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[Interview] Nedelko : « Se faire comprendre par les émotions, c’est une des essences de la musique »

C’est à quelques rues du studio d’Oster Lapwass, grand manitou de l’Animalerie, qu’on a retrouvé Nedelko, jeune recrue du collectif lyonnais, qui transite toutes les semaines entre Paris et le primat des Gaules. Auteur d’un très beau premier album, Rhéologie, le MC a multiplié les scènes en 2019, et on pourra le retrouver en première partie d’Oxmo Puccino, près de Lyon, le 13 mars prochain.

Outre son premier projet solo, qu’on a décrypté ensemble sous ses aspects techniques et thématiques, on a eu le plaisir de parler rimes, pop, cinéma et chanson française avec un artiste aux influences variées, qui prépare pour les mois qui viennent des nouveautés musicales dont il présente, dans cet entretien, quelques lignes directrices.

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On se rencontre alors que tu sors d’une session en studio avec le producteur Oster Lapwass. Si je ne me trompe pas c’est lui qui t’as « repéré » et intégré à l’Animalerie, est-ce que tu peux parler un peu de ton parcours dans le rap avant, et de comment s’est passée cette prise de contact et ton intégration dans le collectif ?

En fait mon parcours avant ça y en a quasiment pas, c’est-à dire que c’est juste de l’apprentissage de comment t’enregistre chez toi ou comment t’enregistre en cabine, des trucs comme ça. Pas de studio, pas de contacts avec le monde de la musique, vraiment zéro. Donc t’apprends 2 ou 3 trucs tout seul mais tu navigues à vue, c’est plutôt compliqué. J’ai fait une école de son pour me former, un an, en revenant d’un voyage en Nouvelle-Zélande, parce que j’avais vraiment envie de ne faire que ça. À la fin de cette année j’ai envoyé un mail à Oster Lapwass, en me disant on sait jamais. J’avais de jolies maquettes de côté, plus propres que ce que je faisais avant de partir. Il a écouté quelques trucs et il m’a dit « faut qu’on bosse ensemble », ce qu’on a commencé à faire après l’été.

Au niveau de l’intégration, par rapport aux autres rappeurs, ça devient des potes en fait. Après y en a qu’on voit plus que d’autres, l’Animalerie y a beaucoup de monde. Mais ouais ça devient des gens proches, Oster j’suis tout le temps avec lui, on s’appelle tout le temps. Ou par exemple Baptiste Chambrion, le guitariste du collectif, souvent j’dors chez lui. Après je vois un peu moins les anciens, Lucio [Bukowski] il a sa vie, Anton [Serra] pareil il a déménagé mais bon on s’voit pendant les concerts. Des fois j’fais un peu la fête avec certains, donc c’est plutôt bonne ambiance.

Qu’est-ce que le fait d’intégrer un collectif comme l’Animalerie et de travailler avec un producteur expérimenté comme Oster Lapwass a changé dans ta démarche créative et plus généralement dans ta vie de rappeur ?

Déjà en terme de rythme de travail je m’adapte à Oster, parce qu’il a une dizaine de rappeurs qui gravitent autour, et on a tous des projets, on fait tous beaucoup de choses et en plus tout est très varié, donc on s’adapte à lui. Après en terme de création, y a une émulation qui est trop cool. Parce que même si c’est des gens que j’écoutais, le fait d’être avec eux en studio, de voir comment ils travaillent, comment ils créent, comment ça vient, y a plus de liberté en fait. Déjà t’as moins d’idées arrêtées, sur tout, sur les prises de risques, les partis pris musicaux, t’es beaucoup plus ouvert à tout, et tu crées avec une facilité qui est vraiment agréable.

Sur ton album Rhéologie on trouve plusieurs types de sonorités, comment est-ce que cet éclectisme a été décidé, et est-ce que ça a été difficile de s’adapter à une telle diversité de prods ?

C’est Oster qui compose 95% de l’album, y a juste Baptiste Chambrion qui a fait Érosion et Raphaël Luchs, qui est belge et qui a fait Ombrelune, le morceau avec Olympe. Du coup en fait c’est pas difficile, y a pas de débat, Oster compose et moi j’suis là. J’vais pas me forcer à écrire sur quelque chose qui me plaît pas et lui va pas se forcer à composer sur quelque chose que j’ai déjà écrit (ça, ça ne se fait jamais). Tout se fait assez naturellement, y a une concertation dans tout ce qui est ordre des titres dans la tracklist, la cohérence, celui-là on le garde, celui-là on sait pas trop, mais la direction artistique elle s’est faite un peu d’elle-même. Oster a de l’expérience, et il travaille avec un prisme de rappeurs qui est hyper large, du coup il a l’habitude de s’adapter un peu à chacun, il a l’oreille. Donc c’est une symbiose qui est assez agréable dans le travail.

