Le 5 Avril sortait le second album de la rappeuse québecoise Sahramée. Trois ans et demi se sont écoulés depuis la parution de Légitime, son premier album solo. Emily Shuman l’a retrouvée à New York pour l’interroger sur cette longue attente et tout ce qu’il s’est passé dans la vie de l’artiste.
E : Aujourd’hui sort ton deuxième album, « Irréversible » et tu es à New York pour deux shows, tu te sens comment ?
S : Bien, c’est la première fois qu’on vient jouer à New York. C’est une bonne première, je suis contente d’être là. C’est une ville qui a une énergie particulière, c’est la sortie du lancement c’est drôle de ne pas être à la maison mais en même temps c’est bien. Ça prouve que ça bouge, qu’il y a de l’intérêt envers le projet.
E : Dans cet album on t’entend très sûre de toi. Tu avances tout droit, sans regard en arrière. Mais dans le premier son de l’album tu dis « Je tourne plus en rond depuis que le cercle se rétrécit » ce qui donne l’impression que le chemin pour y arriver n’était pas forcément « sans détours » pour reprendre le titre de ton deuxième EP. Peux-tu me parler un peu du chemin qui t’a amenée à cet album ?
S : Le premier album c’était fin 2015. C’était un premier album, donc il y a plusieurs influences, c’est là où je revenais aussi un peu sur mes bases de rap rap. C’est très rap français. A ce moment j’avais un manager à Paris. Je faisais des allers-retours, mais je vivais à Montréal donc c’est assez compliqué au niveau de la communication, au niveau de faire avancer des choses quand tu n’es pas sur place. Ça s’est moyennement bien terminé. Je n’ai plus le goût en fait de créer après cette expérience-là. Les personnes avec qui je travaillais principalement, ils essayaient vraiment d’aseptiser ma musique, de toujours s’incruster dans la création, dans l’écriture. Au bout d’un moment on perd la confiance parce que chaque chose qu’on crée on dit « Maintenant il faut changer ci il faut arranger ça ». Et je me suis dit « Bon, je ne suis plus capable d’écrire des chansons » parce que finalement ça ne plaît pas à une telle personne avant de me plaire, moi. En 2016, je n’ai pas vraiment fait de la musique. Et en 2017 j’ai recommencé à en faire, mais seule en studio. J’avais le beat, je travaillais, j’essayais de faire plein choses, librement, sans me donner de barrières. Un petit peu branchée à mon ingénieur de son, Tom, qui était avec moi. Je lui disais « Non non, je veux essayer des trucs donc je ne veux pas que tu sois là au cas où c’est un désastre ! » Et finalement c’est là où j’ai commencé à aller dans plusieurs horizons plus afro et mai dernier on a sorti « T’as pas cru » avec Tom et Diego, qui ont fait tout l’album avec moi. Et c’est là où le son est un petit peu hybride. Quand on a sorti ce clip-là, en un mois on avait fait le clip, la chanson, puis je me suis dit, « c’est bon, je pense qu’on est sur la bonne voie ». Et de mai à y a quelques semaines avant qu’il sorte l’album, là le processus était facile et c’était super inspiré, donc ça allait vite après.
E : Tu avais une idée de ce que tu voulais en termes de sonorités pour l’album avant ou c’était vraiment en travaillant en collaboration avec Tom et Diego ?
S : Je voulais vraiment que ça bouge en show. Je ne voulais pas que ce soit un album qui soit linéaire en show. Quand c’est un peu plus lourd, ça peut être vite lassant. Donc je voulais qu’il y ait quand même de l’engagement, quand même du divertissement, que ça fasse bouger les gens.
E : C’est vraiment un album très cohérent niveau sonorité, même si chaque morceau dégage des émotions, des ambiances un peu différentes.
S : Exact. Et Diego c’est mon guitariste, c’est un Colombien d’origine, il a amené beaucoup d’inspirations latines, de la cumbia, il a mis beaucoup d’idées à la création. Et Tom c’est le chef d’orchestre qui a fait la réalisation. Je me suis amusée à enregistrer les chansons de l’album, seule dans ma boule pendant quelques mois, c’était très cool.
