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[Interview] Lucio Bukowski

Que pouvait-on rêver de mieux pour ouvrir la rubrique interview que le nouveau génie du rap français ? L’indescriptible lyonnais nous livre son sentiment et son vécu sur tous les sujets qui nous taraudent. Du parcours aux textes en passant par l’avenir, venez découvrir l’univers de l’homme à la punchline acide.

L’homme.

Est-ce que tu peux expliquer à nos lecteurs ce qu’est le parcours de l’homme avant qu’il devienne Lucio Bukowski ? Quelles ont été tes études, ton parcours professionnel, tes anecdotes marquantes ?

Je suis un enfant de la banlieue Est de Lyon… Saint-Priest est un endroit particulier, une ville essentiellement ouvrière dans les années 1980-1990, mais en aucun cas un ghetto. Peu de grands ensembles et une population extrêmement brassée où tout le monde connait un peu tout le monde. Une enfance assez paisible donc, dans un milieu modeste mais bien loin de la fameuse misère dont beaucoup aiment se vanter d’avoir connu… Vers mes 15 ou 16 ans j’ai déménagé de ma petite banlieue pour Lyon même : c’est à peu près à cette époque que j’ai commencé à écrire. D’abord des poèmes et des nouvelles et puis assez rapidement des textes de rap. Après le bac j’ai entamé de longues études en histoire (que je suis en train de terminer aujourd’hui) et ai conclu à l’absence quasi-globale d’intérêt objectif dans cette discipline. Néanmoins, ce parcours m’a au moins permis d’acquérir un sens aigu de la méthode.  Ce qui peut avoir un certain poids dans la maitrise de l’écriture. Aujourd’hui je travaille dans les métiers de la bibliothèque.

Le rappeur.

Même si la réponse à cette question paraît, au premier abord, un peu évidente ; peux-tu expliquer ton pseudo ? Est-ce que la référence à l’auteur sulfureux correspond à ta personnalité ?

On ne retient jamais d’un auteur ce qu’il eut voulu qu’on retienne de lui et de son œuvre. Pour Charles Bukowski, c’est l’enfermement dans le triple-thème putes-alcool-courses. C’est bien mal le lire que de ne percevoir que la couche externe de sa pensée. Moi ce que je ressens quand je lis Bukowski, c’est l’amour obsessionnel de l’écriture et des grands auteurs, la fascination quasi-mystique vis-à-vis des femmes, une vie modeste faite de sentiments simples et dénuée d’artifices, le rejet de l’époque et de la modernité, des idéologies et des religions, l’érudition et le désenchantement.

Quel est le cheminement qui amène à vouloir faire ça de sa vie et s’il existe un élément déclencheur, quel est-il ? Est-ce qu’on subit à un si haut degré l’influence d’un ou plusieurs rappeurs et que l’on finit par se dire : « peut-être que je peux faire comme eux » ?

Pour que les choses soient claires : à aucun moment je ne souhaite consacrer ma vie au rap. La musique ne me rapporte rien et c’est parfait ainsi. Je travaille et compte continuer à travailler à côté. Paul Léautaud pensait que l’artiste véritable est avant tout un travailleur : le fait de ne pas vivre de son art permet d’y conserver une totale liberté. Je n’ai rien à perdre, rien à gagner. Je ne fais aucune concession et refuse d’être l’esclave de ma musique. Je n’ai jamais essayé de copier tel ou tel artiste. Beaucoup m’ont influencé mais il a toujours été hors de question de se cantonner à n’être qu’une pâle copie d’Oxmo ou d’Akhenaton… Néanmoins je pense que tout ce que nous écoutons et aimons joue forcément sur nos propres créations. Pour ma part j’écoute de tout, de l’opéra façon Verdi au jazz de Jimmy Noone, en passant par le rock dégueulasse de Wynonie Harris et le storytelling de Biggie.

Si tu pouvais choisir de collaborer avec un artiste (tous genres confondus, bien évidemment) pour un son ou un album, lequel  serait-ce et pourquoi ?

Avec qui j’aimerais collaborer… Comme ça là je te donnerais deux noms : Alain Bashung et MF Doom. Le premier (là ça risque d’être difficile) pour sa liberté totale et son courage artistique ; le second parce qu’il est le MC le plus créatif et le plus doué des 10 dernières années…

Sur quoi travailles-tu en ce moment ?

En ce moment je travaille sur l’album. Il s’intitule « Sans signature ». Il sera produit par Oster, Milka et Nestor Kéa.

Les textes.

Comment tu travailles un texte ? Est-ce instinctif, tu prends ton stylo et tu poses sur un cahier, ou bien tu décortiques chaque phase pour qu’elle ait une place parfaite dans un couplet ?

