de notre démarche quand même, de protéger la création non formatée.

Tu parles d’un « bijou de dix titres, affiné ». On pense forcément à Illmatic ou à Paid In Full en entendant ça. C’est ta conception d’un classique ? D’autant que les disques de ce calibrage se font rares…

Ca se voit toujours, Virus par exemple a sorti un douze titres très sobre où rien ne dépasse. Pour moi, ça remonte à quand j’étais très jeune, bien avant le rap. What’s Going On de Marvin Gaye fait neuf titres, dure 37 minutes et c’est le disque de toute ma vie. Pink FloydWish You Where Here, dure 40 minutes, il y a cinq titres et c’est magnifique. C’est vrai que plus le temps passe et plus je me rends compte que c’est ça mon format ultime d’album. D’autant plus qu’aujourd’hui on va avoir moins tendance à s’attacher à 70 minutes de musique. Avoir un 35-40 minutes super bien pensé où il n’y a ni déchets ni remplissage, pour nous c’est jouable en tant que réalisateurs parce que c’est pas un chantier de dix-huit titres où faudrait rien laisser passer et où ça nous prendrait des années, et en même temps ça nous permet de cibler des petits bijoux. Les Courants Forts d’Iris & Arm fait dix titres. C’est vrai que c’est contredit par Le Jeu du Pendu parce qu’on s’est retrouvés embarqués dans notre truc, mais comme je t’ai dit à la base je le voyais pareil, en dix-douze titres.

En invitant Dany Dan et Sako, Ahmad a montré avec succès qu’il pouvait s’entourer de figures importantes du rap français. Ca se reproduira sur l’album ?

On en parle pas mal, tout est possible mais aujourd’hui je n’en sais rien. C’est possible qu’il y ait un ou deux featurings avec des proches à lui pas connus du tout, comme il est possible qu’on arrive à faire un ou deux featurings avec des mecs un peu « cultes » qu’on a en tête. Je ne vais pas dire qui parce qu’on est pas sûr que ça se fasse, mais oui il y aura probablement deux ou trois featurings, pas plus vu le format.

Ahmad est tout le contraire d’un rappeur à thème, il déroule un sujet plus qu’il ne le creuse. Est-ce qu’il y a malgré tout un concept autour de cet album ?

Aujourd’hui non, mais ça peut arriver en cours de route. C’est souvent en construisant qu’on se rend compte qu’une thématique peut ressortir et qu’il faut orienter la chose avec un titre ou un visuel, mais on le sait rarement au début, en tout cas pour nous. Mais on ne pense pas vraiment en terme de thème. J’en suis arrivé à une réflexion super simple vis à vis de la musique : bon morceau, pas bon morceau. A mon oreille, parce que tout le monde n’a pas la même, et si ça se retrouve avec l’artiste c’est parfait. Mais thème ou pas thème, à la limite c’est un peu le dernier des soucis tu vois. Si tu as envie de réécouter le morceau, c’est gagné. Si c’est addictif, c’est gagné. Tout simplement. Enfantin.

Il se détache une sorte de liant entre ses quatre derniers morceaux, dans une posture qui se veut supérieure mais jamais connotée négativement. Ce côté un peu « egotrip intelligent » sera toujours de la partie ?

De ce que j’ai entendu, c’est du pur Ahmad dans le fond. La forme change un peu et va évoluer. Mais le fond, c’est les textes qu’on lui connait depuis Justin Herman Plaza. Il y a toujours ce côté détachement, voir les choses de l’extérieur peut-être, plutôt que se mettre au dessus je pense. Cette façon de se considérer comme un observateur. Quand il dit « C’est que des rappeurs, je suis un putain de paradoxe » ou « Le soleil, j’le moonwalk », pour moi c’est vraiment le côté « je m’en fous des règles du jeu, de ce que tout le monde s’inflige comme obligations et je fais ma bulle », ça montre simplement qu’il n’est pas dans le troupeau, ni à la recherche du dernier son à la mode. Avec Ahmad, on s’est retrouvés parce qu’il est lui aussi dans l’intemporalité, et c’est vraiment ce que je cherche à faire avec les disques qu’on sort. Il déroule une philosophie qui lui est bien particulière. A mon avis, c’est un puits sans fond son inspiration. Il n’a pas besoin de se dire « j’ai déjà fait un morceau sur les femmes, j’ai déjà fait un morceau sur l’argent »…

Tu dis que la forme va évoluer ?

Dans le son, ça risque d’être un peu plus sombre que ses derniers morceaux qui étaient plutôt lumineux, à part ‘Big Ben’ que j’ai fait et qui était un peu dark. On continue à chercher des trucs lumineux, mais on va peut-être aller vers des musiques un peu plus graves, plus profondes, plus tristes, sans que ça tombe dans le cliché mélancolique ou quoi, mais que ça fasse ressentir quelque chose de plus amer peut-être. Ahmad a toujours eu ce petit côté léger, là ça va être moins de la blague en fait, moins de la rigolade. En tout cas c’est la vision que j’en ai à mi-parcours, avec mon angle de caméra…

Pour finir, d’autres choses de prévues chez LZO ?

Et bien Ahmad c’est assez lointain puisque c’est encore en cours d’écriture (ndlr : l’interview est réalisée en novembre 2012). Là il y a trois projets principaux. L’album remix d’Iris & Arm en 3 CD avec des remix des membres du label plus des remix de participants au concours qu’on avait fait l’année dernière, l’album solo de Le Parasite qui est un disque instrumental avec quelques invités rap dont SeptArm, et deux ou trois anglais et américains, et l’album de G. Bonson qui est aussi un beatmaker du label, qui lui est vraiment instrumental pour le coup. Ca, c’est vraiment les projets qui sont finis et qu’on va sortir bientôt. A l’avenir il y a donc cet album d’Ahmad, et un artiste qui s’appelle Incredible Polo, qui n’a diffusé qu’un seul titre pour l’instant et qui devrait avoir bouclé ça pour la fin de l’année, donc il sortira son premier truc en 2013. Après je ne sais pas ce qui peut arriver, il y a plein de petits projets dont on parle mais qui ne sont pas encore vraiment concrets. On va essayer d’avoir un rythme soutenu à l’avenir. Et je vais me remettre à sortir des choses, ça fait trop de temps que je m’entraîne sans diffuser…

 

Un grand merci à Lartizan pour le temps accordé.

Propos recueillis par David. Photos : Thomas Goblet.

-Le site LZO Records

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2 commentaires

  1. Bonjour.

    Vraiment stimulant comme l’a dit Vince. En toute honnêteté, je ne connaissais pas cet artiste avant la lecture de cet article mais bon, il a désormais une nouvelle fan en ma personne. 🙂 Bravo pour la qualité en passant. Bonne continuation…

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