E : Tu disais dans une interview avec le Devoir que tu n’étais pas satisfaite de ta voix sur tes projets précédents. Tu disais qu’elle ne dégageait pas la confiance qu’il fallait. Est-ce que c’est quelque chose sur laquelle tu as travaillé pour cet album ?
S : Vraiment, parce que j’avais l’ordinateur devant moi, le micro juste à côté, donc quand je faisais des prises de voix, je voulais sentir ce que je voulais que les gens ressentent. Tom m’avait beaucoup aidée dans les années précédentes. J’avais certains problèmes avant, les gens pensent que je dégage une certaine confiance en moi quand j’arrive mais, musicalement il manquait ce punch, cette assurance. Même si mon rap a toujours été quand même assez incisif. Il me manquait la voix solide. Quand je dis une phrase, avant je me censurais souvent, il y a plein choses que je ne voulais pas dire parce que je pensais, qu’est-ce que les autres allaient penser ? Quand j’ai mis tout ça à côté, je pense que je me suis libérée de plusieurs démons.
E : Et ça vient plus naturellement aujourd’hui, avec tes avancées dans ta vie et dans ta carrière ?
S : Exact ! Et je n’ai pas vraiment écrit les paroles, c’est-à-dire, je trouvais un air et après je trouvais les mots. C’est spontané. Je pense que la spontanéité a amené l’assurance parce que je sentais vraiment ce que je disais à ce moment-là. Je n’arrivais pas avec le texte avant, ce que je faisais pour le premier album. J’arrivais avec le texte en studio, des fois ça me bloquait sur certaines choses, sur le flow.
E : Dans « Le Cercle se rétrécit », tu dis « J’attaque la Nouvelle-France et après l’Hexagone, » et encore dans « Légitime » sur ton premier album, « Rapatrier vos rappeurs j’crois que j’déménage dans l’Hexagone. » Qu’est-ce que le rap français représente pour toi en tant qu’artiste, et en tant qu’auditrice aussi ?
S : C’est mon école. Quand j’étais à Dakar on n’écoutait que du rap français. J’ai grandi avec MC Solaar, NTM, IAM, Ärsenik tout ça. C’est ma formation. Ces dernières années je n’ai pas trop suivi, mais il y a un regain d’artistes intéressants je trouve comme Damso – j’aime sa plume – OrelSan, Lomepal, Nekfeu. Tous ces gars j’aime leurs vibes. C’est sûr que, depuis que j’ai commencé, depuis « Légitime » je disais « Ouais la France, ouais ! » Mais c’est plus facile à dire qu’à faire quand on n’y vit pas. Après, la finalité ce n’est pas la France, c’est la francophonie. Le but c’est d’aller en Afrique, d’aller dans les Antilles, d’aller le plus loin possible. Je pense que cet album-là est celui qui ouvre un peu plus les horizons. Où je suis dans ma vie, tout l’esprit, ça va avec. Donc je pense que je suis prête à voyager avec ça, puis aller loin. Ça m’amène déjà à New York ! C’est excellent !
E : On a l’impression que tu t’inscris dans un espace plus large d’un rap en français, même un rap polyglotte, tu rappes un peu en anglais et en espagnol sur l’album.
S : C’est vrai. Exact ! Diego, c’est mon prof d’espagnol (rire). Dans un son comme « Peligrosa », je lui ai demandé de traduire des choses ou des sentiments. J’ai quelques phrases haïtiennes, il y a quelques mots wolofs, il y a de l’anglais, parce que, bon, à l’époque de « Légitime » je n’étais pas bilingue (rire). Donc, je me suis plus amusée, je n’ai jamais essayé de faire des verses ou mettre des punchlines en anglais et j’aime ça. Ça donne une autre saveur et puis ça se fait beaucoup au Québec, le mélange du français et de l’anglais. Je trouve ça intéressant, si on peut sortir la francophonie avec ça, ça fait plusieurs influences et puis tout le monde se retrouve dans les textes.