Ma technique d’écriture est essentiellement instinctive. J’écris assez rapidement et en bonne quantité. J e supprime très peu, préférant conserver la chose un maximum comme elle est sortie afin que le texte garde son unité et son naturel. Je ne suis pas du genre à mettre du sens caché de partout, je fais du rap. J’aime l’image vivante, la simplicité du mot. J’ai toujours préféré la poésie de Li Po à l’hermétisme de Rimbaud.

Dans cette même veine du texte, est-ce que tu prépares tes thèmes à l’avance ? Est-ce que tu as un déclic à un instant donné où tu te dis « tiens, j’aimerais rapper à ce sujet » ? Ou bien le feeling du moment prime ?

Je n’écris pas beaucoup par thème : quand cela arrive j’aime la jouer en mode « champ lexical » ; le meilleur exemple c’est « L’Eloge du vagin »… Le but c’est que plus personne ne puisse faire un seul jeu de mot sur ce thème après mon passage. J’ai un texte du même genre dans l’album qui arrive : « Kamasutra Song », construit avec uniquement des noms de positions sexuelles…

S’il y en a, comment tu gères les périodes de doute et de page blanche ? Celles où l’on n’arrive plus à avoir un avis constructif sur ce que l’on fait ? As-tu un remède ?

Je n’ai jamais connu le syndrome de la page blanche et cela pour une raison très simple : je ne me force jamais à écrire. Je prends le stylo uniquement quand celui-ci a quelque chose à cracher.

Le rap.

Quelle a été la réaction de ta famille quand tu as annoncé vouloir faire du rap ? Cette question est surtout en rapport avec la sale réputation que se traîne le mouvement. Et même, hors entourage, les gens que tu croises, qu’est-ce qu’ils te disent quand tu dis que tu es rappeur ? Est-ce que tu le brandis fièrement ?

L’image que traine le rap, très franchement, je m’en tape. Que des gens sans discernement ni goût qui passent leur vie sur TF1 et achètent les albums de Florent Pagny me prennent pour un jeune con plein de « yo yo », tu comprendras que ça ne me dérange pas plus que ça… Pour ce qui est de mon entourage, les proches me connaissent assez : donc forcément ils ne s’attendent pas à m’entendre parler de braquages imaginaires ni que ghettos remplis de dealers de cocaïne.

Est-ce que tu trouves normal que le rap français ait les plus gros vendeurs de disques de France mais une visibilité médiatique approchant le néant ?

Les gros vendeurs de disques n’ont jamais été le véritable problème. Le truc inquiétant c’est le nombre de gens qui achètent leurs albums et se ruinent l’esprit devant leurs clips. C’est trop facile de pointer du doigt les artistes et les médias. Les gens ont le choix, personne ne leur braque un flingue sur la tempe en les forçant à écouter Diam’s ou Colonel Reyel. C’est peut-être simplement que la médiocrité a meilleur goût et surtout nécessite moins d’effort, moins de curiosité… C’est d’ailleurs le même phénomène que l’on peut observer dans la littérature (si c’en est encore) ou le cinéma. Le responsable direct du déclin culturel, c’est le public. Il n’est pas victime mais bourreau.

Dans un registre moins sombre, tu retiens quoi de l’année rap en cours ?

Sur l’année en cours, même si je n’écoute quasiment pas de rap français, je dirais que Swift Guad, Scylla, Taipan, Furax, Nekfeu, Soklak ou encore Veerus, Def et Demi Portion sont les gars qui m’impressionnent le plus. Après ça peut paraitre parfaitement prétentieux de ma part mais je pense le plus sérieusement du monde que mes compères restent les plus créatifs et les plus techniques : entre Anton Serra, Kacem, Nadir, le CDK, Missak, Ethor Skull, Ilénazz, Na.K… Je dis qu’il y a là tout ce qu’il faut… Et que peu peuvent rivaliser (rires).

Quel est le dernier son qui t’a vraiment estomaqué ?

Ma claque de ces derniers mois c’est le morceau « Raelsan » de qui tu sais. Quel enfoiré celui-là…

L’artiste.

Est-ce que tu penses sortir du rap français ? Pas forcément uniquement musicalement. Bifurquer vers la littérature et l’écriture ?

Le rap a toujours été secondaire par rapport à l’écriture. Je n’ai jamais cessé d’écrire en dehors du rap et je pense que je ne cesserai jamais. La littérature m’obsède depuis que j’ai 12 ans… Il y a là quelque chose de maladif… Publier un roman est le projet de ma vie.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

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