Dans l’album on trouve pas mal d’allitérations qui sont, j’ai l’impression, une sorte de marque de fabrique de l’Animalerie. Tu écrivais déjà avec ce genre de procédé ou tu as poussé le truc au contact des autres MCs du collectif ?

J’écrivais déjà beaucoup en assonances, donc moins sur les consonnes, mais c’est toujours très carré, et en fait c’est un truc de tous les rappeurs que je qualifierai de « forts » que j’écoute, ou même pas forcément rappeurs, mais même les chanteurs de variété ou des mecs qui font des trucs un peu plus pop, tous les gens en fait qui ont compris ce petit truc, ces petites sonorités rimiques et rythmiques. L’allitération, c’est vrai que par exemple Eddy [Woogy], il en fait pas mal, et plus généralement Bavoog Avers c’était dans mes influences tu vois. Mais t’as raison c’est très Animalerie, eux ils ont été influencés par Kacem Wapalek à la base je pense, et ils se le sont réapproprié.

Dans Une fois ou deux tu dis « plutôt perdre une âme sœur que de perdre une rime », et dans Gonorrhée tu parles d’écrire un texte en studio, comment est-ce que tu crées le plus souvent tes textes ?

Alors en studio c’est plutôt rare. J’ai souvent des petites idées de côté mais généralement un texte il se fait d’une traite, donc en fait je reviens assez peu dessus. Je mets pas un mois à écrire un texte en disant OK, partie 1, partie 2, on va faire un plan, c’est vraiment une heure ou deux heures ou une journée max, sauf pour Érosion par exemple, où il y a deux morceaux différents à la base, que j’ai réuni parce que j’avais envie de faire un truc plus progressif, vraiment un morceau long, une espèce de voyage en fait. Et Gonorhée il est écrit au studio, c’est pour ça que j’dis ça (rires). Ça pour le coup je l’ai vraiment écris en 25 minutes, on était avec Edggar, Oster était parti faire un truc et j’ai mis une face B, un truc un peu house, j’lui ai dis viens on écris sur ça, au début il me disait ouais j’sais pas trop, puis comme je l’ai laissé tourner mille heures finalement on l’a fait.

Est-ce que tu peux expliquer le titre de ton album « rhéologie » ?

La rhéologie c’est l’étude de la transformation des matériaux sous la contrainte. C’est un mot que j’aime beaucoup, que j’ai appris pendant un voyage, via un ami à moi qui fait de la biologie. Le mot m’a plu et on en a rigolé en mode « ce serait marrant que t’appelles ton album comme ça ». En fait pour moi c’est un mot super à transposer à l’humain. Les transformations sous la contraintes ça épousait parfaitement tout ce que je cherchais à dire dans cet album, c’était le mot parfait pour exprimer ces choses qui t’arrivent, qui te remodèlent, qui te font changer et que parfois tu subis, qui font que tu deviens « quelqu’un d’autre », parce que t’y es obligé, et parce que c’est la vie, tout simplement. Et c’est pas forcément négatif d’ailleurs, même si ça peut être dur, long, éprouvant.

Tu parles donc de la transformation de la « matière humaine » dans l’album, et tu parles notamment de névroses dans le morceaux La baie des chiens. Est-ce que tu considères que ça te touche particulièrement ou est-ce que tu penses qu’on vit dans une société névrosée ?

Moi ça me touche, ça touche des gens que je connais. Je pense que ça touche beaucoup de monde. Quand j’écris je parle beaucoup de moi mais je pense que pas mal de gens peuvent s’y reconnaître aussi. Donc est-ce qu’on vit dans une société névrosée ? De fait ouais, mais on le sait quoi, je cherche pas à apprendre quelque chose aux gens. J’ai une écriture assez pudique, je dis beaucoup de choses qui me pèsent, mais sans pour autant vouloir me confier à tout prix aux gens. Les gens en font ce qu’ils veulent, mais ce que je dis c’est à cœur ouvert.

Dans plusieurs morceaux tu fais référence à des divinités ou au Dieu monothéiste, c’est quoi ton rapport à la foi et à la spiritualité ?