E : Tu as fait pas mal de featurings avec des rappeurs français justement – Kery James à l’époque avec ton duo « Diaspora », le Rat Luciano et Ladea entre autres sur « Légitime ». Sur cet album on n’a pas du tout ce dialogue avec la France. C’était fait exprès, cette décentralisation de l’Hexagone ?
S : Oui, parce qu’à un moment j’étais appelée à toujours penser, à toujours travailler quasiment pour là-bas sans y être. Et là on s’est dit, « bon on est au Québec, on va partir, pas de zéro, mais on va s’ouvrir sur le Québec ». Donc, être présente, faire les choses en collab’ avec d’autres artistes. Ça a été instinctif, les featurings sur l’album. C’est des gens qu’humainement je connais, j’aime ce qu’ils font et je veux qu’ils soient sur l’album. On se concentre sur le Québec, que le public québécois me découvre parce que je ne suis pas vraiment dans le classique du rap québécois. Disons, en ce moment il y a regain, il y a un gros timing sur ce qui se fait, mais je pense qu’avec ce produit-là, ce qu’on a fait ces dernières années, les gens peuvent être plus ouverts à découvrir qu’il y a d’autres genres de rap. Chaque chose dans son temps. Quand ce sera le moment on ira vers l’autre côté, mais ce n’est plus la priorité. Je suis plus posée. C’est moins l’aspiration « La France ! La France ! » Je suis bien dans ce que je fais aujourd’hui, le téléphone sonne, on est content.
E : Ton rapport à l’industrie du rap québécois a évolué depuis le début de ta carrière ?
S : Ouais, puis au Québec, c’est plus un côté personnalité, je faisais des entrevues, parfois j’écrivais des articles, je fais la photo un peu donc c’est plus ces choses-là qui m’ont fait plus connaître ces deux dernières années que la musique parce que je n’avais pas sorti de chansons originales depuis 2015, ce n’était que quelques remixs. En reprenant ce côté plus personnalité, on ramène la musique et les gens font le lien.
E : Tu as officiellement lancé ta carrière dans la musique au Québec, mais si j’ai bien compris tu as commencé à gratter quelques textes quand tu vivais au Sénégal. Qu’est-ce qui avait inspiré ces premiers pas dans la musique ?
S : On n’écoutait que ça, tous mes amis, tout le monde, on n’écoutait que du rap français. J’ai toujours écouté beaucoup de rap, et quand je l’écoutais je les apprenais par cœur. Je rappais des gros textes vraiment agressifs et violents d’Ärsenik, puis NTM. Mes copines me regardaient, je rappais genre « grrrr », mais j’étais dans cette zone spéciale quand je connaissais les textes de ces rappeurs-là. J’ai commencé à écrire de la poésie un tout petit peu, écrire ce que je ressentais, c’était plus poétique que sous formule rap. Quand je suis arrivée à Québec, mon frère m’a présenté Tom. Ça fait quinze ans que je travaille avec lui. J’ai commencé à faire du studio et là, on apprend comment faire la musique, parce que ce n’est pas juste écrire des textes dans sa chambre.
E : Musicalement, le Sénégal reste une source d’inspiration pour toi ?
S : Oui. Ça reste un point de repères important. Je pense qu’au Sénégal il y a beaucoup de rappeurs, les gens connaissent le rap, ils connaissent la culture. J’ai encore plein d’amis d’enfance qui sont là-bas, j’ai des liens. J’y suis retournée il y a deux ans pour faire des concerts. Ça m’a inspirée surtout de voir ce qu’ils faisaient là-bas avec pas grand-chose. Je me suis replongée dans les rythmes afro aussi. Et le rap, surtout au Sénégal, c’est devenu fou. Les artistes ont des grosses carrières, ils sont en tournée dans toute l’Afrique, c’est motivant. Je pense qu’on est dans une ère intéressante pour la musique – surtout pour le rap parce que c’est la musique numéro 1. Au Québec c’est encore dur sur la radio commerciale, mais ils n’ont plus le choix que de suivre parce que ça remplit des salles.
