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[Interview] Nakk Mendosa : « Les morceaux denses perdurent plus dans le temps. »

Samedi après-midi, Paris 18ème, quoi de mieux qu’aller rencontrer Nakk Mendosa pour lui parler de son nouveau projet fraîchement sorti ? C’est après sa séance de dédicace à la boutique de la Scred Connexion qu’on a pu s’installer et échanger sur Darksun 2.

On se trouve actuellement dans la boutique de la Scred Connexion où tu es venu faire une séance de dédicace ainsi qu’un showcase. Faire ça ici, ça a une signification spéciale pour toi?

La Scred c’est un groupe que j’aime beaucoup, et le fait que la boutique soit dans le 18 ème c’est bien, parce que j’y suis né. J’en suis parti à l’âge de 9 ans et j’ai toujours eu un truc particulier avec cet arrondissement. C’est bien que je fasse ma séance de dédicace dans la Scred boutique, j’ai des bons rapports avec le groupe, en plus, donc c’est parfait.

C’est un groupe que tu écoutais ou que tu écoutes?

Oui j’écoutais Fabe au départ, c’est lui qui nous a fait découvrir la Scred. Puis j’ai rencontré Mokless, on se croisait dans des mixtapes et après à des concerts. Koma allait à l’école avec mon grand frère donc c’est vraiment un groupe avec lequel j’ai beaucoup d’affinités.

Ton album « Darksun 2 », pourquoi tu as choisi de l’appeler comme ça?
 
À la base ça s’est appelé Darksun 2 comme le Darksun 1.  « Darksun » c’est l’opposition sombre / soleil. Dans le premier Darksun, quand je faisais un morceau un peu sombre, triste, je le mettais avec un morceau un peu ambiance. Dans le deuxième Darksun, il y a moins ce côté-là. Il y plein de featurings, des morceaux un peu légers, pour sortir. Je me suis pris au jeu et finalement ça à la tête d’un album. Mais si je pouvais revenir en arrière, je n’appellerais pas ce projet Darksun 2 : il n’a pas la couleur d’une mixtape ni d’un street cd mais plus d’un album.  J’ai été pris de vitesse mais je suis content du projet et des retours.

 

DARKSUN 2
Tu as eu de bons retours pour le moment ?

Franchement, depuis que je fais de la musique, je n’ai jamais eu un projet avec d’aussi bons retours. Après, avec les EP du début, il n’y avait pas internet donc on n’avait pas les mêmes retours que maintenant. Mais je crois que je n’ai pas eu de projets où j’ai eu autant de bons retours. Même avant qu’il sorte, je l’ai fait écouter à mon entourage et ils aimaient beaucoup les morceaux.

J’ai l’impression que tu as été beaucoup plus médiatisé cette fois-ci ?

Comme il y a eu des gros médias, les gens ont l’impression que je suis passé sur France 2 (rires). Mais en vrai j’ai fait le même circuit habituel avec deux gros médias qui se sont greffés: Le Parisien et les Inrocks.

Tu as dit dans ton interview sur OKLM que quand tu avais commencé, tu avais signé avec une maison de disques avec seulement un morceau. C’était lequel ?

La tour 20. J’ai signé avec ce morceau là et je leur ai fait croire que j’avais d’autres morceaux derrière pour qu’ils me signent, et ils m’ont signé. Puis ils se sont vite rendu compte que je n’avais pas d’autres morceaux (rires). Après j’en ai fait plein d’autres.

 

Maintenant tu n’es plus signé, tu es en auto-prod ?

Oui, j’appelle ça bricolage. Il y a l’indé et il y a les gens comme moi qui sont auto-produits. C’est plus dur que quand t’es un label déjà structuré ou que tu a la force des majors derrière qui te signent.
Moi je suis en indé bas de gamme, même si on fait les trucs le plus proprement possible.
Plus on fait de sorties mieux on gère mais c’est vraiment dur.

Du coup c’est une formule qui te convient ou tu aimerais signer en major à nouveau ?  

J’aimerais au moins une formule indé avec une grosse machine derrière, ce serait bien. Parce que indé comme ça c’est pas facile. Tu vas pas au bout de tes projets. Il y a un moment où tu es à court au niveau des clips, au niveau de plein de choses. Tu fais au moins cher, tu calcules beaucoup, tu comptes beaucoup.

Mais c’est peut-être ça le prix de la liberté?

Oui, c’est vrai. Mais tu sais, quand j’étais signé en major chez BMG, ils ne m’ont jamais rien imposé. Je faisais des morceaux commerciaux de moi même parfois, je savais très bien qu’il fallait vendre des disques. On a essayé de faire du mieux possible pour ça, mais personne ne m’a jamais imposé quoi que ce soit. J’étais très libre. J’ai eu cette chance, mais elle n’est pas donnée à tout le monde.

Quel est le morceau que tu préfères sur ton album?