Moi j’aime bien le symbolisme en fait. Ce que j’aime bien dans les livres c’est les symboles, ce à travers quoi on peut retrouver Dieu, donc une autre personne, un moment, la nature, un voyage. Il y a plein d’histoires quand tu lis la Bible, le Coran, qui sont pas là pour être prises au pied de la lettre et qui sont des immenses symboles, des tentatives de leçon de vie. C’est comme dans mes textes, si tu prends tout au pied de la lettre ça a pas trop d’intérêt.

Tu parles beaucoup d’amour et de sexualité dans le projet, est-ce que des fois tu as l’impression de te « mettre en danger » en te livrant autant ?

J’y pense pas trop quand j’écris, je calcule pas ça, mais je vois que ça peut être mal interprété des fois. C’est un risque, mais que je calcule pas trop parce qu’après si je commence à calculer, à faire attention à chaque mot pour pas qu’il soit mal pris c’est de l’auto-censure et c’est même plus intéressant de faire des chansons.

Quand tu parles de relations amoureuses ou charnelles, c’est rarement optimiste, on a l’impression que ça se passe et que ça se finit rarement bien, est-ce que tu vois le rap comme une sorte d’exutoire par rapport à ça ?

En tout cas ce projet-là, Rhéologie, c’est une petite quête de catharsis ouais. C’était des choses que j’avais besoin d’expier, de lâcher, d’écrire et de mettre de côté une bonne fois pour toute. Mais par exemple dans le prochain album y a pas mal de morceaux qui sont beaucoup plus solaires et beaucoup plus optimistes vis-à-vis des relations. Ça dépend des rencontres qu’on fait, des personnes avec qui on passe du temps. Ce projet-là en effet il est écrit à travers le prisme d’une relation en particulier, et de plein de petites autres qui gravitent autour, de filles que j’ai pu connaître, et forcément il est assez peu optimiste vis-à-vis de ça. Mais il raconte quelque chose qui est déjà passé, donc finalement la suite est ouverte.

Tu fais un certain nombre de références cinématographiques dans Rhéologie, quels films t’ont le plus marqués et comment est-ce que le 7eme art influence ton rap ?

Les films qui m’ont marqué il y en a plein… Récemment c’est plus des trucs terre-à-terre, Paterson de Jim Jarmush, Mariage Story, toujours avec Adam Driver, acteur que j’adore. Sinon Parasite, c’était vraiment une grosse claque, le dernier Tarantino aussi j’ai adoré. En réalisateurs dont j’ai beaucoup vu les films il y a Miyazaki, Wong Kar-wai. Gaspard Noé aussi, énormément, parce que j’aime la réalité de son cinéma, le fait de montrer certaines choses sans concessions, telles qu’elles sont, sans les romantiser, c’est quelque chose qui me touche particulièrement. C’est pour ça que je l’associe dans l’album avec Cara Delevingne, donc l’association entre le fantasme inatteignable et la réalité un peu crue. Plus généralement un des films qui m’a le plus marqué je crois que c’est le film d’Alan Parker, The Wall, donc le film Pink Floyd en fait, qui est moitié animé et moitié film, qui m’a beaucoup influencé. Déjà Pink Floyd, musicalement, ça fait partie de mes influences. Je l’ai vu quand j’étais ado, je l’ai pas compris tout de suite parce qu’il est assez dans la symbolique, tout est dit en filigrane.

Du coup tu considères que c’est pareil pour ton rap, qu’il y a besoin d’y revenir pour le comprendre pleinement ?

Moi je pense pas faire de la musique forcément réfléchie. A mon sens elle est accessible, je prends pas les gens pour plus bêtes qu’ils ne sont. J’y réfléchis pas, j’écris vraiment comme je ressens les choses, à travers des images. Je cherche pas à créer des choses grandiloquentes.

Sur tes visuels, comment est-ce qu’ils sont réfléchis, avec qui est-ce que tu travailles ?

Pour le morceau Sarracénie c’est juste des images de voyage que j’ai faites moi et que j’ai monté. C’était pas réfléchi par rapport au morceau, mais c’est un des morceaux les plus optimistes de l’album, et il collait avec ces moments que j’ai passé en voyage et qui étaient importants pour moi. Rhéologie ça s’est fait un peu par hasard, on avait tourné des images à la Fête des Lumières à Lyon, et j’avais un ami à moi qui s’appelle Matthieu Cattoni, qui a aussi réalisé le clip Dolomiti, qui allait dans les Alpes, et je lui ai demandé de faire des images. J’avais tout ça, je me suis mis sur Adobe et est né un truc qui me paraissait super logique par rapport au morceau, entre les montagnes fortes et puissantes, puis le retour à la réalité, à la vie de ville, à l’obscurité. Et du coup Dolomiti c’est Matthieu qui l’a écrit, réalisé, et j’aime beaucoup travaillé avec lui, il a beaucoup de talent.