E : Dans le refrain de « Freedom » tu chantes, « Aujourd’hui je vis ma vie, forte et vulnérable. » Je trouve que ça décrit bien ta musique, ce mélange entre la puissance et la vulnérabilité, ou même une puissance qui vient de la vulnérabilité.
S : Ouais, en fait j’ai toujours été une fille assez positive dans la vie. Les choses qui m’arrivent, j’essaye de les retourner pour que ce soit positif. Je ne suis pas fataliste du tout. Je ne suis pas dans la victimisation. Je parle du racisme dans l’album, d’être une femme noire dans la société, mais je suis pour l’élévation plutôt. Ça fait partie du process, si je n’avais pas vécu ce que j’ai vécu avant dans ma vie ou dans la musique, je n’aurais pas fait un album comme ça. Je pensais que je n’avais plus rien à dire après « Légitime » . C’était mon premier album et c’était ma vie de 0 à 25 ans. Cet album-là, c’est ma vie maintenant, l’état d’esprit dans lequel je suis. Des fois je suis vulnérable, des fois je suis forte. Je ne peux pas être Superwoman tous les jours ! Je pense qu’on apprend à se connaître aussi avec le temps.
E : Tu as quand même pas mal de sons égotrip. Est-ce que tu penses à l’équilibre entre le côté égotrip et le côté introspectif quand tu écris, ou quand tu fais la tracklist d’un projet ?
S : Quand on fait la tracklist oui. Souvent je fais beaucoup d’égotrips parce que j’aime ça et ça vient spontanément. Tom, il me dit « Voilà, c’est encore un égotrip… » Faut parfois que je remette du sens. C’est comme un défoulement où tu peux tout dire. Puis c’est drôle. J’ai de la facilité là-dedans. Dans les sujets aussi. Pour la tracklist, même les égotrips je voulais qu’ils aient du sens à certains endroits, qu’il y ait des choses à dire, que ce ne soit pas juste « je suis la meilleure » (rire).
E : Non, mais justement dans tes sons égotrip on n’a pas l’impression que tu fais genre, « Je me vante pour rien, » il y a toujours ta sauce personnelle, même un côté introspectif.
S : Oui, merci, je prends ça pour un compliment parce que justement c’est l’équilibre dans les paroles. Moi, quand je faisais les phrases, quand je les enregistrais, j’avais quand même une certaine conscience de ça.
E : Et dans « Le Cercle se rétrécit » – désolée c’est mon son préféré de l’album donc je vais le citer à plusieurs reprises…
S : Ouais, c’est un de mes préférés, je sais, je sais. Moi je l’adore aussi.
E : Ça m’a beaucoup touchée, ce morceau. Donc, tu dis, « Je retourne le game je suis plus le sexe faible ». Et tu prends position très forte contre l’étiquette « rap féminin ». Quels challenges vois-tu dans le rap game pour les femmes – que ce soit au niveau de la création d’un disque, de la programmation, ou au niveau de la presse ?
S : Je dirais que, moi personnellement avec mes collègues rappeurs, je n’ai jamais senti ce problème-là. Au contraire. Ils sont toujours respectueux lorsque je suis sur scène, sur les feats. Je pense que c’est beaucoup les médias et les organisations, les festivals, qui ont tendance à mettre cette étiquette-là. Je pense que ça crée des barrières justement. C’est comme s’il y a « le rap » et « le rap féminin ». Du rap, c’est du rap. Je ne pense pas que Cardi B on la met dans une autre classe que Migos ou que Jay-Z. Je pense que l’étiquette « rap féminin » est réductrice. Le féminin est fort je trouve, mais la société n’est pas faite comme ça. On sait très bien que lorsqu’on met cet adjectif-là, après les gens vont mettre toutes les idées préconçues. Qu’on me mette dans une catégorie « rap féminin », je ne vois pas l’intérêt. Mets-moi dans une soirée rap, parce que c’est ce qu’on fait.