Le morceau qui me tient le plus à cœur c’est Mama, qui, je pense est le morceau de ma vie. Je ne peux pas dire que c’est mon meilleur morceau, mais c’est le morceau le plus marquant de ma vie et de ma carrière. Limite, pour savoir ce que je suis il faut écouter ce morceau. En 3-12 mesures j’ai réussi à synthétiser un peu mon histoire, pas rapologique mais mon histoire d’homme. J’ai déjà fait beaucoup de morceaux où je me livrais, comme Mon fils ce Héros ou Cicatrice, mais celui la c’est une espèce de synthèse de tout ça. Peut être qu’après ça je n’aurais même plus besoin de faire un autre morceau où je parle de ce qui est arrivé dans ma famille. C’est peut être le morceau qui clôture tout ça. On verra, on ne sait jamais, je ne vais pas faire le malin maintenant pour finalement ressortir quelque chose du même genre après (rires).

 

Au niveau des instrus tu procèdes comment? Tu la reçois et elle t’inspire, ou ton thème t’amène à la choisir ?

Je reçois une instru et ça m’inspire quelque chose. Par exemple, l’instru de Mama, je l’ai eue pendant un an et demi dans mon ordi et elle ne m’inspirait rien. Un après midi, comme ça, j’ai écrit 4,8,12 mesures et après le morceau est parti. Mais il faut que l’instru m’inspire quelque chose d’abord. Parfois elle peut même m’inspirer quelque chose qui n’est pas évident, par exemple pour le morceau Élodie, l’instru était un peu joyeuse et j’ai fait un truc triste dessus. En vérité, même l’inspiration c’est bizarre… Il n’y a pas de règles.

Tu es considéré comme un des meilleurs lyricistes du rap français. On attendait beaucoup de Darksun 2 parce que tu avais annoncé que c’était un de tes projets les plus aboutis et j’ai adoré au niveau des lyrics. Mais le choix des instrus en a perturbé certains. On a l’impression que le son écrase un peu tes lyrics, c’est un retour que tu as déjà eu ?

Ça ne paye pas le loyer mais c’est gentil (rires). J’ai trouvé une cohérence, moi, c’est vraiment l’ambiance que je voulais. Peut être que je suis un mec triste qui s’ignore, qui fait un déni de tristesse. Et j’essaye de combattre ça. Dans la vie de tous les jours je ne suis pas un mec triste, mais dès que j’ai un papier et une instru, je me transforme. Au niveau des prods,  sur les prochains projets ça va être très différent, ça va être beaucoup plus musical. Vraiment beaucoup plus.

Tu as dit dans ton interview pour le Bon son, justement, que tu te laissais un album et que tu allais t’orienter vers d’autres horizons. Tu as dit que tu avais besoin de passer à autre chose, peut-être pour toucher un autre public qui ferait plus attention à tes textes ?

Ce n’est pas vraiment pour toucher un autre public, mais je sais que ma musique peut en sortir grandie.
Niveau instrus, je vais développer un truc pour la scène, plus musical. Sans aucune prétention, je sais que ce sera plus en adéquation avec moi. Comme tu le disais, je n’aurais plus le problème des lyrics qui se font écraser par le son. Je vais aller plus loin pour que les lyrics soient pleinement exploités.

C’est difficile, il y a beaucoup de grands rappeurs qui se sont pressés là-dedans, je pense notamment à Oxmo Puccino, Kohndo…

Oui c’est l’exemple que j’ai aussi. Je ne te dis pas que je veux faire du Oxmo, mais il faut que j’ai mon côté comme ça aussi. Lui comme moi avons une écriture qui est particulière et qui a besoin d’un support autre que le rap aussi. Tu peux trouver ça moins bien ou mieux mais on a besoin d’un support particulier pour développer notre musique. Je vais te dire un truc, il y a des médias rap que je fais, je ne dis pas que ça ne sert à rien, mais à partir d’un certain moment le public qui lit ces médias-là n’est plus ma cible. Attention ce n’est pas facile, je vais peut être me vautrer ou refaire un projet pareil que Darksun 2, on verra.

Selon toi, quand on est rappeur et qu’on a fait beaucoup de choses, qu’on bosse ses lyrics pendant des années, il y a une sorte de plafond au bout d’un moment où le rap tel qu’il est, ou du moins tel qu’on le conçoit, ne suffit plus ? On a envie d’aller plus loin pour grandir en tant qu’artiste ?

Aujourd’hui l’ère est au rap un peu moins écrit. Ils sont moins dans le texte. J’ai discuté avec Lino une fois et il m’a dit que si mon truc c’était le texte, il fallait que j’aille encore plus loin dedans. Au maximum, même si j’avais l’impression d’être un hybride, que personne ne me comprenait. Il m’a dit que je trouverais toujours ma cible. Il m’a dit que si j’étais fort dans les textes, il fallait que j’aille le plus loin possible. Il a raison. Si j’essaye d’alléger mes textes parce que c’est moins dans la tendance en ce moment, je ne vais pas y arriver. Les mecs qui aiment le rap léger ne vont pas kiffer sur ma plume. Et les mecs qui kiffent ma plume vont se dire que c’est moins bien écrit et ils ne seront plus clients. En vrai, si tu sais faire du rap caillera bête et méchant, vas-y à fond. Si tu fais du rap engagé, ou si tu es dans les lyrics, vas-y à fond aussi. Il faut aller à fond dans ton rayon.