Sur Gonorrhée, tu me dis si je me trompe, on sent une influence de Grems, est-ce que c’est quelqu’un que tu écoutes, et est-ce que c’est une sorte de modèle quand il s’agit de rapper sur des prods comme ça, un peu house ?

En fait Grems, pour moi, ça fait partie des « professeurs », c’est-à-dire des mecs que, quand tu les écoutes rapper, si t’as un peu l’oreille tu comprends comment ça marche. Donc ouais Grems c’est quelqu’un que j’ai beaucoup écouté et que je respecte beaucoup de par son parti-pris artistique et du fait qu’il fait ce qui est pour moi la musique, c’est-à-dire qu’il mélange les choses qu’il aime, et il crée quelque chose de nouveau. Après sur ce morceau c’était pas voulu, mais il s’avère que si tu connais un peu le rap ça s’entend, parce qu’il y a des branches de l’arbre en commun on va dire, c’est des écoles dans lesquelles je me reconnais.

L’intro de Bières et chocolat m’a fait penser à la chanson de Georges Brassens, L’orage, est-ce que t’as écouté ce genre d’artistes  ?

J’suis pas sûr de connaître cette chanson, même si ça me dis quelque chose, mais des chanteurs comme ça oui j’en ai écouté. Ferré, Gainsbourg, Moustaki et Bashung, pour moi c’est le carré magique de l’écriture, en France c’est ce qui me plaît le plus. Par exemple La mémoire et la mer, de Léo Ferré, c’est un morceau que je comprends pas hein, en gros c’est un mélange d’écriture automatique, de rêverie, et c’est juste sublime. Ça t’arrache l’âme alors que tu peux pas comprendre le sens qu’il veut mettre dans les mots, parce que finalement ça ne concerne que lui, mais tu peux comprendre les émotions qu’il met derrière, ça c’est vraiment quelque chose que j’idolâtre. Pour moi ça fait partie des essences de la musique, se faire comprendre juste par les émotions.

Du coup tu te reconnais dans le discours de ceux qui disent que le rap peut être héritier de cette musique là ?

Oui bien sûr ! Y a des écrivains incroyables dans le rap. J’suis plus influencé par les autres musiques que le rap, mais il y a des mecs que je trouve hyper forts. En gros en ce moment il y a Isha, Veence Hanao, belge aussi, que je trouve super fin, super intelligent ; du coup Grems aussi, qui se bonifie avec le temps je trouve, c’est comme un bon vin ! Odezenne également, eux c’est c’est trop cool parce qu’ils ont commencé dans le rap, dans une case où ils faisaient vraiment du rap « à l’ancienne » même s’il y avait plein de subtilités, et maintenant ils font leur truc à eux, tu peux plus les mettre dans une case, tu peux plus les situer. Après ben y a les mecs de l’Animalerie, Lucio Bukowski, Anton Serra, Eddy, Kalan, Hakan… Après j’aime aussi les trucs un peu moins prise de tête hein, j’aime bien Dinos en ce moment, Laylow aussi ce qu’il sort ces temps-ci, on est sur de la musique, sur de la nouveauté, du visuel. Et j’oubliais de dire Makala, les sonorités un peu funk c’est trop cool.

Sur l’album j’ai remarqué la présence de chanteuses, du coup dernière question : ce serait quoi ta collaboration rêvée hors rap ?

Sur Rhéologie oui c’est 200aza, c’est la chanteuse d’un groupe de rock parisien qui s’appelle Slurp qui est un très bon groupe qui tourne un peu partout. Pour les collaborations, en ce moment je pense que ce serait Clairo, qui est une chanteuse aux États-Unis qui pète bien et qui fait des jolies chansons pop et pop-rock genre années 90. Et collab’ rêvée, genre inatteignable j’dirais de ouf Billie Eilish (rires) Si un jour je trouve la porte secrète qui t’amène dans ces sphères-là carrément ! C’est la maîtrise, la justesse, elle en fait jamais trop, tout ce que j’aime quoi. Et sinon en France j’adorerai une collab avec Pomme, une super chanteuse qui cartonne en ce moment, qui a un super nouvel album qui s’appelle Les Failles, et qui, pareil, est une superbe écrivaine.

 

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