E : On a l’impression qu’avec les soirées « rap féminin » il y a eu quelqu’un qui s’était dit « mince, ça fait trop longtemps qu’on n’a pas fait un truc avec des meufs, » ou genre c’est le 8 mars…
S : Oui c’est ça ! C’est pour des journées comme le 8 mars. Mais on est là toute l’année, on fait des albums toute l’année.
E : Dans l’album tu as plusieurs refrains et punchlines sur cet album qui sont des véritables hymnes pour l’empowerment des femmes. Quelle est ta vision de la féminité et est-ce que ça joue un rôle ou pas dans ta musique ?
S : Ah oui, effectivement, je suis une femme, c’est inévitable (rires). Quand j’ai eu trente ans, c’était genre, je m’en fous ! Je pense que dans la vingtaine on pense qu’on est très fort, qu’on sait tout. En fait, tout est devenu un petit peu relatif. J’avais beaucoup de certitude dans ma vingtaine ! Et soudainement ces certitudes sont devenues des possibilités. Quand j’écoutais des filles comme Diam’s ou comme Lauren Hill, c’est des filles qui m’ont inspirée parce qu’elles étaient qui elles étaient. Je comprenais leur énergie. Je pense que naturellement j’essaye de transmettre mon énergie, j’espère que les jeunes filles vont la ressentir et je veux que ça leur donne ce que ça m’a donné en écoutant ces filles-là.
E : Moi je me sens forte en écoutant l’album en tout cas !
S : Ah oui ?! Super ! Wow, ça fait plaisir.
E : Sur l’album tu as un morceau intitulé « Abla Pokou, » d’après une reine africaine qui a sacrifié son fils pour sauver son peuple, qu’est-ce que cette figure représente pour toi ?
S : Ma mère en fait elle m’a appelé la reine Pokou quand j’étais jeune (rires). C’était un de mes surnoms quand j’étais petite ! Et ça m’a toujours marqué. On m’a toujours raconté cette histoire. Et puis quand j’ai reçu cette prod-là, tout de suite j’avais l’impression que c’était un son de guerre, que tu prépares la guerre et que tu vas au front. J’ai pensé à ma mère, j’ai pensé à l’histoire. Ce genre de légende est souvent romancé, mais c’est bien parce qu’en Afrique, avant la colonisation il y avait des royaumes, il y avait des femmes fortes, il y avait des rois forts, il y avait toute une histoire qu’on ne connaît souvent pas ou peu. Je voulais faire un album qui a aussi de l’Histoire, il faut être fier de ce qui s’est passé, c’est des pays qui existaient avant les années 1960. C’est bien de remettre un petit peu d’Histoire pertinente.
E : Tu as le son « Chaka Zulu » sur l’album aussi.
S : Oui ! « Chaka » j’ai eu le beat, ça ne m’a pas forcément inspiré ça. Je voulais quelque chose qui soit répétitif, c’était déjà la première idée. Mais oui c’était aussi un clin d’œil à ça. « Chaka » ça sonne fort. Ça sonne dangereux mais c’est dans l’énergie, le côté égotrip violent.
E : Et même avec « Abla Poukou », tu aimes souvent dire que tu es le père des autres rappeurs.
S : Ouais exactement ! Parce que, je pense que, la mère en Afrique, c’est la boss. Ce sont des sociétés matriarcales, mais les gens ne le savent pas, ou ils pensent que les femmes sont soumises. Donc m’appeler le père m’amuse, ça me fait rire. Parce qu’on pense très souvent dans la société occidentale que le père serait le chef de la famille. Je suis une femme, donc je m’appelle le père, c’est tout !
E : Tes phases égotrip passent souvent par d’autres univers trop associés aux hommes, notamment le foot. Dans « Perdu », sur ton premier album tu dis « j’étais première en sport, j’aurais pu devenir athlète, j’aurais pu changer le score mais j’ai choisi d’apprendre les lettres, » La musique et le sport, ça reste deux univers séparés pour toi ?