Comme Kohndo, tu pourrais enlever de la substance à tes lyrics pour que la musique puisse s’insérer?

Ah non je ne ferai pas ça, il n’en est pas question. J’ai fait un truc, Hors portée en freestyle, on a repris Altitude avec des zicos, et j’ai eu des commentaires de gens qui aimeraient que je fasse tout un projet comme ça. Je le sortirai quand j’en serai fier autant sur scène que sur CD, je ne vais pas le faire juste pour le faire, commencer à mettre des bérets et des cols roulés (rires), à faire le parisien. Je vais le faire pour faire grandir ma musique, je suis à un stade où je peux me le permettre. Mon challenge est de garder mon écriture sur des supports comme ceux-la. Ça m’appelle, je suis obligé.

Si les gens disent que Nakk ne fait plus du rap, tant pis ?

Même si après les gens disent que je ne fais plus de rap, j’écrirai toujours. Tu pourras peut-être te dire que tu n’aime plus trop les instrus, mais je serai toujours appliqué sur l’écriture, quoi qu’il arrive.

J’ai découvert ta musique avec le morceau Cicatrice, morceau triste. Maintenant tu dis dans Mourir en chantant « Dites à mes fans que quand j’vais bien, j’écris moins bien », tu le penses vraiment?

Oui, je le pense. C’est pour dire que parfois, j’aime bien faire du rap un peu plus léger. Dans mon public il y a plein de catégories de personnes différentes. Certains aiment les projets légers comme NDE ou Dans la zone, d’autres aiment quand je suis profond, mais le gros des gens qui m’aiment bien c’est essentiellement pour la plume. Quand c’est dense, quand je me livre. Des morceaux comme CicatriceMama sont des morceaux qui les ont marqués et quand ils voient que je fais des trucs plus légers, ils aiment moins. Alors que moi j’ai envie de rapper des trucs joyeux aussi.

 


Donc la douleur est une source d’inspiration, mais tu en a plein d’autres?

C’est vrai que quand tu écris des morceaux tristes, il y a plus de relief, c’est forcement plus dense et ça reste plus dans le temps. Si je fais un morceau léger, dans 5-6 ans il ne sera peut-être plus d’actualité.
Alors que des morceaux plus profonds, peut être que dans dix ans il y a des mecs qui t’en parleront encore. Les morceaux denses perdurent plus dans le temps que des morceaux dans la tendance.

Maintenant tu fais des morceaux où il ne s’agit plus que de toi, tu transfères, tu racontes des histoires comme dans Elodie et Miss Venezuela. C’est parce que « tu vas mieux » que tu peux le faire?

Oui, je n’ai pas envie tout le temps de me livrer. J’emprunte des trucs de gens que j’observe, des mecs ou des meufs qui me parlent. Je prend tout et je fais une salade. Ce n’est pas parce que je ne rappe pas ma douleur que ça va être moins bien.  Tu peux faire un morceau que tu écoutes en voiture pour t’ambiancer avant d’aller en soirée. Ça ne veut pas dire que ça va être un mauvais morceau. Je ne suis pas un terroriste de la musique, ce n’est pas parce que ce n’est pas bien écrit que c’est moins bien. Je peux écouter du rap qui n’est pas engagé, sans lyrics profonds, ça ne me dérange pas.

 

Tu as quand même un public de passionnés, qui fait très attention à ce que tu écris.

Oui et ça peut être dans l’extrême. Parfois je vois d’autres rappeurs, je les envie, ils font ce qu’ils veulent. Léger, dense, ça passe. Moi, si je fais un truc un peu différent, on me prend pour un fou, on pense que je suis nul (rires). C’est ma marque de fabrique, c’est très marqué, il ne faut pas se plaindre.

Au moins ce public t’est fidèle, il est là depuis le début.

Oui fidèle, mais dur.

Pour finir, tu nous annonces tes dates de concert pour la promo de ton album?
Le 9 on a eu un plateau à Montreux avec la Scred, Sëar lui-même, l’Indis et plein d’autres rappeurs. Il y a aussi d’autres dates qui vont arriver. Pour ça je suis content, moi j’aime bien les concerts, c’est ce que j’aime le plus. L’enregistrement et tout ça c’est sympa, mais le moment que je préfère, c’est la rencontre avec le public. Quand un mec te dis sur internet qu’il aime bien ce que tu fais c’est bien, mais quand un mec te dit en face qu’il aime, que tu vois dans ses yeux qu’un de tes morceaux l’a marqué, c’est irremplaçable. La scène c’est mon truc préféré.

Le mot de la fin?

Darksun 2, dernier projet, écrit dans la douleur sur la fin mais très fier.

 

 

Eleonore Santoro

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"Si vous ne vous levez pas pour quelque chose, vous tomberez pour n'importe quoi." Malcom X

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