S : Oui parce que j’étais très sportive, je jouais au basket. Je m’entraînais, avant de partir au Sénégal je faisais des camps, puis pour le high school je jouais pour l’équipe. Ça fait partie un peu de la culture. J’étais très basket, le rap ça va avec. J’en écoutais à ce moment-là, mais je n’en faisais pas. Mais là je regarde un peu ce qui se fait en sport, dans le basket, dans le foot, le soccer, il y a toujours de petites références.
E : Ça recoupe un peu avec tes expériences dans le rap, la compétition et tout ça ?
S : Ouais, 100%. Je suis assez compétitive. Pour le basket je voulais être la meilleure, mais avec un bon esprit. Je ne suis pas une mauvaise gagnante ou une mauvaise perdante. J’aime la compétition, ça me challenge. L’album, ça a été ça. Il y a beaucoup de gens qui disaient « Bon, Sarahmée, on ne sait pas ce qui va se passer avec le prochain album ». Des gens avaient certaines idées préconçues sur moi par rapport à mes anciens projets. C’est plus une revanche cet album-là. Je pense que c’est mon meilleur projet pour le moment. Je pense que je me suis surpassée sur plusieurs plans. Ça va avec, cet esprit de compétition. Tu te bats toi-même finalement. Pour le mental c’est dur, mais bon dans la musique tu ne peux pas tout calculer. Les gens ils peuvent aimer, ne pas aimer. Mais tu peux donner le meilleur de toi-même.
E : Justement dans cet album on a l’impression que tu es en compétition avec toi-même, tu ne te définis pas du tout par rapport aux autres, et que tu n’es plus en quête de légitimation.
S : Exact ! C’est comme si j’avais besoin d’approbation avec « Légitime ». Et « Irréversible », il y a deux côtés. Il y a le fait d’être irréversible qui est traumatisant pour beaucoup de gens mais c’est vraiment l’esprit de ne pas regarder en arrière. Ce qui est fait est fait. Je suis partie de zéro dans ma tête. Sur tous les points musicaux, je n’ai rien fait comme j’avais fait avant. Je suis contente, je ne fais aucune chanson que je skippe. Il faut se faire confiance mais c’est dur. On peut avoir des moments de doute. J’ai pu retrouver cette confiance-là, de me dire que je n’ai pas besoin de l’approbation, du regard de l’Autre pour exister, pour être qui je veux être comme artiste. C’est important, parce que ça joue dans nos têtes. Les artistes, c’est très insecure au final. « Ah cette personne ne m’aime pas, ma vie est finie ! » Bah, non. Ce n’est pas fini.
E : Tu disais qu’avec ton premier album « Légitime, » tu étais en quête d’approbation. Tu cherchais cette approbation de la part de qui ?
S : Je pense que je voulais que les gens sachent que je sais rapper, que je sais chanter, que je sais un peu tout faire. Donc, l’album c’est un peu tout et n’importe quoi. Mais c’est correct. Je ne vais pas le renier. Je laisse ça à mes enfants. Je voulais prouver que j’étais capable de faire, mais sans direction. Là [sur « Irréversible »], ça c’est moi.
E : Là, il n’y a plus aucun doute.
S : Non, là il n’y a plus de doute. Je pense aussi qu’on a trouvé l’équilibre, entre ce que j’avais à faire, du chant, rapper, de la trap. Quand je l’ai fait, j’ai envoyé des sons à mon ingénieur et on n’a rien changé. On a travaillé la musique, on a fait les arrangements, mais quand je les enregistrais, c’était comme je voulais que la chanson soit. Point final. Je pense que ça se dégage quand les gens l’écoutent. Même quand je fais des interviews ces dernier temps, les gens sentent que je suis différente. Il y a un déclic, une énergie que je transmets et ça se passe à l’intérieur. On ne peut pas te l’apprendre.
Tous propos recueillis par Emily Shuman